haie bordure de champ

Vive les friches !

« Si on ne change pas de direction, on risque d’arriver où on voulait aller » – (proverbe chinois)

En avril 2019,  l’assemblée générale de notre groupement de producteur avait pour thème central : la transition écologique. Ce fut l’occasion d’interventions passionnantes et passionnées !

Sur la route de l’AG notre petit groupe d’amis, réunis par le covoiturage, a traversé une moitié de la France dans les deux sens. Ce fut l’occasion de voir ces paysages de France si divers qui font sa beauté. Vraiment si divers ? Oui, la question se pose. En effet, nous voyons bien différents paysages, dûs surtout à la topographie ainsi qu’aux différents micro-climats, mais en dehors de cela ? Que voyons-nous ? Nous voyons des champs « taillés au carré », adaptés aux machines. Des cultures qui se ressemblent toutes ! Les mêmes par régions, céréales par-ci, maïs par-là, légumes ailleurs, betteraves un peu plus loin ; même la Bretagne n’est pas épargnée, elle s’uniformise malgré l’élevage. La Bretagne qui compte le plus grand nombre d’animaux au m² de la France, et sans doute de l’Europe, a la triste particularité que, lorsque nous la traversons, nous ne voyons plus de porcs dans les champs, plus de volailles dans les cours de fermes et les vaches sont de moins en moins visibles. Nos animaux sont tout simplement enfermés dans des bâtiments inhospitaliers et inaccessibles tant pour les animaux que pour les oiseaux. En tous cas, point de diversité, du moins plus beaucoup : la campagne est propre, très propre, trop propre.

Lorsque j’étais enfant, en sortant de la maison familiale, pour aller travailler sur la ferme avec mes parents et mes frères, il y avait à portée de mains des cerises, des poires, des pommes, des pêches, des noisettes, des faînes, des mûres, des nèfles, etc… C’était l’occasion de se désaltérer, de se nourrir, d’échanger, et parfois de franches rigolades quand il s’agissait de grimper aux arbres. Et quels ravissements pour les papilles gustatives, et quels enchantements pour les yeux et les oreilles avec toutes ces couleurs, ces cris et chants d’oiseaux et petits animaux sauvages. Depuis, des milliers de kilomètres de talus et haies ont été rasés, et les arbres avec ! Les cours d’eau rectifiés, détournés, voire supprimés. Et les zones humides, qui abritaient une faune et une flore particulière, ont elles aussi été asséchées. Exit les sureaux noirs, les houx, les églantiers, les prunelliers, les viornes, les cornouillers, les lierres, les chèvrefeuilles, les aubépines, les aulnes, les orties, les troènes , les ifs, les fusains, les trembles, les frênes, les saules, les marronniers, les pommiers sauvages et les poiriers sauvages. Les merisiers, les noisetiers et les ronces, en Bretagne, font un peu de résistance mais pour combien de temps ? Tous ces arbres et  plantes à baies disparaissent, ou ont déjà disparu de notre paysage. Or, justement ce sont ces plantes à baies qui nourrissent d’abord les insectes par les fleurs et les oiseaux par leurs fruits (baies), tout au long de l’année. Ainsi faut-il s’étonner de la disparition de nos oiseaux et insectes, petits animaux, batraciens et autres poissons ? Toute cette flore et faune, « inutiles », sont éradiquées sans pitié. Toute cette faune diverse disparaît car elle meurt de faim. Vous rajoutez à cela la chimie et c’est le coup de grâce assuré ! Sans mesurer les conséquences environnementales, économiques et peut-être le plus important : humaines. Car c’est cette diversité qui nous aide à vivre, à produire des aliments et mettre de la gaieté, de la couleur, de la joie dans notre quotidien, dans notre vie qui, elle aussi, devient de plus en plus vide, de plus en plus uniforme, de plus en plus propre.

Un deal : oui, je propose un deal à tous les paysans de France. Ce deal n’est pas obligatoire, ce n’est pas un engagement écrit. Il ne s’agit pas de contrat ou quoi que ce soit de ce genre, pas de contrôle non plus. Il s’agit plutôt d’une prise de conscience, d’un engagement  personnel, donc d’une action que chaque agriculteur peut mener à sa guise sur sa ferme, juste pour  la satisfaction de se dire « j’ai fait quelque chose » et de voir le résultat. Donc ce deal c’est juste s’engager à laisser sur sa ferme une ou plusieurs petites zones de friches avec des ronces, des orties, enfin tout ce qui pousse et de les laisser tranquilles, sans intervention. Chacun peut aussi limiter l’intervention des gyrobroyeurs, tronçonneuses et autres débroussailleuses ; ce que ne fait pas la chimie ou ne fera plus, les machines peuvent très bien le faire, et le résultat est le même ! Il s’agit de laisser les talus, les bosquets, les fourrés se garnir afin que les insectes retrouvent des fleurs, que les oiseaux puissent se nourrir, trouvent refuge pour s’ébattre et ainsi se reproduire. Ces lieux doivent être des lieux de paix pour les oiseaux, petits animaux, rongeurs et autres. Par cette action de chacun d’entre nous, répartis sur tout le territoire, nous pourrions initier la reconquête de la biodiversité et lancer la transition écologique. Le constat est clairement posé, maintenant agissons ! Par ce deal, je suis sûr que chaque paysan aura la satisfaction de retrouver de la vie dans sa ferme. A ce deal, nous pourrions ajouter le plaisir de planter, par exemple chaque année, un arbre à vocation bocagère, un arbre fruitier et une plante à baie (mais cela peut être plus de un). Ainsi dans 10-15 ans, nous retrouverions sur tout le territoire de la diversité de paysage, un paysage certes moins « propre », moins linéaire,  mais tellement plus vivant, tellement plus riche. En plus, je ne doute pas que l’émulation jouera son rôle. Nous, les paysans, avons aussi cette responsabilité : l’entretien et l’amélioration du paysage.

Nous pourrions inviter nos concitoyens qui vivent dans les cités à réfléchir à leurs habitations et jardins. En effet, en 60 ans, nous sommes passés de maisons bâties en pierres, avec potagers entourés de haies diverses, à des habitations calfeutrées à l’extrême et dont les murs sont lisses. Il n’ y a plus de place pour les oiseaux cavernicoles pour se loger et nidifier. Quant aux potagers, naguère riches d’une grande diversité de plantes, ils ont été remplacés par une institution quasi sacrée : la pelouse entourée d’une haie de thuya ou de laurier palme, et encore ce n’est pas toujours le cas. Les accès aux maisons, eux aussi, sont propres, très propres, trop propres. La chimie passe par là ainsi que les nettoyeurs haute pression. Nous sommes tous, paysans comme urbains, dans l’obsession de l’ordre et de la propreté. Il est grand temps que nous nous affranchissions de la tyrannie de l’hygiénisme.

Ce deal pourrait être l’occasion pour le monde paysan de communiquer sur ses actions et ses engagements, notamment sur la transition écologique ; ici, cela passe par la reconquête du paysage.

Alors vive les friches ? Chiche ?

Pierrick Berthou
producteur de lait à Quimperlé

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