2018 agriculture

Que peut espérer le monde agricole en 2018 en France ?

Depuis quelques années, le réalisme s’impose dans l’agriculture française. Il n’est plus question de présenter les choses de telle ou telle manière, mais de s’acclimater, constamment, aux contextes évolutifs, sous peine de connaître des lendemains qui déchantent. Pour 2018, les événements prévisibles dépendront de ce que la France fera des états généraux de l’alimentation, de la déclinaison nationale des changements de la Pac issus de l’omnibus, mais aussi des concrétisations (ou non) des accords de libre-échange entre l’Europe et, notamment, les pays du Mercosur.

Le statu quo n’est plus possible. Dans tous les cas de figure, il faudra faire avec les évolutions de son temps, en espérant (ou en oeuvrant) toutefois pour que celles-ci correspondent aussi aux besoins de l’agriculture française… Vaste projet, à l’heure où le phénomène de mode du véganisme peut détruire l’élevage allaitant (avant probablement de s’effondrer plus tard, mais le mal sera fait), où le « pragmatisme libéral » qui souffle sur la Commission européenne peut autoriser la signature de contrats de libre-échange où les contingents de productions agricoles formeront de magnifiques monnaies d’échanges, où le suicide agricole n’est toujours pas comptabilisé sérieusement de peur que l’on ne s’occupe trop du phénomène, où la profession agricole elle-même refuse son autocritique (ou tout simplement son retard par rapport aux changements de la société) pour la part de responsabilité qui lui incombe, où plus personne n’attend plus rien du politique…

La défiance est partout, et surtout par rapport « aux autres ». Les agriculteurs étant de moins en moins nombreux en France, à l’inverse les « non agriculteurs » sont de plus en plus prolifiques pour critiquer leurs pratiques. Pendant longtemps, selon leurs vertus traditionnalistes, les agriculteurs se sont arc-boutés pour contester ce qui leur était reproché. Aujourd’hui toutefois, il ne s’agit plus d’orages sporadiques, mais de véritables lames de fond qui se déversent à leur encontre. À tel point qu’au sein même de la profession, on n’écoute plus les petites voix qui crient au secours ou à l’abandon. Car il y en a pour toutes les cultures. En vrac : l’élevage pollue, les atteintes au bien-être animal (même si parfois mal définies) ne sont plus supportables, les produits utilisés en cultures polluent, l’arboriculture ou le maraichage et même aujourd’hui la viticulture doivent être bio ou rien… La suspicion est partout, y compris lorsqu’elle est entretenue par des méconnaissances et par le commerce de la peur davantage que par des arguments fondés.

Dans ce contexte sociétal très compliqué, il faut encore pouvoir se rattacher à des repères, à des textes, à des lois, à des décisions politiques. A des événements prévisibles, inscrits sur l’agenda.

Les états généraux de l’alimentation

Le premier de ceux-ci, reste les états généraux de l’alimentation. Ils se sont officiellement terminés fin 2017… Par des discours. Restent les actes ! Ces états généraux étaient censés apporter des solutions pour redonner une valeur au prix des produits agricoles. Sur le papier, on annonce avoir trouvé la solution miracle, à savoir établir le prix en partant du coût de revient de l’agriculteur… Mais quand il faudra passer à la pratique, la question de savoir comment établir un tarif sur ce coût de revient va se poser. Et là, problème ! Le coût de revient est différent d’une ferme à l’autre, et évolue même dans la durée au sein d’une seule ferme. Cela ressemble à la quadrature du cercle. On imagine alors un coût de revient « moyen » calculé pour la ferme France. Mais alors, que se passera-t-il pour ceux qui n’arriveront pas à l’atteindre ? Xavier Hollandts, enseignant à Kedge Business School, imagine la mise en place d’une péréquation, ceux qui seraient « larges » par rapport au prix affiché versant plus que celui-ci, de manière à ce que la cagnotte ainsi constituée rémunère leurs homologues en difficulté… Mais cette ébauche de solution n’a encore jamais été discutée, ni aucune autre. On s’est contenté, pour le moment, de parler d’inversion du processus d’établisement du prix, en partant du producteur. Sans jamais dire comment. On ne peut qu’imaginer une grande bagarre au moment où, en 2018 donc, on en arrivera à des arbitrages pour fixer les prix… Pour défendre des intérêts, entre partis politiques pour les débats législatifs au parlement (puisqu’une nouvelle loi doit voir le jour), entre agriculteurs aussi (d’autant que les prochaines élections aux chambres d’agriculture auront lieu tout début 2019, donc 2018 sera une année, aussi, de stratégie de politique syndicale), et bien sûr les grandes surfaces ou autres industriels ne vont pas attendre trop gentiment le résultat et vont oeuvrer chacun pour une bonne part du gâteau. Si le gouvernement Macron veut réussir dans cette entreprise, il va lui falloir de l’imagination pour trouver des solutions réelles y compris dans les détails, et une sacrée poigne pour les faire respecter…

Les nouveautés de la Politique agricole commune

Autre élément qui doit changer la donne chez les agriculteurs dès le premier semestre 2018, la révision de la Politique agricole commune à mi parcours. Suite à un travail fourni par différents députés européens spécialistes des questions agricoles (dont Michel Dantin pour la France), la Pac actuelle sera toilettée très rapidement désormais. En substance : le droit à un contrat écrit pour les agriculteurs, la validation de la possibilité donnée aux interprofessions d’être reconnues et de négocier le partage de la valeur ajoutée. Des éléments qui devraient faciliter la tâche au niveau national pour parachever les états généraux, qui avaient initialement affiché des ambitions proches, mais n’en avaient pas vraiment la possibilité du fait de la distorsion de concurrence en Europe : il fallait que ces décisions soient prises unilatéralement sur le vieux continent. Ce sera chose faite, donc, dans le courant du premier semestre 2018. Quel effet pour les agriculteurs ensuite ? Il y en aura un, qui sera bénéfique… à condition que l’interprétation française des textes européens ne soit pas, comme c’est arrivé si souvent par le passé, une forme de surenchère à la charge des producteurs sur les aspects « contreparties ».

Les accords de libre-échange de l’Europe

Toujours au rang des événements prévisibles, la conclusion des accords de libre-échange. Pour le Ceta (entre l’Europe et le Canada), c’est déjà fait, avec déjà des contingents de viande bovine (du Canada vers l’Europe) qui vont faire mal à ce secteur, avec toujours en suspens les questions de qualité et de traçabilité qui ne répondent pas aux mêmes critères que les nôtres. Mais la deuxième lame du rasoir n’est pas loin, avec la signature annoncée comme imminente avec les pays du Mercosur (de l’Amérique latine si vous préférez). Cette fois, tous les partis représentés au Parlement européen ont montré, chacun à sa manière, leur désapprobation pour le volet agricole, d’autant que la viande brésilienne a subi dans un passé récent plusieurs scandales sanitaires (pour le Ceta, le PPE, parti majoritaire, avait donné son aval). Pour autant, rien n’est acquis à cette heure. Secteurs concernés : encore la viande bovine, mais également le sucre et ses dérivés, dont l’éthanol. Au passage, on sait que de très grandes coopératives françaises sont installées au Brésil. Ces représentantes des betteraviers français pourraient ainsi se trouver totalement en porte-à-faux avec elles-mêmes dans l’hypothèse où l’éthanol à base de canne à sucre serait importé massivement, faisant concurrence avec celui à base de betteraves…

La pression environnementale

Si Nicolas Hulot a préféré éviter de cautionner les états généraux de l’alimentation par son absence lors des discours de clôture (estimant que la part environnementale n’avait pas été respectée), on ne peut nier pour autant son implication sur les dossiers agricoles. Très présent sur le débat sur le glyphosate, on sait qu’il le sera tout autant sur tous les sujets où, à tort ou à raison, il estimera que l’environnement est un enjeu. Pour les agriculteurs (je parle d’une manière générale), respecter l’environnement fait partie du quotidien. Mais il est une chose qu’ils redoutent plus que tout : les changements inopinés et immédiats. Des molécules utilisées pour la santé et la croissance et des plantes sont ainsi régulièrement remises en cause, sans pour autant avoir fait l’objet du cheminement légal, européen, prévu pour cela (lequel laisse le temps de se retourner si effectivement le danger est constaté). 2018, ce sera aussi l’année du centenaire de l’UIPP, union des industries pour la protection des plantes, c’est-à-dire la fédération des industries chimiques qui fabriquent non seulement les pesticides, mais aussi des solutions alternatives comme les produits de bio-contrôle. A cette occasion, ses tenants vont communiquer auprès du grand public en espérant obtenir un débat plus équilibré sur les questions de l’utilisation de ces produits phytosanitaires. Mais qu’ils y parviennent ou non, il est à parier que l’on parlera à nouveau du retrait de telle ou telle molécule cette année. Peut-être à raison d’ailleurs, mais dans ce cas-là, que les choses soient faites dans le respect des règles…

Les prix

En attendant de voir ce que donnent les états généraux de l’alimentation dans les faits, on peut parler de la pression des prix. Relativement bas en ce moment pour les céréales (alors que les dernières récoltes ont été bonnes, en général, les trésoreries n’ont pas pu être renflouées du fait du prix mondial), avec de fortes craintes pour le lait (il est question de moins de 30 centimes dans les discussions entre producteurs sur les forums spécialisés…), et donc l’expectative pour ceux qui dépendent in fine du consommateur, mais en fait de la répartition des marges avant d’arriver jusqu’à lui. D’une manière générale, quasiment dans toutes les productions, les agriculteurs sont tendus sur le sujet des prix… Il faut bien sûr intégrer à cette liste tous ceux qui ont choisi le bio et dont les primes sont remises en cause.

Les événements imprévisibles

Citons pêle-mêle toutes ces catastrophes que craignent les agriculteurs : la météo néfaste, les maladies (pour les bêtes comme pour les plantes), une crise sanitaire majeure, une défiance accrue du consommateur après des « révélations » (dans le genre des vidéos prises dans les abattoirs)… Ajoutons là-dessus le moral (quand on sait que son voisin agriculteur a fait une tentative de suicide, ça n’aide pas à se sentir bien soi-même)… Il existe a priori davantage de craintes que d’espoirs…

2019 débutera par les élections aux chambres d’agriculture

L’année 2018 verra aussi, dès le salon de l’agriculture (le dernier avant les élections chambres), les syndicats agricoles entrer en campagne pour gagner en représentativité dans les chambres d’agriculture. Aujourd’hui, la Fnsea est largement majoritaire et compte certainement le rester, mais la présence médiatique de la Coordination rurale s’est accentuée, alors que l’on voit moins (sur un plan médiatique, sans jugement de valeur) la Confédération Paysanne depuis quelques temps. Le Modef reste relativement confidentiel encore. Clairement, en cette année 2018, chaque événement impliquant l’agriculture sera commenté, et les actions syndicales devraient se multiplier, afin de mobiliser les troupes, et cela dans tous les camps.
 

L’illustration ci-dessous est issue de Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/185055572.

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