alimentation futur

Quelle alimentation pour demain ?

La parution récente de deux études consacrées à l’alimentation du futur apporte une vision un peu plus claire de ce que nous devrions manger demain et de la façon dont nous allons nous procurer de la nourriture et nous nourrir. Or, derrière l’alimentation de demain, il y a bien entendu l’image de l’agriculture de demain qui se dessine.

Lorsque l’on parle de l’alimentation dans la presse et les médias, deux approches sont généralement privilégiées. La première tend à mettre l’accent sur les scandales et les polémiques en lien avec un aspect du mode de production agricole (pesticides, OGM, élevage intensif, etc.) et la façon dont les industries agroalimentaires transforment la matière première agricole pour en faire des produits alimentaires que l’on va trouver dans les rayons des supermarchés. C’est ce qui est généralement appelé désormais le « food bashing ». Cela amène le consommateur à penser que l’alimentation est « devenue suspecte » pour reprendre l’expression de Pierre Rabhi dans un entretien accordé au Figaro Magazine le 21 octobre 2016.

La seconde approche consiste, quant à elle, à mettre l’accent sur l’alimentation du futur en privilégiant généralement ce qui est le plus spectaculaire, et souvent le plus rebutant, par exemple les insectes comestibles, les poudres nutritives ou encore la viande « in vitro ». Le Salon international de l’alimentation (Sial Paris), qui s’est déroulé du 16 au 20 octobre 2016, dans lequel sont présentées nombre d’innovations, a été un bon prétexte de ce point de vue.

Mais, au-delà de cet aspect « accrocheur » relatif à l’alimentation de demain, il semble important de se poser les bonnes questions : quelles innovations sont appelées à être viables d’un point de vue technique et économique ? Lesquelles sont susceptibles d’être acceptées ou bien rejetées par les consommateurs ? Enfin, quel peut être l’impact de cette alimentation du futur sur la production agricole ? Deux publications récentes nous permettent sans aucun doute d’y voir un peu plus clair de ce point de vue et de répondre en partie à ces questions.

Que mangerons-nous demain ?

La première est une étude publiée par Unigrains qui a pour titre « Que mangerons-nous demain ? » et qui a été présentée en avril 2016. Elle a été réalisée par Lucie Arribard, qui est chargée d’études économiques au sein de la direction des études économiques d’Unigrains et qui a accepté de répondre à nos questions. Elle s’est également appuyée sur une enquête réalisée en ligne sur la perception par les internautes de la nourriture du futur.

Plusieurs tendances alimentaires émergentes ont été mises en évidence dans cette étude. (1) La montée des régimes alimentaires individualisés avec un rapport de plus en plus différencié à la consommation de viande (végétarien, vegan, flexitarien) et des adeptes semble-t-il de plus en plus nombreux des régimes « sans » (sans OGM, gluten, lactose, additifs, etc.). (2) Des consommateurs qui se disent de plus en plus attentifs aux produits, à leur origine et à leur mode de fabrication et qui se montrent sensibles à la transparence, à la traçabilité des produits ou à leur caractère local. Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce propos que l’Observatoire société et consommation (L’Obsoco), une société d’études et de conseil en stratégie, a créé cette année un observatoire de l’éthique alimentaire, qui s’est donné en particulier pour objectif d’« investiguer l’émergence d’une morale alimentaire pour expliquer le rapport à l’alimentation de demain » via une enquête d’opinion dont les résultats devraient être divulgués en 2017. (3) Une médicalisation de l’alimentation avec notamment le développement d’« alicaments » et l’« accompagnement nutritionnel des consommateurs, via des applications numériques personnalisées et des analyses nutritionnelles individuelles ». En revanche, dans un contexte où les consommateurs tendent à privilégier la transparence et la naturalité, une alimentation perçue comme trop futuriste (cuisine moléculaire, insectes, etc.) a peu de chance d’être durablement acceptée par les consommateurs. Ces derniers semblent, en effet, ne pas être très sensibles en la matière à ce que l’on appelle communément des « innovations de rupture ».

Les tendances alimentaires émergentes à l’horizon 2030

La seconde étude a été réalisée par le cabinet AlimAvenir, spécialisé dans la veille, les tendances et le prospective en matière d’alimentation et dirigé par Céline Laisney, qui avait accordé un entretien à Wikiagri.fr en mai 2015. Elle s’intitule « Enquête sur les tendances émergentes et leur devenir à l’horizon 2030 » et a été publiée en amont de l’étude Vigie Alimentation 2016-2017 (dont l’édition précédente avait fait l’objet d’un article dans Wikiagri.fr). Elle s’appuie sur une enquête menée auprès d’une cinquantaine d’experts et d’acteurs de l’agroalimentaire, de la distribution et d’interprofessions en vue de déterminer là aussi quelles devraient être les principales tendances alimentaires émergentes à l’horizon 2030 et quel est le potentiel de développement de différentes innovations en lien avec l’alimentation. Les personnes consultées devaient donner à chacune de ces tendances – 13 au total – une note de 0 (la tendance est un simple effet de mode sans lendemain) à 10 (la tendance devrait être certaine dans les années à venir).

L’infographie suivante (©AlimAvenir) présente les résultats de cette enquête.


Cette étude aboutit à trois conclusions. (1) Il existe encore beaucoup d’incertitudes sur le développement de la personnalisation de l’alimentation, de l’agriculture urbaine high tech et a fortiori des produits à base d’algues et d’insectes, qui n’obtiennent pas la moyenne aux yeux des personnes sondées par AlimAvenir, alors que ce sont pourtant des sujets très à la mode dans la presse. (2) Certaines innovations sont appelées à avoir un avenir plus prometteur, mais seulement pour une niche spécifique de consommateurs. C’est le cas de la livraison de repas, des circuits courts, et de la digitalisation de la nutrition et de la cuisine. (3) Enfin, certaines tendances apparaissent comme « lourdes » et devraient par conséquent à la fois se renforcer et se généraliser à l’horizon 2030 : l’e-commerce alimentaire, les produits locaux en grande surface, les produits bio, le flexitarisme et les produits à base de protéines végétales.

Cela devrait donc contribuer à dessiner les contours de l’agriculture de demain autour de trois éléments : (1) une production de qualité avec le succès des produits locaux dans la grande distribution et des circuits courts, et la montée du flexitarisme de consommateurs qui veulent manger moins de viande, mais de meilleure qualité ; (2) une plus importante production bio : d’après AlimAvenir, « la majorité des acteurs et experts voient la tendance « s’installer en habitude de consommation et non plus en niche » », mais qui pourrait tout de même être concurrencée par les produits issus de l’agriculture raisonnée ou des « circuits courts industriels » ; (3) une importante demande de céréales et de légumineuses pour les produits à base de protéines végétales, qui recueillent d’ailleurs la note la plus élevée du panel, et qui devrait être également favorisée par le flexitarisme croissant des consommateurs. Au final, l’agriculture de demain qui se profile apparaît somme toute assez traditionnelle, même si elle devrait impliquer une importante restructuration de certains secteurs, comme celui de l’élevage, alors qu’au contraire, l’agriculture « alternative », incarnée par les fermes urbaines high tech, les algues ou les insectes, pourrait avoir un avenir beaucoup moins souriant que ce que l’on aurait pu penser au préalable.

L’interview de Lucie Arribard

« Les consommateurs souhaitent consommer moins de viande, mais de meilleure qualité »

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

L.A. : Je travaille au sein de l’équipe « études économiques » d’Unigrains. Je suis en charge de l’expertise et de la veille stratégique des secteurs situés à l’aval de la chaîne alimentaire : tendances de consommation, innovations, restauration, grande distribution, nutrition, produits bio… tout ce qui touche directement le consommateur.

Unigrains a publié en avril dernier une étude consacrée à l’avenir de l’alimentation (« Que mangerons-nous demain ? ») dont vous êtes l’auteure. Quel était l’objectif d’Unigrains en lançant ce projet et quelles sont les principales conclusions de cette étude qui s’est appuyée également sur une enquête en ligne ?

L.A. : Nous avions remarqué que l’avenir de notre alimentation prend une place grandissante dans les médias, c’est un sujet qui préoccupe le grand public en général et les acteurs de l’agro-alimentaire, qui se posent beaucoup de questions sur les évolutions actuelles et à venir. L’objectif de cette étude était de faire le point sur les changements dans nos comportements alimentaires, puis d’analyser quelques-unes des grandes tendances alimentaires actuelles (où en est-on actuellement ? pourquoi ces tendances émergent-elles ? que peut-on attendre pour demain ?) et enfin d’évaluer l’impact de ces tendances sur les acteurs de l’agro-alimentaire. 4 tendances majeures ont été étudiées en détails : la diminution de la consommation de viande, le raccourcissement des chaînes alimentaires, la médicalisation de l’alimentation, et l’apparition de nouvelles ressources alimentaires.

On ne parle actuellement que de « FoodTech » avec notamment les protéines du futur (insectes, micro-algues, substituts de viandes) ou encore les imprimantes 3D alimentaires. Pour vous, est-ce un simple effet de mode notamment véhiculé par les médias ou même une sorte de bulle spéculative (comme on peut le voir actuellement avec les difficultés rencontrées par Hampton Creek aux Etats-Unis) ? Est-ce que ce sont des gadgets ou bien des niches pour « bobos » ? Ou est-ce au contraire le symptôme de tendances sous-jacentes révélant un nouveau rapport des consommateurs à l’alimentation et à la façon de s’alimenter ?

L.A. : On range beaucoup de concepts, produits ou services différents sous l’appellation FoodTech. Certains d’entre eux sont représentatifs d’évolutions profondes et durables de notre alimentation : la recherche de nouvelles sources de protéines (végétales, de synthèse, algues, insectes…) par exemple, en réaction à la forte augmentation de la demande mondiale en protéines. On peut également citer les entreprises qui participent à la digitalisation des points de vente ou les applis de coaching nutritionnel, qui accompagnent nos comportements de plus en plus connectés. On rencontre en effet un phénomène de bulle spéculative sur certains marchés, par exemple celui de la livraison de repas à domicile, qui a concentré des montants d’investissement très importants ces derniers mois. Mais il faut noter que ce marché est maintenant entré en phase de structuration, les investisseurs privilégiant des entreprises ayant déjà atteint une certaine taille critique, comme Deliveroo qui a levé 125 millions de dollars en étant valorisé plus d’un milliard cet été, alors que son concurrent Take Eat Easy a déposé le bilan, faute d’avoir su lever les fonds nécessaires à son fonctionnement.   

Il est de plus en plus question de « médicalisation de l’alimentation », pour reprendre l’expression que vous employez dans l’étude. Est-ce une tendance que l’on devrait observer à l’avenir en France ? N’est-ce pas contradictoire avec la vision française de l’alimentation (plaisir gustatif, plaisir de partager un repas) ou avec la liberté de choix des consommateurs à laquelle ils semblent tenir comme le montre le résultat de votre enquête en ligne ?

L.A. : La médicalisation de l’alimentation est une tendance de fond, qui découle de la prise de conscience de l’influence de notre alimentation sur notre santé. Le développement des maladies liées à l’alimentation (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires, intolérances…) dans les pays développés et les découvertes scientifiques récentes (nutrigénomique, étude du microbiote) ont contribué à l’émergence de nouvelles exigences nutritionnelles de la part des consommateurs. Ainsi, 70 % des Français seraient prêts à payer plus cher leurs aliments pour un bénéfice santé. Dans certains pays, notamment anglo-saxons, ces préoccupations nutritionnelles aboutissent à une individualisation de l’alimentation. Cependant les valeurs sociales de l’alimentation (convivialité, commensalité, plaisir) sont fortement ancrées dans le modèle alimentaire français et restent importantes, y compris pour les jeunes générations. Certains concepts auront du mal à pénétrer le marché français, comme par exemple la « potion magique » développée par Soylent qui contient tous les nutriments nécessaires à nos besoins et peut remplacer une alimentation variée. D’autres, en revanche, simplifient les arbitrages quotidiens au niveau individuel et peuvent être plus facilement adoptés, comme les applications de coaching nutritionnel qui proposent un repas du soir adapté en fonction de l’activité physique du jour et de ce qui a été consommé le midi.

Dans l’enquête en ligne réalisée par Unigrains, une large majorité des internautes pense que l’on mangera moins de viande en France dans 50 ans. Quelle devrait être, d’après vous, la place de la consommation de viande en France dans les décennies à venir ? 

L.A. : La consommation de viande en France est en diminution durable : elle est passée d’environ 100 kg/an/habitant dans les années 2000 à environ 86 kg en 2015. Cette diminution est due à deux effets combinés : un effet d’âge (on consomme moins de viande en vieillissant, car les besoins nutritionnels diminuent, que l’on a plus de mal à mâcher…) et un effet de génération (le taux de végétariens est plus important au sein des jeunes générations, pour des raisons éthiques, de sensibilité environnementale, et économiques). On peut raisonnablement penser que cette baisse va se poursuivre à l’avenir, jusqu’à atteindre un plateau autour de 50 kg/an/habitant, cette quantité permettant de remplir nos besoins physiologiques, notamment en fer.  

Quelles sont, d’après vous, les implications possibles pour le monde agricole français de ces tendances futures en matière alimentaire ?

L.A. : Elles sont multiples. Par exemple, la diminution de la consommation de viande va dans le sens d’une consommation plus raisonnée, les consommateurs souhaitant consommer moins de viande, mais de meilleure qualité. Les filières françaises de production de viande doivent donc être capables de proposer de la viande de qualité, même si les volumes produits sont moindres. Les exigences montantes en matière de transparence et de traçabilité affectent également profondément le secteur, les industriels devant pouvoir remonter très rapidement leurs chaînes d’approvisionnement et justifier du bien fondé de chacun des processus employés lors de la fabrication des aliments. Le raccourcissement des chaînes alimentaires et le développement de concepts associés à la vente directe influencent également directement le monde agricole, qui bénéficie désormais d’un accès facilité aux consommateurs et qui peut désormais court-circuiter les intermédiaires (grande distribution, grossistes, négociants…).

En savoir plus : http://www.lefigaro.fr/gastronomie/2016/10/21/30005-20161021ARTFIG00066-pierre-rabhi-l-alimentation-est-devenue-suspecte.php (entretien accordé par Pierre Rabhi au Figaro magazine le 21 octobre 2016) ; www.sialparis.fr (site du Sial), www.unigrains.fr/fr/actualites/synthese-detude-que-mangerons-nous-demain.html (synthèse de l’étude « Que mangerons-nous demain ? » publiée par Unigrains en avril 2016) ; www.lobsoco.com/lobservatoire-de-lethique-alimentaire (page consacrée à l’observatoire de l’éthique alimentaire sur le site de L’Obsoco) ; www.lobsoco.com/wp-content/uploads/2016/10/Presentation-de-lObservatoire-Ethique-Alimentaire_format-A4.pdf (document de présentation de l’observatoire de l’éthique alimentaire) ; https://wikiagri.fr/articles/exposition-universelle-de-milan-les-enjeux-de-lavenir-de-lalimentation/4269 (entretien accordé par Céline Laisney à Wikiagri.fr en mai 2015) ; www.alimavenir.com/etude-vigie-alimentation (page permettant d’avoir accès à l’étude Vigie Alimentation 2016-2017) ; https://wikiagri.fr/articles/les-dix-tendances-du-systeme-alimentaire-mondial-en-2015/6083 (article de Wikiagri.fr consacré à l’étude Vigie Alimentation de 2015).

Notre illustration ci-dessous est issue du site Fotolia, lien direct https://fr.fotolia.com/id/47115073.

Article Précédent
Article Suivant