Ce 18 octobre, un accord de libre-échange est intervenu entre l’Union européenne d’une part et le Canada d’autre part. Cet accord concerne à 93 % le secteur agricole. Les négociations ont abouti à une situation très favorable au secteur laitier européen… Mais avec des contreparties.

Le propre de tout accord bilatéral tenant compte de multiples secteurs est de fonctionner sur une base de vases communicants. Ce que l’on gagne d’un côté, il faut accepter de le perdre de l’autre. Mais la réciproque est aussi vraie.
L’accord intervenu tout récemment pour un libre échange des marchandises entre l’Europe et le Canada a déjà été décrié pour les risques qu’il fait courir à la filière viande. Ils sont réels, j’y reviens plus loin. En revanche, personne (ou presque) n’a souligné tous ses bienfaits pour la filière laitière.
En gros, que comprend l’accord ? Selon la dépêche AFP reprise par plusieurs quotidiens : « Concrètement, le quota de fromages européens admis par le Canada sans droits tarifaires va augmenter de plus de 16 800 tonnes, pour une valeur estimée de 150 millions d’euros par an, tandis que l’Union européenne importera sans droits tarifaires 15 000 tonnes de boeuf congelé, près de 31 000 tonnes de boeuf frais, ainsi que 75 000 tonnes de porc et 8 000 tonnes de maïs doux. » Parallèlement, l’accord contient également une reconnaissance de plusieurs indications géographiques, dont cinq fromages (feta grecque, munster français, gorgonzola, faissina et asiago italiens, il y a également des produits à base de viande comme des jambons italiens ou le foie gras de canard du Périgord).
De fait, il s’agit d’un marché supplémentaire pour les produits laitiers européens. Qui plus est, l’accord avec le canada ouvre la voie à ceux attendus avec les Etats-Unis et le Japon, où l’on peut raisonnablement penser que l’on ira globalement dans le même sens. Ainsi, l’Europe crée des marchés pour son secteur laitier, au moment où, en 2015, doit intervenir la fin des quotas laitiers. N’est-ce pas là finalement une opportunité à saisir ? Nous pouvons donc produire plus de lait en France, il existera un marché pour cela, donc la possibilité de le faire en maintenant les prix. Car le maintien des prix reste la préoccupation numéro 1 de nos éleveurs laitiers à l’aube de l’après quotas. L’accord entre l’Europe et le Canada est en soi insuffisant en volumes pour sauver la filière laitière européenne, mais elle ouvre des perspectives réelles lorsque l’on pense aux autres accords qui doivent suivre.
Pour la France, c’est très important, notre secteur laitier reste celui qui, bon an, mal an, installe le plus de jeunes et attire le plus de vocations. Avec des débouchés renouvelés en vue, l’attractivité revient.
En revanche, la viande trinque…
Comme je le disais plus haut, la filière viande, elle, trinque dans cet accord. Et de même que les bonnes nouvelles laitières en présageaient d’autres, de même les mauvaises émanant de la viande ne semblent que pouvoir empirer.
Chrisitian Pèes, président de la Cogeca (confédération générale européenne des coopératives agricoles), s’est ainsi exprimé : « L’UE a accepté d’octroyer un accès accru au marché pour d’importants volumes de viande bovine et porcine. Nous ne pouvons l’accepter, même si cette viande ne contient pas d’hormones. Nous souhaitons que les ministres européens et les eurodéputés en tiennent compte lorsqu’ils approuveront le texte final. La viande bovine est un produit sensible pour nous et la production européenne est menacée. Cet accord aura pour conséquence une hausse importante des importations. Pour le secteur de la viande bovine, nous aurions souhaité une meilleure répartition entre viande fraîche, réfrigérée et congelée, en faveur de la viande bovine congelée.«
De son côté, le président du Copa (confédération européenne des producteurs agricoles), le Néerlandais Jan Maat (récemment élu ce poste), après avoir apprécié les indications géographiques et la partie « lait » (« Malgré quelques lacunes à cet égard dans l’accord, le Canada est le premier grand partenaire commercial à reconnaître le principe de notre système d’IG. (…) Je me réjouis également du fait que les dispositions concernant le secteur laitier soient plus positives que dans les propositions initiales. Les fromages européens disposeront ainsi d’un plus grand accès au marché canadien.« ), a également mis en garde sur celle concernant les viandes : « Cet accord signé entre le Président de la Commission européenne et le Premier ministre canadien va plus loin que ce qui avait été prévu pour les secteurs de la viande porcine et bovine dans le cycle actuel de négociations de libéralisation du commerce mondial. Nous devons tout mettre en œuvre pour que le marché de la viande ne subisse pas de perturbations. »
Concrètement, en pleine crise de l’agroalimentaire breton, ce sont les grandes unités de produits transformés de viande qui pourraient être à terme menacées. Les petits élevages trouveront toujours des débouchés dans les filières courtes, mais pour ceux qui sont plus importants, cela paraît moins évident.
Sortir de la crise du lait, risquer d’en créer une en viande…
Sortir de la crise du lait en risquant d’en créer une sur le secteur des viandes, fallait-il choisir cette voie ? Oui, à condition que les avertissements des producteurs et coopérateurs soient suffisamment entendus pour que l’afflux de viandes soit fait « intelligemment » par rapport aux structures existant en Europe, qu’il convient de ne pas déstabiliser au-delà de la crise que connaît notamment l’agroalimentaire breton en ce moment.
Mais si cette condition ne devait pas être remplie, la question reste franchement posée…
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/les-enjeux-agricoles-dun-accord-entre-leurope-et-les-etats-unis/631 (notre précédent article sur le sujet, avec une vue plus générale de l’ensemble des accords bilatéraux en cours).