La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Elle doit désormais passer au Sénat, en avril, puis revenir à l’Assemblée avant les décrets d’applications. Bilan d’étape parlementaire, et perspectives de terrain.
Pour être le plus complet sur cette loi et son premier passage à l’Assemblée nationale, je vous propose dans cet article d’abord son contenu, puis les réactions et communiqués, et enfin mon commentaire, que je veux dissocier, de façon à ce que vous puissiez par vous-même apprécier les changements apportés par ce texte. En première lecture à l’Assemblée, la loi a été voté par 332 voix, contre 205 oppositions (UMP), l’UDI s’étant abstenu. Le texte doit désormais être débattu au Sénat en avril, pour une adoption définitive à la fin du premier semestre en deuxième lecture à l’Assemblée.
L’objectif affiché est une « transition » vers l’agroécologie, et d’allier performances économique et environnementale. Dans ce cadre, la loi prévoit un renforcement de l’autonomie des exploitations dans un objectif de renforcement de protection de l’environnement. La conversion à l’agriculture biologique est encouragée.
La mesure-phare, c’est la création des GIEE, ou GI2E, ou groupements d’intérêt économique et environnemental. Il s’agit de regroupement d’agriculteurs autour de projets environnementaux ou forestiers, pour obtenir des enveloppes dédiées.
Par ailleurs, concernant l’élevage, la délivrance des antibiotiques pour animaux a été revue, dans le souci affiché de renforcer le suivi des ventes.
Autre sujet, les pesticides, ils feront l’objet d’un suivi permanent de leur impact sur l’environnement et la santé, tandis que les publicités pour les produits phytosanitaires seront réduites à la seule cible professionnelle.
Pour les jeunes installés, le contrat de génération sera adapté à l’agriculture, avec une aide pendant trois ans maxi au cédant qui transmet à un repreneur de 26 à 30 ans. Il s’agit de favoriser ainsi l’installation hors cadre familial.
Lors d’un litige commercial, un médiateur des relations commerciales agricoles pourra être saisi.
Un droit d’opposition au dépôt d’une marque est créé, afin d’accentuer les appellations d’origine et autres indications protégées.
D’un point de vue syndical, on ne s’est pas privé du côté de la FNSEA de regretter l’absence de réponses aux problèmes actuels, le syndicat majoritaire allant même jusqu’à organiser, avec Coop de France, les JA, et la CNMCCA, des états généraux de l’agriculture justement pour tenter de les régler. Ils auront lieu le 21 février, soit la veille de l’ouverture du salon de l’agriculture. Le communiqué officiel de la FNSEA sur la loi se contente de rappeler ses 8 priorités pour l’agriculture (déjà données avant) avec pour seul commentaire laconique que « pour le moment, (elle) ne répond pas complètement aux préoccupations et aux attentes des agriculteurs« .
Au niveau des Jeunes Agriculteurs, très actifs dans la préparation de la loi quant à la défense de leurs amendements et au lobbying, on relève, selon leur communiqué, « des aspects positifs (outils favorisant l’installation et la transmission : contrat de génération, réintroduction de la DICAA et du RDI) mais également des sujets sur lesquels la loi peut être améliorée, notamment sur la gestion et la préservation des ressources foncières, véritable outil de travail de nos agriculteurs« . Avec une demande particulière avant le passage de la loi devant le Sénat : « Dans sa rédaction actuelle, la définition de l’actif agricole ne reconnait pas les jeunes ayant une activité agricole secondaire dans le cadre d’une installation progressive. Pour soutenir le renouvellement des générations en agriculture et maintenir des objectifs d’installation ambitieux, Jeunes Agriculteurs défendra auprès des sénateurs une modification des critères définissant l’actif agricole permettant d’introduire ces profils spécifiques. Pour que cette définition corresponde au mieux à la réalité du terrain, et il est important que les personnes se maintenant en activité bien qu’ayant atteint l’âge pour le taux plein de leur retraite ne cumulent ce bénéfice à celui de l’inscription dans le répertoire. »
La Coordination rurale évoque quant à elle une « agriculture sans futur« , et un « choc de complication« . et estime ainsi que la loi « aggrave la situation (des agriculteurs) en alourdissant leurs contraintes et en compliquant la question du foncier. Les conflits entre propriétaires et preneurs risquent de se multiplier notamment à cause du renforcement du contrôle des structures et des pouvoirs des SAFER, ou de l’élargissement du champ du bail environnemental.«
Du côté de la Confédération paysanne, l’interprétation des textes est exactement à l’opposé de celle de la FNSEA : « Une loi d’orientation de l’agriculture cohérente avec les ambitions affichées doit poursuivre des objectifs certes économiques, mais aussi clairement environnementaux et sociaux. Cette dernière variable est écartée du texte, démontrant ainsi l’absence d’ambition du ministre de l’Agriculture en matière d’emploi paysan à l’heure où les chiffres du chômage atteignent des niveaux clairement préoccupants.«
Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a abreuvé son compte Twitter de ses observations au fur et à mesure de l’adoption des articles. Au-delà des annonces, on retient ce commentaire : « Je salue la création des GIEE, pierre angulaire de la mobilisation collective des agriculteurs sur les territoires« . Ses autres Twitt étaient plus informatifs que commentés. Ce qui tend à démontrer que la création des GIEE est la mesure-phare de cette loi dans l’esprit gouvernemental.
Le député Antoine Herth, porte-parole du groupe UMP sur le texte, selon le bulletin qu’il édite et qu’il a reproduit sur son compte Facebook, « a souligné que ce projet n’avait d’avenir que le nom et qu’il s’inspirait au contraire d’une vision très surannée de notre agriculture. Une vision idéologique, voire caricaturale, qui nie la réalité économique de ce secteur et pour laquelle l’agriculteur, avant d’être considéré comme un producteur ou un entrepreneur moderne et à part entière, devrait d’abord et avant tout démontrer sa fidélité aux traditions des terroirs de France. Le texte du gouvernement ne pense ainsi l’agriculture que dans une France repliée sur elle-même, préoccupée par ses angoisses du lendemain et incapable de prendre le risque de croire en l’avenir. Pour Antoine Herth, le texte du gouvernement tombe dans le travers d’une vision fantasmée des réalités et ne répond donc pas aux enjeux actuels et à venir de l’agriculture française. La loi doit reposer sur une analyse lucide des difficultés de notre temps, et apporter des réponses claires dans l’intérêt de tous, ce qui n’est malheureusement pas le cas de cette « loi d’avenir ».«
Du côté de l’UDI, on explique l’abstention dans le vote par le fait que la loi « passe à côté de grands enjeux« , sans autre précision. Au niveau de l’Assemblée du moins, ce parti a semblé peu concerné.
Je ne doute pas qu’il y ait eu à la base une volonté de bien faire, celle consistant à attacher l’image environnementale à la profession agricole, ce que souhaite d’ailleurs la profession. Mais dans les faits, de nombreux textes dans la loi sont directement inspirés par le parti des Verts, davantage que par un esprit écologique. Comme si ce parti politique devait être considéré comme le garant naturel de ce que doit être l’environnement. Il est écrit noir sur blanc qu’il s’agit d’allier performances économique et environnementale. Mais malheureusement, lorsque l’on s’attache aux détails, la croissance verte espérée à travers ce concept semble bien absente.
D’où de nombreuses questions. Favoriser l’agriculture biologique, c’est très bien, notre société le demande, mais pourquoi considérer que cela ne peut être fait qu’en opposition à l’agriculture traditionnelle et en sanctionnant cette dernière ? Considérer que les pesticides ont un impact sur l’environnement, c’est une réalité. Mais occulter leur rôle contre les maladies ou les nuisibles et le fait que leur retrait progressif doit de fait s’accompagner de solutions alternatives, est-ce un progrès écologique, ou un aveuglement devant les réalités ? Pourquoi ne pas favoriser la recherche vers ces solutions alternatives dans ce cas là, plutôt que de considérer qu’elles existent déjà ? Or la loi a des intentions en la matière, mais ne dégage pas clairement des budgets sur cette recherche. Les normes mises en place dans la loi sont administrativement compliquées, souhaite-t-on réellement arriver à ce que certains agriculteurs laissent des parcelles en friche avec juste une fauche par an, ce qui leur rapporte en définitive quasiment autant que de subir, notamment pour l’élevage, des normes contraignantes au possible, et cela sans rien produire ? Que fait-on dès lors de l’aspect économique initialement affiché par la loi ?
Il semble malheureusement que les agriculteurs soient les victimes collatérales des accords électoralistes entre les PS au pouvoir et le parti des Verts. Autant le discours officiel affiché par les socialistes pourrait éventuellement leur convenir (avec des nuances, selon chacun), autant les actes directement inspirés des Verts (2 % aux dernières élections présidentielles, rappel) constituent un afflux de complications là où ils sont en droit d’attendre une juste rémunération pour leurs efforts environnementaux.
La croissance verte, c’est une amélioration indéniable. Le retour à un environnement-sanction, surtout quand cet « environnement » est décrété depuis des appareils politiques parisiens déconnectés du terrain, cela ne ressemble plus du tout à une loi dite d' »avenir ».
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/dans-agroecologie-il-y-a-ecologie-au-sens-politise-du-terme/743 (mon opinion déjà exprimée sur l’influence des Verts sur la politique agricole nationale) ; https://wikiagri.fr/articles/la-loi-davenir-pour-lagriculture-ce-qui-vous-attend/876 (précédent article sur la loi agricole) ; https://wikiagri.fr/articles/valerie-pecresse-force-de-proposition-pour-la-competitivite-en-agriculture/887 (focus sur une intervention dans les débats, celle de Valérie Pécresse, qui a tenté d’introduire des notions de compétitivité dans la loi) ; https://wikiagri.fr/articles/linformation-publicitaire-sur-les-phytosanitaires-maintenue-pour-la-presse-professionnelle/886 (cas particulier d’un amendement qui failli remettre en cause la survie de plusieurs médias agricoles).