Le maïs est une plante de grand intérêt écologique à la fois pour les sols et le climat, selon Francis Bucaille, agronome, ancien agriculteur, auteur de « Revitaliser les sols » et cofondateur de Gaïago. En techniques culturales simplifiées, une des clés de la réussite du système est selon lui justement de maximiser ces fonctions et notamment la formation d’un mulch lorsque cela est possible.
Wikiagri – Quelle est votre façon d’aborder la culture du maïs en techniques culturales simplifiées ?
Francis Bucaille – L’adoption de techniques culturales simplifiées en maïs recouvre des réalités très différentes, selon le type de sol, le type de rotation et y compris le type de maïs envisagé : maïs grain, maïs fourrages ou encore maïs semences ! En TCS, l’un des avantages en maïs grain est d’avoir une souplesse sur la date de récolte. Ainsi, dans une optique de respect maximum des sols, il devient possible dans une certaine mesure d’esquiver les conditions qui pourraient détériorer les sols, rendant le passage ultérieur d’outils comme la charrue nécessaire. En effet, contrairement à une céréale à paille comme le blé, le grain de maïs, ne présente pas de risque de se ré-humidifier et de voir sa qualité se dégrader trop fortement. En bref, le maïs grain est une culture qui simplifie la simplification du travail ! En culture de maïs ensilage, la mise en œuvre des TCS est plus délicate. D’une part, le plan de charge des ensileuses de la Cuma ou de l’entreprise de travaux agricoles prévaut généralement sur l’intérêt de respecter le sol. En outre, les indicateurs de qualité pour l’ensilage encadrent également la date de récolte en fonction du taux de matière sèche. Ainsi, en situation d’excès d’eau, la récolte du maïs ensilage et son ballet de remorques peut rendre ultérieurement difficile des visions agronomiques de non-intervention mécanique sur les sols. Des rattrapages sur les sols sont en effet parfois nécessaires.
Wikiagri – En quoi l’exportation de la plante entière peut-elle être préjudiciable ?
FB – Un autre point de vigilance lié spécifiquement au maïs ensilage est lié à la récolte de la plante entière. Ce faisant, le transfert de fertilité est colossal. Qui plus est, il n’est pas toujours compensé par des apports de fumiers ou de lisiers issus de l’élevage du fait de l’éloignement de certaines parcelles et du coût et du temps de transport. Or en pratiques culturales simplifiées ou en semis direct, les apports judicieux de matière organique sont un vrai pilier d’une bonne fertilité du sol dans toutes ses composantes – biologique, chimique, physique et hydrique, sachant que les solutions mécaniques pour agir sur ces points sont réduites. J’invite les éleveurs en TCS pour leurs maïs ensilage, à être bien vigilants sur ce point. En maïs grain, il est en revanche bien plus facile d’auto-entretenir de façon assez optimale une partie de la fertilité du fait que les cannes peuvent être broyées et laissées aux champs. Agronomiquement parlant, c’est le jour et la nuit ! Une culture de maïs grain reproduit de manière très semblable le modèle naturel vertueux de la forêt dans nos régions tempérées. L’enracinement et la photosynthèse démarrent au printemps. L’activité biologique est maximale en période estivale avec ensuite une restitution de matière organique végétale mature au sol à l’arrivée de l’automne.
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Wikiagri – Pourquoi la restitution des cannes est-elle si vertueuse pour la fertilité des sols ?
FB – Les cannes de maïs broyées à l’automne, forment ce qu’on appelle un mulch, c’est-à-dire un couvert organique de surface avec un rapport carbone sur azote (C/N) élevé. Il s’agit de tissus végétaux morts assez proches dans leur composition de ceux des feuilles des arbres qui tombent au sol dans une forêt tempérée. Ce sont des matériaux très adaptés à l’humification dans les sols à cette période de l’année, sous l’effet des champignons et de façon synchrone avec une hausse des précipitations. Cette forme d’apport reproduit ce qui se passerait dans la nature et mime le fonctionnement des sols de nos régions tempérées, tels qu’ils ont évolué depuis les dernières glaciations. Il s’agit certainement de la meilleure manière d’apporter une ration de matière organique végétale dans un sol. Les fonctionnalités positives liées à ces apports d’automne sont très nombreuses. La matière organique est intégrée dans le sol par les champignons sous une forme très durable avec un impact sur la structure du sol, la réserve en eau, le stockage de carbone, etc. Ces apports permettent également de stocker des volumes d’eau supplémentaires en hiver par la matière organique elle-même, mais aussi en limitant l’évaporation de l’eau infiltrée. L’érosion est nulle sous un mulch de cannes de maïs. Le mulch est à plus d’un titre une pratique en plein essor comme en culture de vigne. La technique assure ainsi une couverture du sol qui piège l’eau et qui évite la compétition pour l’eau d’une couverture végétale. En maïs, nous avons la possibilité de créer ce mulch de façon tout à fait simple et efficace sans recourir à des apports extérieurs. Pour maximiser l’effet du mulchage des cannes, je conseille de les broyer et de bien les étaler. Attention de ne pas broyer trop finement afin d’éviter une couverture continue, plaquée au sol, qui pourrait créer de l’anaérobiose Pour gérer les cannes et accélérer leur dégradation, il peut être conseillé de stimuler l’action des champignons par l’application d’un biostimulant prébiotique au sol. À condition que les cultures n’aient pas reçu une charge lourde en fongicides, comme un maïs semences. La flore fongique a alors les plus grandes difficultés à assurer ses fonctions. En ce cas le sol n’a pas faim d’azote, il a faim de champignons !
Wikiagri – Pourquoi préférez-vous le mulchage des cannes aux couverts végétaux jeunes ?
FB – Les sols n’ont pas évolué dans un scénario de digestion d’engrais verts immatures à C/N très faible. Dans la nature, les sols ne se nourrissent jamais de « salade ». Lorsqu’on offre une ration défavorable aux champignons, ce sont les bactéries qui dégradent la matière organique avec une exigence azotée beaucoup plus importante pouvant effectivement générer des faims d’azote. Derrière un précédent maïs grain (donc sans fongicides), il n’y a jamais de faim d’azote parce que la flore fongique, peu exigeante en azote, peut s’exprimer. Pourtant, il est vrai que les reliquats azotés sont en général très faibles dans le sol après un maïs, car le maïs est actif physiologiquement en été et automne de façon synchronisée avec la minéralisation de l’azote. C’est donc une plante qui limite les pertes par lessivage. Certains producteurs de maïs grain en monoculture avec restitution des cannes en mulch, sont capables de produire 120 quintaux/ha avec pas plus de 130 à 140 unités d’azote total en apport ! Le maïs est une plante redoutablement efficace d’un point de vue écologique contrairement à de nombreuses idées reçues. En outre, par son évaporation, elle tempère les excès du climat et alimente le cycle de l’eau en été comme le ferait une forêt. La problématique du mulchage des cannes de maïs est surtout celle du désherbage de prélevée. Celui-ci devient inopérant, car 90 % des molécules sont captées par la matière organique de surface plus ou moins décomposée. On privilégiera dans ce cas un passage d’un désherbant total en prélevée. En TCS, on peut aussi s’autoriser des passages de bineuse entre les rangs et profiter des sauts technologiques qui ont pu être faits en matière de matériels disponibles. Dans tous les cas, on adaptera la stratégie de désherbage à sa pratique de semis.
Wikiagri – Comment s’assurer d’une bonne levée du maïs en TCS ?
FB – L’implantation du maïs en TCS doit répondre aux besoins de la plante de germer dans un sol suffisamment réchauffé. Le maïs reste une plante en C4 d’origine tropicale, même si comparativement à d’autres plantes en C4 (sorgho) elle est remarquablement tolérante au froid. Le strip-till est une solution mécanique qui a aujourd’hui fait ses preuves comme solution pour réchauffer la terre en ne travaillant que la ligne de semis. L’apport d’engrais « starter » au semis de type 18-46 est également tout indiqué pour favoriser une vigueur forte au démarrage. Le gain lié à l’apport de ces engrais starter n’est pas à chercher directement sur le rendement à l’hectare, mais en termes de précocité et de diminution de la teneur en eau à la récolte qui sont autant de frais de séchage en moins. En cas de monoculture de maïs, le semis se fait directement dans le mulch de cannes. Selon leur niveau de dégradation, il convient d’avoir recours à des chasse-débris pour les écarter avant le passage du coutre de chaque élément semeur. Pour un semis réussi, il est primordial de bien évaluer son profil de sol. La plante ne devrait pas rencontrer de zone de compaction qui serait pénalisante. Auquel cas, le passage d’une dent de décompaction (10 à 25 cm) sur la ligne de semis peut être préconisé. L’objectif est de briser la zone plus compactée pour favoriser un meilleur enracinement. À noter également qu’il existe des variétés de maïs qui sont plus adaptées à l’exploration d’un sol moins travaillé. La puissance d’enracinement n’a cependant pas été un critère majeur sur lequel les plantes ont été jusqu’alors sélectionnées dans les programmes de création variétale.