Ce samedi s’ouvre le salon de l’agriculture 2019. Cette année encore, le contexte sera particulier, avec une magnifique vitrine pour les visiteurs, mais aussi des témoignages sur une misère réelle vécue dans les campagnes. Entre les deux, où en est vraiment l’agriculture française ?
Comme tous les deux ans, les années impaires donc, le Sia, salon international de l’agriculture tenu porte de Versailles à Paris, sera couplé avec le Sima, salon international du machinisme agricole, qui se déroule à Villepinte. Le premier, du samedi 23 février au dimanche 3 mars, le second du dimanche 24 février au jeudi 28 février. On a coutume de dire que le premier est une vitrine à destination du grand public, et que le second est un salon professionnel. La tenue du Sima offre un baromètre de la santé du secteur agricole, bien plus encore que celle du Sia. En effet, si les agriculteurs achètent peu, correctement, ou beaucoup de machines, alors cela signifie que le secteur va mal, ou se redresse.
Ces dernières années, la tendance fut plutôt à faire durer son matériel, à l’entretenir le plus possible, plutôt qu’à le remplacer à la première avarie. C’est un signe : l’âge d’or de l’agriculture en France est terminé, les clichés de jadis où l’on montrait du doigt les tracteurs ou autres moissonneuses flambant neufs dans les cours de ferme n’ont plus cours. Je n’ai pas trouvé de statistiques précises sur le sujet, mais j’ai personnellement reçu plusieurs témoignages d’agriculteurs, un peu partout sur le territoire national, me rapportant que le nombre de concessions de machines agricoles baisse : pour les fournisseurs de l’agriculture il en va de même que pour les agriculteurs eux-mêmes, la tendance est au regroupement, à l’agrandissement des structures pour mieux faire face à la crise. Dans bien des départements pourtant bien ruraux, il faut désormais faire plusieurs dizaines de kilomètres non seulement pour s’équiper en ce qui concerne les agriculteurs, mais aussi pour assurer différentes prestations de service après vente pour les techniciens, eux aussi moins nombreux.
Pour autant, après plusieurs années passées à « faire durer », on arrive parfois à des échéances critiques où les renouvellements deviennent obligatoires. D’où un frémissement de relance en terme de ventes de matériels noté en 2017, si l’on s’en tient à la statistique des immatriculations de tracteurs neufs (ci-dessous, un tableau issu d’un communiqué de presse de l’Axema, union des industriels de l’agroéquipement, daté du 10 janvier 2019). Mais en 2018, patatras, retour à la courbe descendante…
L’explication est simple : la tendance à ne plus vouloir du neuf à tout prix est désormais tout aussi durable que la crise est installée sur le secteur agricole. Et si l’on vient à remplacer le matériel franchement trop usé une année, on ne réitère plus l’opération avant plusieurs autres…
Dans ce contexte, un phénomène récent commence à percer : le cofarming. Derrière cet anglicisme se cache l’utilisation du matériel en commun. Le principe est simple : celui qui possède un matériel spécifique pour un certain type de travaux ne l’utilise pas à longueur d’année, il a des périodes où ce matériel est relégué sous le hangar. Désormais, grâce à plusieurs sites internet ou autres applications, il peut le louer quand il ne l’utilise pas. Ainsi, le matériel en question est amorti plus vite. Et comme, évidemment, il s’use également plus vite, ce cofarming adapté aux comptabilités actuelles des exploitations agricoles contribue également au renouvellement des moissonneuses, tracteurs, enjambeurs… Et donc à redonner des couleurs aux fournisseurs des agriculteurs. D’autant plus que les agriculteurs connaissent bien ce système de mise en commun des matériels, en soi ce n’est pas nouveau, c’est ce que font les Cuma (coopératives d’utilisation de matériel agricole). Mais les nouvelles technologies décuplent les possibilités en la matière.
Cette crise agricole malheureusement pérennisée crée de fortes disparités au sein du monde agricole. Si la vitrine du salon de l’agriculture de la Porte de Versailles montre toujours traditionnellement les plus belles vaches, les plus beaux produits, et des agriculteurs souriants parce que contents de ce contact avec le grand public, la réalité des campagnes n’est pas obligatoirement celle-là.
Ce samedi, Patrick Maurin, conseiller municipal de Marmande particulièrement sensibilisé à la problématique du suicide des paysans, terminera une marche citoyenne (sa deuxième sur ce thème) débutée le 10 février au Touquet (lieu de résidence d’Emmanuel Macron) au salon de l’agriculture. Il doit y rencontrer le Président de la République (un rendez-vous est même fixé) pour lui remettre les doléances des familles endeuillées rencontrées sur sa route. En espérant ainsi participer à la prise de conscience de l’exécutif. A près ce rendez-vous, Patrick Maurin restera le samedi mais aussi le dimanche au salon pour discuter avec tous ceux qu’il y rencontrera.
Cette année 2019 correspond à deux actualités majeures pour l’agriculture française. La première est déjà passée, les élections aux chambres d’agriculture. Deux conclusions essentielles : le paysage représentatif de la profession est stabilisé avec la Fnsea glanant 55 % des suffrages et donc confirmant sa position d’interlocuteur privilégié dans les différentes tractations avec le pouvoir. Egalement, une forte érosion de la participation à ce vote (- 20 % en deux élections), ce qui tend à montrer un désintérêt croissant des agriculteurs pour leurs représentants… Les nouveaux présidents de chambres départementales fraichement élus étrenneront leurs galons au salon de l’agriculture.
L’autre actualité agricole est directement liée à la nationale : le renouvellement de la Politique agricole commune (Pac), qui doit être avalisé après les élections européennes par la nouvelle Commission européenne ainsi que par le nouveau Parlement européen. Beaucoup de contributions en amont ont été livrées par les parlementaires actuels (citons entre autres un rapport d’Angélique Delahaye – groupe PPE, LR en France – pour réduire la volatilité des prix agricoles, ou un autre du socialiste Eric Andrieu pour « un autre modèle agricole« , liste non exhaustive), mais les grandes décisions ne seront prises qu’après les élections européennes. Celles-ci seront donc décisives pour le monde agricole français…
Le Président de la République Emmanuel Macron va bel et bien inaugurer, comme de tradition, le salon de l’agriculture ce samedi. La question méritait d’être posée. Ce n’était pas si évident, compte tenu non pas du contexte agricole, mais des conflits récents en marge des mouvements des Gilets jaunes. Sans parler de la menace terroriste toujours présente, mais celle-là, malheureusement, depuis plusieurs années déjà. On imagine les précautions prises par son entourage… Mais au-delà, en quoi les Gilets jaunes influenceront-ils (ou pas) le salon de l’agriculture ?
On l’a noté, les agriculteurs ne se sont pas montrés parmi les plus actifs lors des manifestations des Gilets jaunes. Pour autant, plusieurs d’entre eux participent volontiers. On peut donc facilement imaginer des rassemblements de Gilets dans l’enceinte du salon de l’agriculture. Dans ce cas, la volonté affichée serait d’y afficher l’esprit originel du mouvement, celui d’une contestation légitime de la baisse incessante du pouvoir d’achat pour les familles rurales, et non le dernier visage montré, fait de casses et d’infiltrations par des extrémistes de tout poil. Les contrôles et le service d’ordre naturellement présent au salon de l’agriculture devraient d’ailleurs favoriser l’émergence d’un mouvement pacifiste… Si tant est qu’il soit effectivement prévu. Ce samedi 23 février correspondra à l’acte XV des Gilets jaunes ; pour l’instant je n’ai rien lu dans la presse ou les réseaux sociaux qui fasse correspondre cet acte XV avec le salon de l’agriculture.