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Les chèvres des Savoie en quête de reconnaissance

Les chèvres alpines chamoisées ont toujours des lointaines cousines colorées. Ecartées de la sélection, elles ont failli être sacrifiées sur l’autel de la standardisation. Depuis quinze ans, des éleveurs se battent pour faire reconnaitre ces chèvres des Savoie noires, beiges et blanches. Non seulement pour préserver la biodiversité, mais aussi pour des raisons économiques : les chèvres polychromes savoyardes peuvent être de très bonnes laitières et sont surtout plus adaptées aux alpages.

Qu’on se le dise : la chèvre des Alpes n’est pas seulement chamoisée ! Il existe aussi des noires à barrettes, des chèvres à cou clair et des chèvres pie. Toutes sont issues de la même souche et du même berceau savoyard. Pour des raisons purement esthétiques, les chèvres marron ont été privilégiées depuis 70 ans, au détriment des autres chèvres.

En 2001, l’association de sauvegarde de la chèvre des Savoie (une quarantaine de membres) a été fondée pour sauver, développer et promouvoir les autres phénotypes des chèvres savoyardes. La fondatrice et présidente, Cathy Berthet, a d’abord réalisé un premier inventaire qui répertoriait 300 mères. Aujourd’hui, les quarante éleveurs de chèvres des Savoie déclarent 1080 femelles. De quoi revendiquer un nom à part : « Avant, on les appelait simplement chèvres alpines polychromes. L’association a tenu à différencier ces chèvres de leur souche principale en les dénommant chèvres des Savoie », souligne la présidente.

Une pépinière pour sauver la race

En 2011, l’association a fondé une pépinière au centre d’élevage de Poisy près d’Annecy. Les membres estimaient cet outil indispensable pour avancer : « Les éleveurs n’ont pas assez de place dans leur exploitation pour constituer des lots conséquents. Du coup, ils étaient obligés de vendre leurs chevrettes à des engraisseurs et cela ne leur convenait pas. Par ailleurs, certains éleveurs voulaient acheter des bêtes et n’en trouvaient pas. Il fallait donc un lieu pour accueillir les jeunes chevrettes des Savoie », explique Florian Kieny, formateur du centre d’élevage.

La pépinière a été installée dans une ancienne grange, ce qui a limité  l’investissement à 4000 euros. Cependant, avec un coût de fonctionnement annuel de 11000 euros, la structure est toujours déficitaire. Les derniers travaux ont d’ailleurs été financés par des dons via la plate-forme KissKissBankbank : 10 000 euros ont été récoltés pour isoler la toiture et acheter du petit matériel, preuve que la race suscite un engouement populaire.

La moitié des chèvres de la pépinière sont accueillies en pension (1,35 € par jour et par chèvre les 35 premiers jours, puis le tarif est dégressif ; les éleveurs utilisent parfois ce service pour éviter aux chevrettes une première saison dans les alpages), les autres sont destinées à la vente sachant que la demande dépasse largement l’offre. « Il faudrait plus de rotations dans les bandes », admet la présidente de l’association. Mais les règles sont strictes : seules les femelles ayant moins de 50% de gènes « autres » peuvent être hébergées. Les animaux sont classés en différentes catégories : la catégorie A désigne les animaux ayant mois de 6,25 % de sang extérieur à la race, la catégorie B ceux qui se situent entre 6,25 % et 12,25 %, la catégorie C entre 12,5 % et 25 % et la catégorie D entre 25% et 50%. Les chevrettes sont accueillies dès l’âge de trois semaines jusqu’au sevrage, ou davantage selon la volonté de l’éleveur et la place disponible. La pépinière a accueilli 86 chèvres en 2015, soit 1500 journées/chevrettes. Les entrées ont lieu de décembre à avril, à raison d’une bande par mois.

Des chèvres rustiques

Sur le plan technique, le travail a déjà porté ses fruits : « Au départ, les chèvres pesaient 16 kg à 90 jours. Aujourd’hui, on atteint ce poids à 60 jours. Nous avons beaucoup progressé sur les conditions sanitaires, ce qui n’est pas facile car les bêtes viennent de cinq ou six élevages différents. Bien sûr, en alpage, les jeunes chevrettes grossissent moins vite tout en développant des caractères plus rustiques », constate Florian Kieny. A leur sortie, les chevrettes sont vendues à trois euros le kilo (incluant les coûts d’élevage), et les prix devraient encore augmenter prochainement. « C’est déjà intéressant pour le propriétaire qui nous confie les bêtes. Il vent à un prix deux fois supérieur aux cours pratiqués par les ramasseurs », affirme Florian Kieny.

Pour inciter les éleveurs à investir, l’assemblée des pays de Savoie finance les achats de chevrettes à hauteur de 30% depuis 2015 (sous conditions). « Pour proposer à terme des prix plus élevés pour pérenniser la structure », explique Cathy Berthet.

La chèvre des Savoie, pas si mauvaise laitière que ça…

Tous les éleveurs de chèvres des Savoie sont producteurs de fromages fermiers. Certains d’entre eux fournissent l’AOP chevrotin, la seule institution qui reconnait officiellement la race. Ainsi, ils bénéficient ainsi des services d’un affineur et d’un réseau de distribution coopératif.

Malgré tout, les chèvres des Savoie ont une injuste réputation de mauvaises laitières. Rustiques et habituées à valoriser les herbes d’alpage, elles peuvent tout de même produire entre 650 à 1000 litres de lait par lactation. La qualité est également au rendez-vous : « L’an passé, nous avons fait des prélèvements sanguins pour identifier la présence de caséine alpha S1. Elle détermine le rendement fromager. Il s’avère que la chèvre des Savoie avait légèrement plus d’allèles forts que l’alpine. L’étude n’a été menée que sur 80 chèvres et boucs, il faudrait donc affiner les résultats. Mais il est clair que la sélection génétique subie par l’alpine a réduit sa qualité fromagère », en déduit Florian Kieny.

Les statistiques sont difficiles à établir car seulement trois éleveurs de chèvres des Savoie adhèrent au contrôle laitier. « Pour motiver les éleveurs, l’association a demandé que le contrôle laitier soit allégé, c’est-à-dire, que les évaluations ne portent que sur six mois de lactation au lieu de dix. De plus, on souhaiterait que le matériel soit prêté aux éleveurs », plaide Florian Kieny.

A ses débuts, l’association finançait même les tests laitiers pour garantir l’avenir de la race : « Quand les jeunes veulent s’installer, la CDO les dissuade de prendre des chèvres des Savoie car aucun chiffre n’est disponible. Nos chèvres sont victimes d’une mauvaise réputation mais on a bien progressé sur la qualité du lait depuis cinq ans », estime Cathy Berthet.

La sélection peut aussi améliorer la lactation. En analysant l’origine de ses chèvres, Cathy Berthet s’est rendue compte que son troupeau de 50 chèvres avait deux lignées principales, dont l’une avait des qualités laitières nettement moindres. « On a donc travaillé sur l’amélioration génétique en étant particulièrement vigilant à l’origine de nos boucs. C’est difficile de trouver des boucs non chamoisés. La meilleure année, nous avons produit 750 kg de lait par chèvre, sachant que nous sommes à 650 mètres et que le troupeau ne monte pas dans les alpages. »

Une chèvre montagnarde

La situation est tout à fait différente chez Samuel Silvin, éleveur de 200 chèvres à Peisey-Nancroix : « J’ai commencé avec un troupeau mélangé de 22 chèvres, et j’ai progressivement remplacé les alpines chamoisées par des savoyardes plus robustes. Même si elles produisaient plus de lait, les alpines étaient moins résistantes aux conditions d’alpage et j’étais obligé de les rentrer le soir. Aujourd’hui, mes chèvres dorment dehors de fin mai à octobre, entre 1300 à 2000 mètres d’altitude. Bien sûr, elles ne font que 450 litres de lait en moyenne, mais elles sont nourries intégralement à l’herbe six mois de l’année, sans aucun complément. Elles valorisent parfaitement les ressources de nos alpages. J’utilise des souches de plus de dix ans et je conserve les cornes pour qu’elles soient encore plus résistantes. Si je devais m’installer aujourd’hui, je prendrais exclusivement des chèvres des Savoie », témoigne-t-il.

Fiabilité des origines : encore un effort…

Pour reconnaitre officiellement la race chèvre des Savoie, l’Institut de l’Elevage demande une plus grande fiabilité sur les origines. Cela demande aux éleveurs un travail administratif supplémentaire (l’association propose son aide) mais récompensé : « La reconnaissance de la race permettrait aux éleveurs de prétendre aux aides de la PAC destinées aux races à faibles effectifs. Mais avant tout, l’enjeu est de défendre ce patrimoine savoyard », conclut Florian Kieny.  

En avril 2016, la filière caprine de Savoie organisera à Faverges (Haute-Savoie) la manifestation biennale « le printemps des chèvres ». Elle réunit plusieurs races à faibles effectifs. L’occasion, peut-être, de célébrer enfin la bonne nouvelle

 

En savoir plus : http://www.association-chevre-savoie.fr (site de l’association de sauvegarde de la chèvre des Savoie) ; http://www.elevage-poisy.org (site de la pépinière).

 

Ci-dessous, la pépinière du centre d’élevage de Poisy dynamise l’élevage de chèvres des Savoie. Elle accueille actuellement des chevrettes âgées de plus de huit mois.

Ci-dessous, Florian Kieny, formateur du centre d’élevage de Poisy, est référent de la pépinière. Il se bat pour préserver la diversité génétique des chèvres savoyardes.

Ci-dessous, Cathy Berthet est la présidente dynamique de l’association de sauvegarde de la chèvre des Savoie. Elle encourage vivement les éleveurs à adhérer au Contrôle laitier.

Ci-dessous, pour promouvoir les actions de l’association, des goodies sont en vente sur le site internet de l’association.
 

Ci-dessous, un festival de couleurs de robes dans le troupeau de Cathy Berthet, éleveuse à Frangy (Haute-Savoie).
 

Ci-dessous, les « vrais » boucs des Savoie sont particulièrement difficiles à trouver…

 

 

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