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Les enjeux agricoles d’un accord entre l’Europe et les Etats-Unis

L’accord de libre-échange en négociation entre l’Europe et les Etats-Unis soulève des inquiétudes chez les agriculteurs. Sont-elles fondées ? Pour bien comprendre les enjeux, filière par filière, WikiAgri s’est renseigné aux sources du lobbying, à Bruxelles.

En fait, il faut déjà établir le contexte et le calendrier. L’Europe a ouvert en peu de temps trois négociations indépendantes l’une des autres pour des accords de libre-échange, avec le Japon, le Canada et donc les Etats-Unis. Il faut donc les envisager toutes les trois, sans se limiter à la seule négociation avec les Etats-Unis, certes davantage médiatisée que les autres, ne serait-ce qu’avec l’exception culturelle négociée par la France au sein de l’Europe qui a fait la Une de l’actualité récemment. Mais ce que le Canada obtiendra, les Etats-Unis le demanderont aussi, d’où l’importance de considérer les trois négociations.

Ces négociations doivent déboucher sur des accords, qui pourraient intervenir en 2015, mais plus vraisemblablement plus tard : le temps des discussions est donc suffisamment long pour les grandes lignes des contrats soient tracées, mais aussi les petits caractères débattus. Si ces accords devaient être concluants, ils pourraient servir ensuite de modèle aux échanges mondiaux régulés par l’OMC, l’organisation mondiale du commerce : c’est dire toute leur importance. D’où, aussi, le temps imparti avant de parafer.

J’ai eu l’opportunité de discuter avec Arnaud Petit, directeur produits et matières premières du Copa-Cogeca, syndicat fédératif européen des producteurs et des coopératives. Il m’a rapporté le point de vue du Copa-Cogeca, et la façon dont ce représentant officiel des agriculteurs et entreprises coopératives européens souhaite intervenir sur le cheminement des négociations. Ainsi, le Copa-Cogeca aimerait que ces négociations se déroulent par étapes en ce qui concerne l’agriculture. Dans un premier temps, espère-t-il, il faudrait discuter des données sanitaires et phytosanitaires. En effet, les deux ensembles n’ont pas les mêmes normes pour défendre leurs consommateurs. Ils ont toutefois un point commun, ils veulent l’un et l’autre assurer la sécurité sanitaire, d’où la possibilité d’aller vers des points de convergence en la matière, même si l’alignement total reste utopique. Pour citer un exemple précis, les produits laitiers européens (fromages…) subissent aujourd’hui des contrôles sanitaires tels à l’entrée aux Etats-Unis qu’ils sont souvent considérés comme insanes, ou surtaxés. Alors qu’ils sont déjà contrôlés dès leur production mais avec des critères différents. L’idée consisterait à faire agréer par les Etats-Unis les contrôles européens en la matière. Autre exemple, les Etats-Unis ont classé nos productions bovines en « zone ESB », alors que cette maladie n’existe plus chez nous et que nos contrôles en la matière sont plus approfondis que chez eux. La traçabilité sur les viandes bovines peut devenir aussi un enjeu de négociation.

Par rapport aux peurs exprimées par les uns ou les autres dans différents médias, il existe effectivement un risque de voir certaines productions américaines, tels les porcs ou les volailles, venir déstabiliser les productions européennes. Avec un préalable sur les données sanitaires, déjà cela signifie un autre mode de production dès les Etats-Unis pour ces filières (en Europe, on n’accepte pas la croissance, disons boostée, des porcs américains, ni l’utilisation du chlore pour « laver » les volailles de toute impureté), et en plus il devient possible de négocier des contreparties, l’exportation de produits laitiers, de vins, d’huile d’olive, aujourd’hui freinée par les normes actuelles de chacun. Par ailleurs, pour pouvoir exporter davantage, le Copa-Cogeca serait pour que l’Europe demande aux Etats-Unis d’avoir davantage de points d’entrée (zones portuaires notamment) pour les produits européens qu’ils n’en ont actuellement. Et l’accord déséquilibré qui est parfois annoncé avec une dose excessive de catastrophisme deviendrait alors un échange d’opportunités de marchés.

Enfin, il faut savoir que si les discussions ne prenaient pas cette allure espérée d’échanges de bons procédés, il existe toujours la possibilité d’inscrire une filière comment étant « secteur sensible », et donc de la protéger spécifiquement en préservant, juste pour elle, une dose de taxes sur les produits importés.

Mais encore une fois, nous n’en sommes qu’au début d’un long processus de discussions. Et WikiAgri aura donc l’occasion de revenir sur ce sujet.

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1 Commentaire(s)

  1. « Croisée des chemins »

    Tout indique que l’agriculture se trouve, aujourd’hui, à la « croisée des chemins », pour reprendre le titre d’un document de près de six cents pages, publié en 2008, connu sous le nom de Rapport de l’IAASTD. Hans Herren, président du Millénium Institute à Washington et un des auteurs principaux du rapport, a souligné l’urgence de « changer de paradigme agricole », pour pouvoir faire face aux multiples crises qui menacent la stabilité du monde et la souveraineté alimentaire des peuples : la crise du climat, de la biodiversité, de l’eau, la crise financière, sociale, économique, sanitaire, énergétique et alimentaire. Or, l’agriculture constitue un puissant levier pour agir sur toutes ces crises, à condition bien sûr que l’on change de paradigme, car le système agro-industriel, loin de les atténuer, au contraire, les accélère. Réchauffement climatique L’agriculture industrielle est responsable de 14% des émissions de gaz à effet de serre, car elle repose sur l’usage de pesticides et d’engrais chimiques, fabriqués avec du gaz et du pétrole ; elle repose aussi sur la mécanisation et le transport des denrées agroalimentaires, très gourmands en énergies fossiles. Il s’ajoute 19% dus à la déforestation, pratiquée majoritairement pour développer des monocultures comme le soja transgénique, qui nourrissent les animaux des élevages industriels, ou pour produire des agro carburants. Enfin, l’élevage est l’une des principales causes du réchauffement climatique, puisqu’il totalise 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Faut-il rappeler que les émissions de CO2 n’ont jamais augmenté aussi vite qu’au cours de la dernière décennie : 3 % par an en moyenne, soit trois fois plus que lors de la décennie précédente. Nous sommes sur la trajectoire des pires scénarios imaginés par le GIEC, le groupement interministériel sur l’évolution du climat. Destruction des ressources naturelles La part du secteur agricole dans la consommation mondiale de l’eau atteint aujourd’hui 70%, en raison notamment des techniques d’irrigation que nécessite l’agriculture industrielle. Un peu partout dans le monde on assiste au développement de conflits autour de la gestion des ressources aquifères. 25% des sols où ont été développées les monocultures de la « révolution verte » sont complètement érodés, voire morts. Le prix des aliments issus de l’agriculture dite « conventionnelle » est faussé par le jeu pervers des subventions accordées aux producteurs des pays du nord, et la non prise en compte des externalités, c’est à dire des coûts indirects induits par le modèle agro-industriel, comme la facture environnementale (contamination de l’eau, de l’air, érosion des sols, destruction de la biodiversité) et sanitaire (paysans malades ou morts, maladies des consommateurs et riverains). Une étude publiée en 2009 par le parlement européen a révélé que si on interdisait en Europe les seuls pesticides cancérigènes, on économiserait 26 milliards d’Euros par an. David Pimentel de l’Université Cornell a estimé, en 1992, que le coût environnemental et sanitaire de l’usage des pesticides aux Etats Unis s’élevait à dix milliards de dollars. L’exposition aux pesticides peut provoquer des effets négatifs sur le système de la reproduction, sur le système hormonal et endocrinien ou sur le système neurologique, conduisant aux maladies de Parkinson ou d’Alzheimer. D’ailleurs, la Sécurité Sociale a récemment reconnu la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle…

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