Ce mercredi 15 février, le Parlement européen votera en faveur, ou non, d’un accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada, le CETA. Sur le volet agricole, les avis sont partagés, politiquement pour commencer, mais pas seulement. En réalité, le traité parait favorable dans plusieurs domaines, tout en méritant une vive attention sur la viande, en particulier bovine, sans qu’il soit pour autant question de brader le second pour avantager les premiers.
Quand on parle d’accord de libre-échange entre l’Europe d’une part, et un Etat de la taille d’un continent d’autre part, on pense bien sûr au fameux Tafta, avec les Etats-Unis. Le Tafta est aujourd’hui pour le moins compromis avec l’arrivée de Donald Trump (plus sûrement qu’après la demande du gouvernement français…). Il générait sur lui une multitude de critiques, en particulier de la part du citoyen consommateur la crainte d’une modification profonde de notre alimentation.
De fait, dans la continuité, les autres accords que l’Europe négocie sont regardés avec un oeil pour le moins suspicieux. Alors qu’il faut surtout regarder les termes des accords.
Le CETA, c’est-à-dire l’accord entre l’Europe et le Canada a ainsi connu son lot de détracteurs. La Wallonie a même reculé de quelques jours sa signature en faisant de la résistance, première étape avant la ratification devant le Parlement européen ce 15 février. Comme les « résistants » sont très appréciés à l’heure actuelle, Paul Magnette, chef du gouvernement wallon, a gagné énormément en notoriété avec sa position, à en croire les sondages belges. Alors que, comme pour tout sujet, si cette position reposait sur une part de vérité, elle se fondait aussi sur le sentiment humain de la peur du lendemain, celui qui, chez nous en France, a érigé le principe de précaution au-delà de tout esprit d’initiative.
Car le CETA n’a rien à voir avec le Tafta. Le Canada et les Etats-Unis, ce n’est pas vraiment la même chose. Et nous Français en particulier, nous avons des relations privilégiées avec une province importante du Canada, le Québec, qu’un tel accord économique ne pourrait que cimenter.
Au niveau des parlementaires européens français, on retrouve les mêmes divergences de points de vue.
Côté socialiste, le député européen Eric Andrieu a communiqué sur les OGM : « Le CETA n’intègre pas le principe de précaution et que ses dispositions relatives aux OGM risquent d’affaiblir encore le cadre législatif européen. » En précisant ses vues sur un modèle agricole différent qu’il souhaite défendre au niveau européen : « Il est fondamental que l’Union européenne développe un plan stratégique européen d’indépendance en protéines végétales. Si les OGM sont aujourd’hui interdits à la culture en France, ils peuvent être importés. Aujourd’hui, nous importons 82 % des protéines animales végétales dont les cultures détruisent la forêt amazonienne et amènent des OGM sur notre territoire. Il est essentiel de trouver pour nos filières agricoles des alternatives aux tourteaux de soja et aux maïs OGM. Il en va de la santé de 500 millions d’Européens. »
Egalement opposé, Philippe Loiseau, député européen français FN qui suit les questions agricoles, a lui estimé en séance (c’est repris dans une vidéo) que les « normes européennes (seront) alignées avec les normes canadiennes« , et que « nos agriculteurs (seront) mis en concurrence déloyale » avec leurs homologues canadiens par le biais de cet accord.
On sait aussi que, pour les Verts, José Bové s’était exprimé sur la liste des appellations protégées, en la trouvant bien insuffisante.
Pour autant, la majorité au Parlement européen est détenue par le groupe PPE, au sein duquel on retrouve les élus français LR. Deux d’entre eux en particulier suivent les questions agricoles : Angélique Delahaye et Michel Dantin. Et ils ont annoncé leur intention de voter en faveur de cet accord, en donnant leurs arguments dans des communiqués.
Ainsi, Angélique Delahaye affirme : « Le CETA apportera aussi la protection de 143 indications géographiques (IG) européennes, dont 42 françaises, pour la plupart déjà présentes sur le marché canadien. Cela est un net progrès par rapport à la situation actuelle. Par ailleurs, le CETA prévoit une clause de révision permettant d’étendre la liste des IG protégées au Canada ». Elle ajoute : « Pour une fois que l’agriculture ne sert pas de monnaie d’échange dans une négociation commerciale, nous ne pouvons que nous féliciter de cette première adoption en commission INTA (Ndlr : c’était le 24 janvier, l’étape précédant le vote au Parlement européen). Le CETA va faciliter l’accès à un marché conséquent pour de nombreux producteurs européens, à commencer par ceux du secteur des vins et spiritueux pour qui l’exportation est vitale, et ce face à un risque aujourd’hui hypothétique pour le secteur bovin. »
De son côté, Michel Dantin estime : « Premier accord conclu entre l’UE et l’une des principales puissances économiques mondiales, le CETA offre à l’Europe l’opportunité de continuer à peser économiquement et culturellement dans le monde de demain. Ayons confiance en nos atouts car développer le commerce international avec nos partenaires, c’est promouvoir l’emploi et donner des opportunités à nos entreprises ! » Et poursuit : « Pour les marchés agricoles, l’équilibre est toujours difficile à trouver entre les secteurs compétitifs à l’international en demande de nouveaux marchés pour exporter et ceux qui, de nature sensible méritent d’être protégés. À ce titre, le CETA peut servir d’exemple ».
Car, soulignent les deux parlementaires du groupe PPE, la signature de l’accord n’entraine pas de facto la fin des entretiens sur un texte arrêté, mais au contraire une marge de révision reste négociable, par exemple dans l’hypothèse où les craintes évoquées sur le secteur bovin notamment seraient justifiées par les faits. De même en ce qui concerne les appellations contrôlées, les 143 indications géographiques correspondent à celles qui sont le plus vendues au Canada, et si jamais d’autres venaient à se saisir de ce marché neuf, il serait possible de les ajouter à la liste.
La grande majorité des députés européens cités plus haut sont eux-mêmes agriculteurs, donc concernés au premier chef. Les arguments contradictoires sont issus d’une opinion qu’ils se sont forgée après réflexion, et chacun en pensant à l’ensemble de la profession agricole pour notre territoire français. A l’heure où il existe une grande défiance vis-à-vis de la classe politique, l’observateur que je suis peut vous affirmer que ces députés européens là au moins font leur job, ont lu les textes avec attention avant de s’exprimer.
Alors pourquoi une interprétation différente du même texte ? En fait, nous sommes devant deux stratégies opposées face aux mêmes événements. Les premiers cités, les opposants, sont dans la logique de conserver les acquis. On éviterait ainsi le danger. Sauf que ce repli sur soi constitue également, en lui-même, un danger. Car, en définitive, il n’offre guère plus de garanties qu’une participation ouverte à des échanges internationaux : le secteur de la viande bovine, celui qui serait le plus concurrencé par l’arrivée des produits canadiens, ne court-il pas aujourd’hui un risque majeur avec la conjugaison d’autres éléments multiples sans lien avec le traité ? N’est-il pas dès aujourd’hui mis à mal par l’arrivée massive de vaches de réforme sur le marché de la viande (vivement la remontée des cours du lait…), par les habitudes de consommation évolutives et allant plutôt dans le sens d’une moindre consommation de viande, par un invraisemblable phénomène de mode qui popularise et démocratise les thèses extrémistes véganes ? N’est-ce pas contre tous ces fléaux, au regard des filières de bovins viande, qu’il faut s’attaquer, plutôt que de risquer de penser avoir résolu le problème en refusant l’accord avec le Canada ?
Cet accord avec le Canada doit par ailleurs relancer les filières vins et spiritueux, qui figurent parmi les fers de lance de nos chiffres excédentaires dans la balance commerciale de l’agroalimentaire : quand ce secteur va moins bien, cette balance s’équilibre, ce qui entraine de facto un handicap sur nos chiffres pour l’ensemble de la croissance française, avec les conséquences économiques et sociales, notamment en terme d’emplois, que l’on connait. Par ailleurs, les secteurs européens des fruits ou des céréales à paille se verraient ouvrir de nouveaux débouchés.
Autre aspect, plus géo-stratégique celui-là : à l’heure de la mondialisation, il faut savoir choisir ses alliés. Les pays émergents rêvent d’investir l’Europe de leurs produits, et la caricature qui voudrait que ceux-ci soient agroalimentaires en provenance du Brésil et seulement du domaine des services en provenance de l’Inde oublie que, finalement, tout peut arriver de partout en même temps. Il faut donc savoir s’ouvrir des marchés commerciaux, mais choisis. Globalement, un pays comme le Canada obéit à des normes similaires aux nôtres, pour la majorité des produits promis à l’échange en tout cas. Bien sûr, ce n’est uniformément partout le cas, mais une telle comparaison serait encore plus désavantageuse avec le Brésil ou l’Inde. Et il sera plus facile soit de refuser les accords avec ces pays émergents, soit de les assortir de mises aux normes drastiques, si l’Europe n’est plus seule dans la balance.
L’Europe a perdu le Royaume-Uni, elle s’apprête à compenser commercialement avec le Canada… Non, ce n’est pas si catastrophique que cela. Il faut « juste » savoir contrôler régulièrement les effets de façon à anticiper, d’un commun accord, tout problème qui naitrait de cette union.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/ceta-cest-aussi-au-nom-de-lagriculture-que-la-wallonie-a-resiste/11146 (précédent article de WikiAgri sur le sujet).
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