Le salon de l’agriculture est considéré comme la vitrine de l’agriculture, et montre traditionnellement, et avec fierté, les meilleurs aspects (vaches et autres animaux magnifiques, excellence des produits du terroir) d’un secteur économique apparemment florissant… Sauf que, depuis plusieurs années, la crise gronde. Et cette année particulièrement, cette crise ne sera plus réservée à l’arrière-boutique, on la verra dès la vitrine.
En temps habituels, même si tout n’est pas parfait partout, les revendications s’arrêtent le temps du salon de l’agriculture. Sans qu’aucun mot d’ordre ne soit donné, tout le monde se retrouve derrière l’idée qu’il faut donner une belle image de l’agriculture aux citadins, qu’il faut savoir combler ce sempiternel sentiment d’être mal aimé. Et puis on respecte ceux qui font le déplacement, qui doivent rentrer dans leurs frais par la vente de produits, pas question de leur « casser la baraque »…
Mais depuis quelques années, doucement mais sûrement, le torse est un peu moins bombé. On trouve des emplacements vides d’éleveurs qui n’ont pas fait le déplacement, remplacés à la dernière minute. La fête, le partage des meilleurs moments avec la foule parisienne deviennent presque factices… Il n’existe pas un seul secteur de l’agriculture qui n’ait récemment souffert de la crise, et cela se ressent.
Cette année 2018 est en plus particulière : outre les très nombreux sujets d’inquiétude (la liste suit), il s’agit en effet du dernier salon de l’agriculture avant les élections professionnelles pour les chambres d’agriculture (en janvier prochain) : en d’autres termes, en plus des inquiétudes légitimes, chaque syndicat agricole, que ce soit pour conserver ses prérogatives, ou pour tenter de se les octroyer, se retrouve dans l’obligation d’occuper le terrain, et ne va pas s’en priver durant cette huitaine. Exit la vitrine et la paix de façade, le visiteur ne pourra pas ne pas se rendre compte de quelque chose…
Rien que ces dernières semaines, des manifestations agricoles ont été organisées dans plusieurs régions de notre territoire.
Du Centre jusqu’aux Pyrénées, le retrait du classement de nombreux villages en zones défavorisées a causé un immense émoi. En effet, ce classement permet aux fermes de récupérer une aide européenne, l’ICHN (indemnité compensatrice au handicap naturel), qui va (annuellement) de 5 à 15 000 €. Elle correspond à une compensation par rapport à des défauts du terrain (d’où le nom de « handicap naturel ») tels que les rendements y sont bien inférieurs aux zones de plaine : les sommes allouées correspondent au manque à gagner par rapport à l’agriculture en zone « favorisée ». Ce jeudi, Emmanuel Macron a promis une nouvelle carte des zones défavorisées dévoilée prochainement… Mais nombreux sont les agriculteurs qui sont devenus financièrement dépendants de cette aide, d’où une inquiétude forte et légitime.
En Bretagne, tous les mercredis les syndicalistes investissent les grandes surfaces et font des relevés de prix, ils veulent vérifier qu’elles tiennent l’engagement de laisser une marge aux producteurs.
Ce mercredi, des manifestations ont eu lieu un peu partout en France pour mettre l’accent sur le risque encouru avec la signature annoncée imminente d’un accord de libre-échange entre l’Europe et le Mercosur (les pays de l’Amérique latine). Or, cet accord contient l’importation en Europe de lourds contingents de viande bovine, ainsi que de bioéthanol. De quoi concurrencer largement nos éleveurs et autres producteurs de betteraves.
Toujours ces derniers jours, le gouvernement a dévoilé son « plan loup », qui consiste à autoriser la population de ces animaux à croître jusqu’à 500 unités dans les prochaines années… Au grand dam des bergers de montagne !
Enfin, tout récemment également, la Commission européenne a émis le souhait de réorienter à l’avenir (après 2022) près de 120 milliards d’euros du budget de la Pac (politique agricole commune) vers d’autres missions européennes (défense commune, sécurité…). Soit autant de moins pour les agriculteurs.
Cette liste est déjà longue, et pourtant elle ne contient que l’actualité immédiate. Il serait facile de la rallonger simplement en observant chaque filière les unes après les autres. Sans parler des atteintes à la ruralité qui touchent par ricochet les agriculteurs.
Dans ce contexte, on imagine que les opérations de sensibilisation ne vont pas manquer pendant ce salon de l’agriculture. Et pas obligatoirement du fait des centrales syndicales nationales d’ailleurs, certaines régions prennent parfois des initiatives. Il y a deux ans, le stand du ministère de l’agriculture avait ainsi été détruit sans qu’aucun mot d’ordre dans ce sens n’ait été donné depuis Paris. Selon nos sources, la journée de lundi serait propice à certaines actions…
Au-delà, il est clair que les politiques en visite seront probablement apostrophés. Le Président de la République inaugure le salon ce samedi. Il croisera peut-être, si le hasard le veut, François Asselineau, qui fut candidat aux dernières présidentielles et dont la ligne politique anti Europe, le Frexit, compte des partisans parmi les agriculteurs. Lundi en fin de journée, Valérie Pécresse ira sur le stand de sa région, l’Ile de France. Mardi, Edouard Philippe, Xavier Bertrand (en particulier sur le stand des Hauts-de-France) ou encore Laurent Wauquiez parcourront les travées du salon. Mercredi, les mêmes seront encore là, et croiseront peut-être le cortège de Marine Le Pen. Jeudi, Jean Lassalle, grand défenseur du monde rural, s’attirera de probables nouvelles sympathies parmi les exposants. Voici pour les agendas connus. Par ailleurs, le secrétariat de la présidence du Sénat fait savoir que Gérard Larcher n’a pas prévu de visite cette année…
A 10 mois des élections consulaires pour les chambres d’agriculture, en plein marasme en attendant les résultats promis par le Président de la République qui reste résolument confiant sur le résultat de ses états généraux de l’alimentation, les agriculteurs ne vont pas se priver de montrer leurs angoisses. Et cela, pour une fois, sous les yeux des visiteurs parisiens.
Ci-dessous, photo de l’édition 2017.