Jean-Paul Pelras émet des opinions qui sont aussi iconoclastes que son parcours est singulier. Son analyse de l’évolution de l’agriculture n’est pas faite pour plaire, elle est aussi cinglante que les temps actuels savent devenir cruels pour bon nombre de paysans. Son dernier ouvrage, Le journaliste et le paysan, montre un monde paysan à l’agonie, victime notamment de la bien-pensance ambiante.
De temps en temps, cela fait du bien. De voir quelqu’un qui frappe du poing sur la table et qui pousse une gueulante, en quelque 200 pages ! Le nombre de paysans baisse chaque jour en France sans que plus personne ne se révolte, les rares tentatives qui subsistent étant vite ramenées à la raison…
Jean-Paul Pelras a toute légitimité pour vociférer dans le porte-voix par sa plume : il l’a déjà fait au sens propre du terme. Journaliste quinqua désormais, il fut arboriculteur et maraicher en son temps, et même syndicaliste engagé : à l’époque, de l’Aubrac aux Pyrénées-Orientales, il menait le combat, parfois houleux, consistant à refuser les importations espagnoles de fruits et légumes, moins chères car ne répondant pas aux mêmes normes sociales, et venant concurrencer fortement les producteurs du sud-ouest de la France, qui ont d’ailleurs disparu depuis par dizaines. Désormais rédacteur en chef de l’Agri des Pyrénées-Orientales et de l’Aude, auteur de plusieurs ouvrages, il fustige régulièrement dans ses chroniques hebdomadaires la bien-pensance de notre société qui conduit peu ou prou à la disparition du monde agricole.
C’est d’ailleurs le titre de l’un des chapitres de son dernier ouvrage, Le journaliste et la paysan, paru il y a quelques mois aux éditions Talaia : « Dans quinze ans, les agriculteurs français auront disparu » (page 89).
Morceau choisi : « (…) Les faits et les chiffres sont là, il ne reste que 400 000 agriculteurs dans l’Hexagone. 25 fois moins qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale (Ndlr : la citation exacte est 250 fois moins, mais il s’agit d’une coquille). Mépriser le paysan aujourd’hui revient à oublier un trop vite ce qu’il représente pour nos sociétés. Plus de paysans, plus de nourriture ! Si l’équation peut paraitre évidente, elle semble pourtant échapper totalement à ceux qui font de l’agriculteur leur cible idéale dès qu’il faut trouver un coupable aux pollutions, aux inondations, aux scandales alimentaires et aux déséquilibres environnementaux. Mais attention, car, à ce jeu-là, ceux qui portent l’attaque finiront aussi par remporter la mise. Tout simplement car le monde agricole est fatigué. Usé par trop de contraintes, par trop de mesures coercitives, par trop de normes inadaptées, par trop de difficultés financières, par trop de stigmatisations injustifiées, il finira par envoyer valser le métier par-dessus les moulins en incitant ses propres enfants à choisir un autre destin.«
Au fil des chapitres, dont quelques-uns reprennent des éditoriaux rédigés pour L’Agri, Jean-Paul Pelras s’en prend aux environnementalistes, aux politiques, aux bricoleurs, aux philosophes… Et même aux cons ! Tous mis dans le sac de ceux qui modifient l’agriculture à leur guise, selon leurs propres idées reçues, loin du terrain et de ses hommes. Il y va franchement, explique pourquoi, à l’inverse des usages, il a refusé de rendre hommage à un président de chambre d’agriculture décédé : parce qu’il a su que jadis ce même homme avait été milicien pendant la deuxième guerre mondiale. Auteur d’une contribution touchante à la mémoire d’Anne Franck pour une exposition à son nom à Nîmes, Jean-Paul Pelras se voyait mal rendre hommage à l’un de ceux qui avait envoyé la jeune femme juive à la mort…
Devant ce traumatisme que vit l’agriculture, et pour lequel certains de ses acteurs portent une responsabilité dit-il, que propose-t-il ? La rébellion ! Oh, il est le premier à écrire que le temps des grandes manifestations agricoles a vécu, que les moyens d’action avec des effectifs affaiblis ne sont plus les mêmes. Mais préserver son pouvoir d’indignation, et sa dignité, c’est si important !
Deuxième (et dernier pour cet article, je vous invite à vous procurer le livre pour lire l’ensemble de la réflexion) morceau choisi, page 72. Dans un chapitre intitulé « Le sens de l’histoire », Jean-Paul Pelras évoque un maraicher de ses amis qui a quitté ses terres de Rivesaltes (10 hectares de salades) pour aller s’installer bien plus au sud, en Espagne. Là-bas, avec des conditions très favorables (charges sociales sur les salariés et saisonniers, normes diverses), il est passé à 600 hectares de salades diverses et artichauts, avec 250 salariés équivalent temps plein. Au regard de la désolation de l’autre côté des Pyrénées où les arrêts d’exploitations se sont comptés par dizaines, l’auteur livre cette réflexion : « Si nous étions tous partis en Espagne ? Si nous avions cessé d’entretenir le territoire une bonne fois pour toutes ? Si nous avions cessé d’employer des milliers de salariés en générant une des premières inductions économiques et sociales de ce département ? Si nous étions partis investir nos devises et notre savoir-faire à Almeria ou à Murcia pour payer nos impôts dans ces provinces où les charges sociales n’ont aucune commune mesure avec celles qui ont ruiné notre agriculture de côté-ci des Pyrénées ? C’est peut-être la réponse qu’il aurait fallu opposer aux dirigeants français et bruxellois qui méprisent nos paysans.«
Le monde agricole peut-il être sauvé ? Les éleveurs à viande qui vont voir venir celle des pays du Mercosur vont-ils subir le même sort que les arboriculteurs du sud-ouest devant la concurrence espagnole ? Ce sont des vraies questions que posent Jean-Paul Pelras…
Avec les préfaces de Jean Lassalle et Jean-Marc Majeau, ce livre riche en réflexions et en informations fait grincer des dents. Parce toute vérité ne serait pas bonne à dire...
En savoir plus : www.editions-talaia.com/index.php?cID=168 lien pour commander l’ouvrage de Jean-Paul Pelras, Le journaliste et le paysan.
Ci-dessous, photo-montage, une du livre, portrait de Jean-Paul Pelras.
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L’iconoclaste qui brandit l’icône de feu le paysan !
Le journaliste qui ne voit qu’une bien-pensance (celle de tous les autres) !