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Quelle stratégie de fertilisation azotée adopter sur blé ?

L’absence de pluies depuis le mois de mars perturbe l’alimentation hydrique mais surtout azotée des céréales à paille. Comment piloter les apports de fin montaison dans ce contexte ?

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Quelques références historiques en situations sèches

En cas d’absence de pluie suite à un apport azoté, les engrais restent en surface du sol (non dissolution des granules pour les engrais solides) et sont soumis aux pertes par volatilisation ammoniacale, diminuant ainsi leur efficacité. L’intensité de ce phénomène dépend de la forme de l’engrais apporté, du type de sol et des conditions climatiques (vent, délai avant le retour des pluies…). Des stress azotés peuvent apparaître si les pluies ne reviennent pas assez tôt dans les sols où les reliquats d’azote minéral sont faibles. Dans les situations les plus critiques, le stress azoté peut également être induit par un stress hydrique.

Quelques essais historiques permettent de cerner ce qui se passe en situations sèche : l’absence de pluie dans les 20 jours va engendrer des pertes d’efficacité variables en fonction de la forme d’engrais. Au-delà des effets sur le coefficient apparent d’utilisation (CAU), des pertes de rendement peuvent aussi être liées soit au retard, soit au déficit d’absorption de l’azote.


Des expérimentations ont été réalisées sur blé tendre d’hiver sous les serres mobiles de la station du Magneraud (17 – sur calcaire et marne de RU 150 mm) de 1995 à 1997 pour chiffrer l’impact des épisodes pluvieux sur l’absorption et la valorisation de l’engrais en termes de rendement.

L’efficacité de l’engrais est proportionnelle aux précipitations qui suivent l’apport

Dans les essais 1996 et 1997 (figure 1), l’efficacité d’un apport d’ammonitrate de 60 kg N/ha au stade 2-3 nœuds est proportionnelle aux quantités de pluie reçues jusqu’à un seuil de 20 mm dans un laps de temps inférieur ou égal à une vingtaine de jour. Un apport d’eau tardif après la floraison a permis de recouvrer une grande partie de l’efficacité, preuve que l’engrais ammonitrate était toujours disponible pour être absorbé et que les pertes par volatilisation restent modestes avec cette forme. Par contre, les potentiels de production ont été pénalisés par les carences azotées induites par le délai d’absorption, de 5 à 15 q/ha selon la fourniture azotée du sol et la croissance de la culture courant montaison.


Figure 1

L’ammonitrate, moins sensible aux pertes par volatilisation

Un autre essai a permis de comparer l’efficacité d’un apport d’ammonitrate ou de solution azotée (130 kg N/ha) au stade épi 1 cm (figure 2). Dans cet essai, le manque de pluie pendant les 23 jours suivant l’apport impacte à la fois l’efficacité de l’engrais (baisse des quantités d’azote absorbé) et le rendement, quelle que soit la forme d’engrais azoté. La solution azotée est plus impactée que l’ammonitrate. Ainsi, le retour des pluies limite la perte de CAU de l’ammonitrate à 10 %, alors que la perte de CAU de la solution azotée atteint 20 % dans les mêmes conditions. Par ailleurs dans cette situation où le blé n’a pas subi de déficit hydrique, le retard d’absorption de 23 jours, non compensé par le reliquat d’azote minéral toujours faible dans ce type de sol, a entraîné une perte de rendement de 10 q/ha imputable au stress azoté. Dans un autre essai réalisé en terre de groie superficielle la même année avec une absence totale de pluie entre le 26 février et le 26 avril, l’apport d’ammonitrate réalisé le 12 mars au stade épi 1 cm a permis d’obtenir un CAU proche de 100 %, ce qui confirme l’absence de perte par volatilisation avec cette forme d’engrais.


Figure 2


Ces résultats sont cohérents avec la plus grande sensibilité de la solution azotée au phénomène de volatilisation ammoniacale (5 à 30 % de pertes en fonction des conditions pédoclimatiques au moment et dans les jours suivant l’apport).

Dans le cadre du projet Evamin (évaluation des pertes d’azote par volatilisation ammoniacale suite à l’épandage d’engrais minéraux), des comparaisons d’émissions d’ammoniac au champ suite à l’apport de différentes formes d’engrais azotés ont été réalisés en 2016 (figure 3). Elles confirment que l’ammonitrate est la forme d’engrais azoté la moins sensible à la volatilisation ammoniacale, mais elle présente tout de même des émissions d’ammoniac, notamment en sol basique (site de l’Epine dans la Marne) et en cas de petites pluies après l’apport. L’urée quant à elle, est encore plus sensible que la solution azotée. Ces résultats démontrent aussi l’intérêt d’utiliser un inhibiteur de l’uréase, tel que le NBPT, en addition à la solution azotée et a fortiori à l’urée, pour limiter les pertes par volatilisation.


Figure 3

 

Quelle stratégie adopter en 2017 ?

En premier lieu, il est nécessaire de diagnostiquer si l’apport début montaison (épi 1 cm) présente des difficultés de valorisation vis-à-vis de la pluie. Le seuil « critique » classiquement utilisé est le cumul de 15 mm de pluie pendant les 15 jours (mais ce seuil est certainement variable selon le type de sol, la répartition des pluies et l’humidité du sol lors de l’apport) ; en dessous de ce seuil, la valorisation de l’engrais est partielle, mais pas nulle. Les cartes ci-dessous, établies le 12 avril dernier, précisent quel cumul de pluie a été atteint pour différentes hypothèses de dates d’apport. 



En cas de difficultés de valorisation climatique de l’apport d’engrais, il est alors nécessaire de déterminer si le déficit pluviométrique entraîne déjà un stress hydrique de la culture. Si oui, le potentiel de rendement de la parcelle sera revu à la baisse, tout comme la dose d’azote à apporter si cette hypothèse n’est pas déjà prise en compte dans la détermination de l’objectif de rendement. La réalisation d’un bilan hydrique tel qu’Irré-LIS permet de répondre à cette question.

Dans tous les cas, la pluie (ou de l’irrigation) sera nécessaire pour retrouver une efficacité (partielle ou complète) des apports d’engrais déjà effectués ou programmés pour le 3e apport.

Quelles actions tactiques peut-on mener précisément ?

Est-il pertinent d’avoir recours à un apport d’engrais foliaires ?

Dans des conditions de manque de pluie, les apports d’engrais foliaires ne peuvent éventuellement apporter un plus que dans les situations où la culture n’est pas perturbée par un stress hydrique. Toutefois les résultats d’une expérimentation réalisée au Magneraud en 2012 ont montré que malgré l’absence de stress hydrique l’apport sous forme d’urée en pulvérisations foliaires (plusieurs pulvérisations de 20 kg N/ha) d’une dose d’azote équivalente à celle apportée au sol ne s’est pas avérée efficace. Notons que les quantités d’azote apportées sont toujours restreintes, soit en raison du faible dosage de ces produits, soit en raison d’une limite haute pour éviter les brûlures.

Peut-on utiliser sans problème les outils d’aide à la décision (OAD) de pilotage du troisième apport d’azote ?

Dans les situations de valorisations incomplètes des précédents apports, il est probable que les outils de diagnostic indiquent à raison une carence azotée (puisque la culture n’a pas eu accès à tout l’engrais apporté), mais que le conseil de dose corrective soit surestimé en raison du stock d’azote présent dans le sol, en attente d’absorption par la culture.

La première condition pour une utilisation pertinente d’un outil de pilotage est que l’apport d’azote principal à « épi 1 cm » soit valorisé par la plante. Dans le cas contraire, tout ou partie de l’apport « épi 1 cm » est encore dans le sol, non valorisé par la plante.Pour que le précédent apport d’azote réalisé soit considéré comme valorisé et que l’utilisation d’un outil de pilotage apporte toute sa pertinence, on considère qu’un cumul de 15 mm de pluie depuis ce dernier apport est nécessaire. Dans le cas des outils Yara NTester et Farmstar, on doit attendre encore 5 jours après l’obtention de ce cumul, pour que la mesure (au sommet de la plante) soit pertinente.

Différents cas se présentent en cas de prolongement de l’absence de pluie, selon l’outil considéré. Voici des éléments pour quelques OAD :

• Jubil
En cas d’absence de pluie prolongée, jusqu‘au stade « dernière feuille ligulée », le dosage de la teneur en nitrate du jus de base de tige devient inapproprié. En effet, la méthode repose sur la constitution par la plante d’un stock de nitrate en tout début de montaison. On mesure alors la décroissance de ce stock. S’il n’est pas réalisé, alors on ne mesurera en fin de montaison qu’un flux de nitrate dans la base de la tige, variant quotidiennement et impossible à interpréter.

La règle de conduite est alors la même que celle proposée dans la dernière colonne de l’arbre décisionnel, selon la forme d’engrais et le niveau de stress hydrique.

• Yaraz NTester
En cas d’absence de pluie depuis le début de montaison, on peut attendre un stade ultérieur pour profiter d’un retour de pluie en fin de montaison.
Si le retour des pluies se fait autour du stade « Dernière feuille ligulée » et qu’il y a un cumul de 15 mm (+ 5 jours), on peut mettre en œuvre la méthode au stade « Dernière Feuille Etalée » ou « Gonflement ». Attention, dès que le stade « Epiaison » est atteint, il est trop tard, la mesure serait alors en dehors les conditions d’utilisation.

• Farmstar
L’outil est pleinement valide si un cumul de pluie suffisant a été atteint suite au dernier apport d’azote ; dans le cas contraire, le conseil Farmstar reflète bien l’état de nutrition azotée de la culture au moment de la prise d’image, mais le conseil de dose doit être modulé en fonction d’une part estimée du précédent apport qui serait toujours en attente d’absorption dans le sol, ou qui aurait été perdu par volatilisation. L’accompagnement par les conseillers de terrain permet donc d’affiner le conseil édité, sur la base d’hypothèse du devenir de l’azote déjà apporté.
On peut noter que Farmstar intègre l’effet du stress hydrique sur le potentiel de croissance de la plante. Les préconisations tiendront donc compte de l’éventuel impact du stress hydrique sur le potentiel de biomasse à floraison et abaisseront la dose requise.

 

Jean-Pierre Cohan, Jean-Charles Deswarte, Christine Lesouder, Baptiste Soenen (Arvalis – Institut du végétal)

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