Malgré les efforts louables de ses organisateurs, l’actualité de l’élevage cette semaine ne se situera pas à Cournon, près de Clermont-Ferrand, où se déroule le Sommet de l’élevage. Mais à Brasilia, au Brésil, où les tractations entre l’Union européenne et le MerCoSur pourraient aboutir à un accord de libre-échange particulièrement défavorable à la filière bovine.
Depuis plus de 17 ans, l’Union européenne et le MerCoSur (c’est-à-dire le marché commun aux pays d’Amérique du Sud, en l’occurrence en particulier le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, mais aussi la Bolivie, le Chili, l’Equateur, la Colombie et le Pérou, le Venezuela étant suspendu) sont en discussions dans l’objectif de parvenir à un traité de libre-échange. Jusqu’alors, il y a toujours eu un hic. Et très souvent ce fut en lien avec l’agriculture. Dans un passé récent, l’Espagne, par exemple, a mis en avant les appellations en dénonçant un vin argentin appelé La Rioja, et portant le même nom que l’un des siens. Car le libre-échange en question porte, dans le sens Europe – MerCoSur, principalement sur les secteurs automobiles, pharmaceutiques et ventes de machines. Dans l’autre sens, depuis les pays du Mercosur jusqu’aux européens, il y a l’agriculture… En d’autres termes, le discours, notamment syndical, selon lequel « l’agriculture ne doit pas servir de monnaie d’échange » dans ces accords commerciaux est plus que jamais d’actualité.
Car, en fin de semaine dernière, la nouvelle est tombée. Déjà, depuis plusieurs jours, le député européen Michel Dantin (élu LR en France, groupe PPE au Parlement européen) avait évoqué « une rumeur » sur un contingent de 85 000 tonnes de viande bovine d’Amérique du Sud susceptibles d’envahir le marché européen, déjà engorgé. Cette rumeur s’est confirmée, donc, en fin de semaine dernière, avec finalement un chiffre à peine plus bas, de 70 000 tonnes. A titre de comparaison, le fameux Ceta, accord de libre-échange adopté entre l’Europe et le Canada, prévoit déjà près de 50 000 tonnes de viande bovine arrivant en Europe, ce qui a déjà valu moult communiqués de toutes parts évoquant un énorme danger pour cette filière dans tous les pays européens. Michel Dantin a donc réagi en tirant la sonnette d’alarme, dans un communiqué cosigné par Joseph Daul, président du groupe PPE au Parlement européen (lire tous les communiqués complets après cet article). Il n’est pas le seul, Eric Andrieu, eurodéputé socialiste (groupe APSD), estime quant à lui que la Commission européenne « envoie la filière bovine à l’abattoir« .
Dans un autre domaine agricole, l’attente sur le contenu de l’accord est également de mise, car il est également question de 600 000 tonnes d’éthanol par an. Sans parler de secteurs où la France est moins concernée que d’autres pays européens, en particulier les fruits et légumes, et le jus d’orange (lire le communiqué du Copa-Cogeca en fin d’article)… Car les discussions ont lieu en ce moment, à Brasilia, jusqu’au 6 octobre. Il existe une intention réelle de la part des deux continents de se rapprocher. Depuis 17 ans, l’un et l’autre ont eu d’autres opportunités, d’autres marchés et n’avaient pas obligatoirement besoin l’un de l’autre. Le contexte évolue, notamment depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, avec sa politique protectionniste : puisque l’Amérique du Sud sait qu’elle va avoir du mal à entretenir des relations commerciales avec les Etats-Unis, elle cherche d’autres partenaires. Et l’Europe y voit une opportunité, laquelle se situe dans une fenêtre relativement étroite, le temps du mandat de Trump.
D’où l’accélération du calendrier. Il y a même eu plusieurs déclarations de hauts responsables datant la signature de l’accord avant la fin de l’année 2017… Autrement dit, incessamment ! Pour la Commission européenne, c’est la Suédoise Cecilia Malmström qui en charge du dossier, au titre de Commissaire européen au Commerce. Ce serait donc elle qui aurait proposé ce fameux contingent de 70 000 tonnes de viande bovine, probablement dans l’espoir de débloquer la situation dans un autre secteur sans le moindre rapport.
Si le boeuf argentin jouit d’une excellente réputation, celui du Brésil sort à peine d’un vaste scandale. Des pays du monde entier ont cessé d’en importer en mars dernier. Un trafic de viande avariée, sur de grandes quantités, se retrouvant qui plus dans de nombreux plats préparés par la suite, a ainsi valu au Brésil une perte quasi totale de sa crédibilité en la matière, malgré des élevages pourtant de haute tenue : mais la chaine agroalimentaire a montré sur place des manquements bien plus graves que ceux observés en Europe lors du Horsegate (qui lui n’était pas sanitaire), avec en plus des implications mafieuses dans les échanges commerciaux.
Cela parait donc difficile aujourd’hui d’accepter de confiance des contingents de viande bovine : au-delà de toutes les implications sur nos élevages, il va en va de la sécurité sanitaire des citoyens européens.
Et pendant ce temps-là, en France, se déroule le Sommet de l’élevage, qui aurait dû être une fête…
« Avec cette offre indue, la Commission européenne a perdu tout sens des réalités dans son obsession de sécuriser un accord avec le Mercosur. Le secteur viande bovine assure la croissance et des emplois des territoires ruraux de nombreux Etats membres. Mais sa capacité à absorber des concessions commerciales a des limites et d’autant plus qu’il a été sévèrement impacté par la crise laitière de 2015-2016 et doit faire face à des problèmes de compétitivité et de baisse de la consommation de viande dans un contexte d’incertitudes liées au Brexit. En outre, où sont les études sanitaires sur l’impact d’un tel marchandage ? Où est la protection de consommateur alors que le scandale de la viande bovine brésilienne faisait les grands titres il y a moins de six mois !
Sachant que le Mercosur exporte presque exclusivement que des pièces nobles de viande bovines, représentant 8% du poids d’un animal, la Commission européenne propose donc de rayer de la carte plus d’un 1,7 million d’animaux en Europe, soit le bassin allaitant du massif central en France ou un quart de la production irlandaise ! Quel impact environnemental pour des territoires qui seront à terme livrés à l’ensauvagement et aux feux de forêt ?
De telles annonces hors sols sont une faute, car la Commission européenne oublie bien vite que le risque europhobe et populiste était à nos portes il y a peu ; il n’a pas disparu et les agriculteurs croient en une Europe qui les protège voulue par les Présidents Jean-Claude Juncker et Emmanuel Macron plutôt qu’une Europe qui les vend aux plus offrant proposée par les fonctionnaires européens issus de l’ancien système européen des années 1980.
Nous demandons aux pays producteurs européens et au Parlement européen de s’opposer avec force à une telle proposition et à la Commission européenne de corriger rapidement le tir ! »
« Alors qu’un échange révisé des offres d’accès au marché est prévu lors des prochains pourparlers entre le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) et l’Union européenne à partir de lundi 2 Octobre à Brasilia, la Commission européenne s’apprêterait à inclure la viande bovine dans les négociations de libre-échange et à proposer une concession de 70 000 tonnes équivalent carcasses.
Pour le porte-parole des sociaux-démocrates européens à l’Agriculture : « La machine est en marche ! Une semaine après l’entrée en vigueur du Ceta, qui prévoit que le contingent d’importation dans l’UE de bœuf canadien à droit nul passera de 7 640 t à 45 840 t sur six ans, cette proposition risque d’envoyer la filière bovine européenne à l’abattoir ! »
« Cette offre est inacceptable au vu de l’état de saturation du marché intérieur qui est à l’origine d’une crise sans précédent mettant en péril la survie de plusieurs milliers d’exploitations sur nos territoires. La filière bovine avait besoin de tout sauf de ça ! », souligne l’eurodéputé d’Occitanie.
Avant de rappeler que la consommation de viande bovine a décliné de 20 % dans l’UE au cours des dix dernières années, que les pays du Mercosur n’ont pas les mêmes normes sanitaires que celles l’Union et que les négociations autour du Brexit et du prochain cadre financier pluriannuel budget font planer de nombreuses incertitudes sur l’agriculture européenne.
Pour Eric Andrieu, rapporteur pour la Commission Agriculture sur le mandat de négociation de pour la conduite des négociations commerciales de l’Union avec l’Australie : « Il faut que la Commission européenne arrête de se servir de l’agriculture comme monnaie d’échange pour un accès des produits industriels et services européen ! »
De conclure : « La viande bovine doit, impérativement, en tant que produit extrêmement sensible, être exclue de ces négociations, car au-delà de milliers d’emplois menacés, c’est l’avenir même de nos territoires qui est en jeu. » »
« Dans le cadre de l’accord de libre-échange négocié actuellement par la Commission européenne avec le bloc de pays sud-américains, Interbev, l’interprofession élevage et viande, s’alarme d’un nouveau quota d’importations à taux de douane réduits de 70 000 tonnes, proposé au Brésil et à l’Argentine, principaux exportateurs mondiaux de viandes bovines produites « à bas coûts ».
Malgré les grandes difficultés économiques de la filière viande bovine française et les conclusions très préoccupantes de la Commission d’experts français sur l’accord Canada/UE (Ceta), la Commission européenne continue de privilégier sa politique commerciale en voulant conclure rapidement un accord avec le Mercosur. Comme les viandes canadiennes, les viandes bovines sud-américaines ne répondent en aucun point aux attentes des consommateurs, que ce soit en termes de traçabilité, de sécurité sanitaire, d’environnement et de protection animale.
En effet, ces viandes sont produites au sein de systèmes d’élevage pas ou peu règlementés, largement responsables de la déforestation, utilisant farines animales et autres traitements vétérinaires strictement interdits au sein de l’Union européenne.
C’est pour toutes ces raisons qu’Interbev dénonce avec force l’irresponsabilité de ces futures négociations commerciales et demande au gouvernement français de rejeter ce nouvel accord.
Pour Dominique Langlois, président d’Interbev : « Notre demande d’exclusion définitive de la viande bovine de tout accord commercial entre l’UE et le Mercosur est non négociable. Nous refusons que les viandes bovines servent une nouvelle fois de monnaie d’échange. Il en va de l’avenir de la filière bovine française, au service des populations, des territoires et de l’environnement. » »
« Copa et Cogeca intensifient leurs actions pour placer le boeuf et l’éthanol en dehors d’une offre commerciale européenne en faveur du Mercosur.
Copa et Cogeca ont rejeté aujourd’hui (Ndlr : le communiqué date de vendredi) la volonté de l’UE de mettre le boeuf et l’éthanol dans son offre d’accès au marché du Mercosur du commerce latino-américain. Cela dévasterait le secteur de la viande bovine de l’UE, la croissance et l’emploi dans les zones rurales, et saperait les normes de sécurité alimentaire de l’UE.
La déclaration vient après que l’UE a finalisé son offre cette semaine pour inclure un quota de 70 000 tonnes de bœuf et de 600 000 tonnes d’éthanol dans un accord commercial potentiel qui sera discuté lors de la prochaine série de discussions commerciales du 2 au 6 octobre.
Le président du groupe de travail du Copa et Cogeca « viande bovine », Jean-Pierre Fleury, a déclaré : « Il est incompréhensible que la Commission européenne ait mis le boeuf dans son offre d’accès au marché au Mercosur, alors que les enquêtes sur le scandale du bœuf brésilien ne sont pas terminées. Les certificats d’exportation ont été falsifiés pendant dix ans ou plus et les exigences vétérinaires non respectées au Brésil. Nous avons des normes de sécurité alimentaire et de protection des animaux les plus élevées au monde et nous ne pouvons pas les compromettre. »
Il a poursuivi : « Le montant dont nous parlons équivaut à 1,7 million de vaches allaitantes dans l’UE et entraînerait une réduction de 40 % des réductions de valeur qui ne proviennent pas de l’UE. Au-delà de l’impact dévastateur sur le secteur de la viande bovine de l’UE, la croissance et l’emploi dans les zones rurales, où il n’existe souvent aucune autre source d’emploi, serait compromise. Il est inacceptable que la Commission sacrifie le secteur de l’agriculture de l’UE et donne des normes doubles sur le marché unique. »
Le secrétaire général de Copa et Cogeca, Pekka Pesonen, a déclaré quant à lui : « Nous avons besoin d’accords commerciaux équitables et équilibrés. Ce n’est pas le moment de le proposer lorsque nous ne connaissons pas l’impact des négociations du Brexit. Avec 45 % de bœuf irlandais destiné au marché britannique, nous ne pouvons pas commencer à penser à exercer de nouvelles pressions sur le marché de la viande bovine de l’UE dans un pacte commercial avec les pays d’Amérique latine. L’éthanol doit également être exclu et nous avons de sérieuses inquiétudes concernant le jus d’orange, les fruits et les légumes. Nous importons déjà des volumes substantiels de ces pays et n’offrons aucune réciprocité. Onze États membres appuient ces préoccupations et nous leur demandons de rejeter le plan avant les pourparlers la semaine prochaine (Ndlr : qui ont donc commencé ce jour). » »
Ci-dessous, élevage de nélores (race de vaches issue des zébus) au Brésil.