Avec des prix des graines en filières longues qui ont atteint des sommets et des coûts de conditionnement et de transport qui explosent, la vente directe d’huile reste rentable, selon Jean-Marie Lenfant, producteur à La Couture-Boussey dans l’Eure.
Pour Jean-Marie Lenfant, la diversification dans la production d’huile de colza alimentaire de première pression à froid est née d’une envie, mais aussi d’une nécessité. Installé à temps plein en 2000 sur une exploitation de 120 ha de cultures en terres séchantes à La-Couture-Boussey dans l’Eure (27), l’agriculteur se devait de créer une activité complémentaire pour s’assurer un revenu. « Je réfléchissais également à l’époque à produire de la farine de blé. Cependant, les formalités administratives étaient très contraignantes pour pouvoir y parvenir. C’est un projet que j’ai concrétisé plus tard », souligne le producteur. Depuis, sa gamme s’est étoffée, avec entre autres aujourd’hui, de l’huile de tournesol, des farines de blé, de sarrasin et d’épeautre ainsi que des lentilles.
« Une des vertus du circuit court est que j’ai diversifié l’assolement. Avant, j’étais dans un système de rotation classique de cultures d’hiver blé-orge-colza, retrace l’agriculteur. Or pour avoir de beaux colzas, il vaut mieux allonger la rotation, que ce soit pour des problèmes de résistances et de maladies. J’essaye donc de laisser cinq à six ans entre chaque culture de colza dans la rotation. Le circuit-court m’a permis de le faire, car cela m’a apporté des débouchés pour d’autres productions. Les cultures de printemps ne marchent généralement pas très bien dans mes terres séchantes. Cependant aujourd’hui, je cultive beaucoup de sarrasin. C’est une culture qui nettoie le sol (allélopathique NDLR), et qui est à bas niveaux d’intrants. Lorsqu’on additionne tout cela, le sarrasin est une culture intéressante, d’autant plus que je le transforme en farine. J’ai développé aussi la culture du tournesol qui s’adapte assez bien au changement climatique ». Pour les circuits courts, Jean-Marie cultive ainsi désormais de 10 à 15 ha de colza, 10 ha de tournesol, 10 ha de blé, 8 à 10 ha de sarrasin et 2 à 3 ha de lentilles.
Réussir son colza pour la campagne 2024
Un colza bien sec
Le colza et sa transformation en huile reste malgré tout un des principaux piliers de l’activité de circuit court. « Le colza est une culture qu’on maîtrise bien, souligne le céréalier. L’important en transformation est d’avoir de bonnes graines bien propres et surtout bien sèches. Quand on livre à 9 points d’humidité à la coopérative, tout va bien. Cependant, pour transformer l’huile à la ferme, l’idéal est de travailler à 6-7 points d’humidité. En effet, l’eau est un facteur d’oxydation et peut dégrader la qualité de l’huile ». Engranger le colza à ces normes d’humidité plus exigeantes, implique pour l’agriculteur de moissonner aux bons stades de maturité, quitte à attendre un peu plus longtemps. « Aujourd’hui, nous avons des variétés qui sont moins sensibles à l’égrenage. Cela permet de le faire en prenant moins de risque », complète-t-il.
Bien évidemment, Jean-Marie s’oriente vers des variétés de colza alimentaires double zéro, sans acide érucique. L’agriculteur préfère produire des huiles de colza pour une utilisation en assaisonnement. Il vise une huile bonne pour la santé, riche en oméga trois et avec du goût ! En la matière, il ne semble pas y avoir de variété réellement supérieure en matière de qualité gustative. Les critères de choix des variétés de colza sont la richesse en huile ainsi que les résistances aux maladies et aux insectes. « On se pose des questions avec tous les insecticides qui disparaissent du marché, souligne le producteur. Les solutions passent en partie par l’allongement de la rotation, mais pas seulement. Nous introduisons souvent le colza derrière une céréale à paille dans la rotation. Cependant, nous découvrons que le colza démarre plus vite et plus fort derrière d’autres cultures comme la lentille par exemple. La culture de colza est alors plus résistante aux attaques d’insectes. Nous avons sans doute encore des marges de progrès possibles en matière d’agronomie ».
Le débouché visé de l’huile de colza est exclusivement pour un usage à froid. Pour des raisons de qualité gustative notamment, Jean-Marie ne cultive pas de variétés destinées à la cuisson. Pour adresser le débouché de la friture, l’agriculteur mise plutôt sur l’huile de tournesol.
Une gamme segmentée
À proximité relative des bassins de consommation normands et surtout parisiens, l’agriculteur a segmenté sa gamme d’huile avec une diversité de conditionnements allant de 25 cl jusqu’à 5 l. Les circuits de vente sont diversifiés également avec une partie de vente directe à la ferme, ainsi que des débouchés en restauration collective, en grande distribution et via les alliances locales des magasins Leclerc. Président délégué alimentation circuits courts à l’assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), Jean-Marie développe aussi des ventes via le développement des magasins du réseau Bienvenue à la Ferme. Malgré une diversité de débouchés, l’agriculteur n’a qu’une seule marque, « La ferme du clos de la mare », par souci de cohérence. « Le consommateur est content et rassuré de retrouver le même produit dans des circuits de distribution différents, note-t-il. Par ailleurs, je crois beaucoup à la segmentation de marché. Quand on vend une partie de sa production à l’industrie agro-alimentaire locale, une autre au marché mondial et le reste en circuit court, c’est une façon de répartir ses risques ». D’ailleurs Jean-Marie continue de livrer le solde de ses graines à sa coopérative. Les circuits courts sont complémentaires des filières longues et ils apportent à l’agriculteur des entrées d’argent régulières.
Vente des tourteaux
Qui dit production d’huile, dit production conjointe de tourteaux. Les tourteaux de ferme semblent se vendre plutôt bien, même s’ils ont tendance à être un peu plus gras que les tourteaux industriels. Ces tourteaux trouvent des débouchés et une bonne valorisation zootechnique, notamment en alimentation des vaches laitières. Le producteur se questionne cependant sur la baisse du cheptel. « Il faudra peut-être trouver de nouveaux débouchés, comme fertilisant ou bien en alimentation humaine », songe-t-il. En Normandie, un projet industriel du groupe Avril est d’ailleurs en cours pour réaliser le cracking des protéines de colza à destination de l’alimentation humaine. Des débouchés pour des protéines de colza fermières et locales pourraient peut-être également voir le jour. L’agriculteur se tient à l’affût de toutes les nouveautés en ce sens et n’hésite pas à se rendre à des salons comme le salon Biofach en Allemagne à Nuremberg. « Les Allemands ont souvent une longueur d’avance sur nous pour tirer parti de la valeur ajoutée des productions végétales », explique Jean-Marie.
Face à l’inflation
La question de la rentabilité de la production d’huile de ferme se pose lorsque l’on voit les prix des graines de colza s’envoler jusqu’à 800 €/t. Jean-Marie Lenfant en est conscient, mais selon lui, la rentabilité est toujours présente. En effet, les prix des tourteaux ont, eux aussi, connu une belle hausse. « Cependant, il est évidemment plus que jamais nécessaire, pour les agriculteurs qui se lancent en circuits courts, de réaliser leurs calculs de rentabilité, explique-t-il. La main d’œuvre du chef d’exploitation doit être comptée. Par ailleurs, il y a parfois un tabou sur les prix de vente. Cependant, avec l’inflation, les prix doivent augmenter, c’est logique. D’autant plus qu’actuellement en vente directe, nous subissons une forte hausse des coûts du transport et aussi du matériel de conditionnement, à commencer par le cartonnage, les bouteilles en verre et même les bouchons en aluminium ! Tout cela doit être compté et répercuté. Dans la vente des produits fermiers, ce qui est vraiment très important également, c’est d’avoir une politique commerciale ». En parallèle de l’inflation, le contexte actuel peut parfois apporter un surcroît de demande qui peut même paraître démesuré. Avec des craintes de pénuries, l’engouement pour l’huile de tournesol a notamment explosé dans les premières semaines ayant suivi la guerre en Ukraine.
Selon Jean-Marie Lenfant, il y a encore de la place pour le développement de la production fermière d’huile de colza. « Plus il y aura de personnes désireuses de se lancer, et plus il y aura de la visibilité pour le produit, expose-t-il. Sachant que cette activité incite souvent au développement d’autres productions comme la caméline, le chanvre… Il existe également des débouchés pour certaines huiles en cosmétique, comme la bourrache, l’onagre. Dans tous les cas, c’est surtout la qualité de la graine qui est la clé ».
Alexis Dufumier