L’accord de libre-échange signé entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) est significatif d’une Europe en totale perte de ses repères, prête à vendre son secteur productif agricole pour sauver des emplois dans le secteur automobile, calculatrice dans son fonctionnement interne qui n’a plus de démocratique que le nom, intéressée par le court terme sans souci des générations futures.
« L’argent est un outil, l’outil est fait pour servir l’homme, et non l’inverse… » Je me souviens de cette phrase, prononcée par un illustre inconnu, à côté de qui je me trouvais en octobre dernier lors de la messe prononcée à Sainte-Anne d’Auray en hommage aux familles d’agriculteurs s’étant suicidé… Elle me semble tellement à propos aujourd’hui. Pour un profit immédiat, l’Europe, notre Europe démocratique, pour laquelle nous nous sommes déplacés plus nombreux que prévu récemment en exprimant chacun nos préférences dans les urnes, cette Europe donc, bouscule son processus de fonctionnement interne pour un profit immédiat, à courte vue.
Les décisions européennes se prennent selon un consensus entre trois entités : la Commission européenne (partie administrative), le conseil de l’Europe (le chefs d’Etat ou ministres les représentant), et le Parlement européen (les députés directement élus par leurs peuples). Cette signature de l’accord de libre-échange intervient à un moment exceptionnel, et ce n’est évidemment pas dû au hasard : celui où nous sommes entre deux sessions du Parlement européen, les sortants sont partis, les nouveaux élus pas encore installés. En d’autres termes, la Commission européenne a pu faire fi des avis de vigilance lancé par les parlementaires, les anciens comme les nouveaux d’ailleurs, pour négocier à sa guise, avec la bénédiction des chefs d’Etat (dont Emmanuel Macron qui s’est réjoui de l’accord). L’équilibre démocratique trouvé pour la gouvernance de l’Europe est ainsi bafoué par la signature de cet accord à ce moment très précis du calendrier. Cette signature est légale, pour autant elle sort du cadre de l’esprit démocratique insufflé au sein même de l’Europe.
Rien qu’à ce niveau, des questions d’ordre politique se posent : faut-il réformer en profondeur l’Europe ? Pourquoi continuer d’accorder une importance décisionnelle aussi importante à sa part administrative, en particulier si elle l’utilise pour aller à l’encontre des intérêts de ses citoyens ? La démocratie, ce sont les élus qui la font respecter…
Que contient l’accord ? D’un côté, l’Europe est gagnante sur les voitures, les pièces détachées, les équipements industriels, la chimie (au passage, ceux qui ne veulent plus de chimie dans leur assiette la retrouveront qu’ils le veuillent ou non…), l’habillement ou les produits pharmaceutiques. Au niveau agricole, le commissaire européen a annoncé de larges quotas à l’export de fromages et autres produits laitiers vers les pays du Mercosur. De l’autre, et c’est là que ça fait mal, 99 000 tonnes de viande de boeuf par an, 100 000 tonnes de volailles, tandis que le sucre, déjà importé, se voit accordé un contingent supplémentaire de 180 000 tonnes.
En d’autres termes, alors que l’élevage à viande est déjà en crise en Europe et plus particulièrement en France, on va importer des stocks de viande supplémentaires, qui vont venir concurrencer les productions internes. Ou comment l’autonomie alimentaire de l’Europe est menacée par la vente de quelques Volkswagen au Brésil ou en Argentine…
Car les voitures qui vont partir d’Europe pour le continent sud-américain seront essentiellement allemandes. Aujourd’hui encore, elles sont construites en Allemagne (c’est l’intérêt de l’accord, maintenir le tissu socio-économique industriel allemand). L’Allemagne est d’autant plus intéressée que pour la contrepartie, ses éleveurs sont certainement les plus costauds économiquement d’Europe, en grande partie grâce à la méthanisation, installée quasiment partout désormais sur son territoire : ils ont une chance de supporter la concurrence nouvelle.
Mais la France ? Où est son intérêt ? En ce qui concerne les produits laitiers et fromages, on sait où va le profit : les éleveurs laitiers français sont parmi les moins rémunérés d’Europe, alors que dans le même temps le patron de Lactalis, pour ne citer que lui, figure régulièrement dans les classements des plus grosses fortunes françaises.
Pour faire passer la pilule, il existe une sorte de clause de sauvegarde de l’agriculture européenne, s’il devait y avoir danger pour elle. Seulement cette clause ne comprend que l’industrie agroalimentaire, pas l’ensemble des hommes et des femmes qui la fournissent. Ainsi, les échanges de marchandises pourraient être « réglementés » si, je cite, le flux des importations était susceptible de « causer un préjudice grave à l’industrie » alimentaire. A l’industrie, et non aux éleveurs donc, la nuance n’est pas neutre : une industrie peut ne pas être dans le rouge mais perdre ses fournisseurs locaux…
Un autre volet concerne la santé et l’environnement, là aussi possibilité d’interrompre les échanges en cas de problème… Seulement WikiAgri vous a déjà prévenu : problème il y a dès à présent puisque, avant la mise en place de cet accord, les contrôles sont déjà insuffisants pour se rendre compte des alertes à donner !
Qui plus est, pour l’environnement, il s’agit uniquement de vérifier que la forêt amazonienne n’est pas empiétée davantage. Pas question d’environnement social, avec des salariés parmi les moins payés au monde. Il y aurait pourtant à dire, sur le plan humain, avant d’accepter cette concurrence…
L’article de WikiAgri date précisément du 13 avril 2018, les choses n’ont pas changé depuis : il est aujourd’hui impossible d’assurer la traçabilité de la viande brésilienne en cas de problème sanitaire avéré. Les « lots » contrôlés à la sortie des abattoirs voient des bêtes de trop de fermes différentes pour que l’on sache de laquelle vient ce problème. Et comme, nous venons de le voir, les contrôles français sont insuffisants ensuite… Ce n’est pas être alarmiste que d’affirmer que les probabilités d’avoir un problème sanitaire majeur dans nos assiettes vont se multiplier avec l’arrivée des contingents de viande sud-américaine.
Au-delà, avec cet accord, on pousse les Sud-Américains à produire plus, donc à intensifier leur agriculture (plus de rendements, plus de phytosanitaires…) : ce dont on ne veut pas chez nous, on l’impose aux autres.
En conclusion, nos éleveurs, déjà en mauvaise posture pour nombre d’entre eux, vont se trouver face à une concurrence de produits façonnés sans les mêmes normes d’exigence, moins chers grâce à une main-d’oeuvre très peu rémunérée (notamment pour la chaine d’abattage), et sans recours. De fait, ils vont, pour beaucoup, arrêter. En espérant que ça n’aille pas au-delà.
Et voilà comment on perd l’autonomie alimentaire dans un pays qui savait tout faire : on laisse passer d’abord les fruits et légumes espagnols au nom du marché commun, puis les viandes brésiliennes et argentines au nom du mondialisme, et tous les savoirs nationaux s’envolent en même temps que les productions…
Pour conclure, à voir cette vidéo trouvée sur Facebook, d’un éleveur de Mayenne désabusé, qui résume plutôt bien l’état d’esprit ambiant dans nos campagnes après la signature de cet accord :
Notre illustration ci-dessous est issue de Adobe.