exposition universelle milano

Exposition universelle de Milan, les enjeux de l’avenir de l’alimentation

L’Exposition universelle de Milan, qui a ouvert ses portes le 1er mai, est la première de l’histoire à être consacrée à l’enjeu de la sécurité alimentaire autour du thème « nourrir la planète ». Elle soulève donc la question des enjeux de l’avenir de l’alimentation sur lesquels nous revenons dans un entretien que nous accordé Céline Laisney, spécialiste de la prospective en matière d’alimentation.

Alors que la dernière Exposition universelle s’était déroulée en 2010 à Shanghai, celle de Milan a ouvert ses portes le 1er mai dernier et les fermera le 31 octobre prochain. L’exposition de Shanghai avait pour thème « meilleure ville, meilleure vie ». A Milan, ce sont l’agriculture et l’alimentation qui sont au cœur des préoccupations pour la première Exposition universelle consacrée à la sécurité alimentaire autour du thème : « Nourrir la planète, énergie pour la vie » et de la question-clef suivante : « Est-il possible de garantir à toute l’humanité une alimentation de qualité, saine, suffisante et durable ? », alors que la population mondiale devrait dépasser 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050 dans un contexte de changement climatique.

144 pays sont représentés à cette Exposition sur un site de 110 hectares, tout comme différentes organisations internationales telles que l’ONU, la FAO ou l’Union européenne. Le pavillon français, quant à lui, est censé être le symbole de notre « culture alimentaire » puisqu’il s’agit d’une halle de marché. L’Exposition attend au total plus de 20 millions de visiteurs, dont 5 millions de visiteurs non-Italiens, avec parmi eux 1 million de Français, malgré les nombreuses controverses qui ont jalonné sa préparation : coût de l’Exposition très élevé, recours massif à des volontaires, scandales de corruption et d’appels d’offre truqués entraînant un important retard des travaux, sponsors ne correspondant pas nécessairement à l’objectif d’une « alimentation saine » (McDonald’s, Ferrero, Coca Cola, etc.).

C’est dans ce contexte que WikiAgri interviewe Céline Laisney, spécialiste de la prospective en matière d’alimentation qui a fondé le cabinet AlimAvenir, non pas tant pour répondre à la sempiternelle question de savoir si nous parviendrons à nourrir 9 milliards d’habitants en 2050, mais pour voir quelles sont les principales innovations à venir en matière d’alimentation, de production et de distribution de denrées alimentaires.

Son point de vue très nuancé nous mène à deux conclusions importantes en la matière. La première est que, quoi qu’il en soit, en matière d’innovation alimentaire les points de vue des consommateurs et des producteurs sont indissociables. Cela signifie que ces innovations doivent être rentables pour les producteurs (ce qui n’est pas le cas par exemple de la viande « in vitro »), mais aussi être acceptées par les consommateurs et surtout répondre à de véritables besoins à leurs yeux (OGM, nanotechnologies). L’un ne va pas sans l’autre. La seconde conclusion est que, face aux innovations, il faut savoir raison garder. Il convient donc de se montrer prudent face aux effets de mode (insectes) ou à la « science fiction » (imprimantes 3D, fermes verticales) souvent véhiculés par les médias ou les fans de technologies.

 

Interview de Céline Laisney

Démarches durables, transparence… Les grandes tendances

Pouvez-vous nous présenter les activités du cabinet AlimAvenir ?

Céline Laisney : Après une expérience professionnelle dans une société d’études et de conseil en prospective (Futuribles) et au ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, j’ai créé le cabinet AlimAvenir pour proposer aux acteurs publics et privés une expertise indépendante sur les évolutions de l’alimentation à moyen et à long terme (prospective). Je me fonde sur une veille active portant à la fois sur les comportements alimentaires à partir de travaux sociologiques, anthropologiques et de données économiques, sur l’observation de l’offre agroalimentaire et sur un suivi des programmes de recherche en cours et des start-ups pour détecter les innovations.

Vers une montée du « flexitarisme »

D’après vous, quelles sont les tendances prévisibles dans les années à venir en France et plus généralement en Europe en matière d’alimentation ? On parle beaucoup de deux tendances : (1) un plébiscite en faveur des produits frais et des circuits courts, voire du locavorat, et parallèlement, (2) de fortes préoccupations en termes de santé et d’environnement (développement des produits bio, rejet des pesticides et des OGM, réticences vis-à-vis des produits de l’industrie agroalimentaire). Pensez-vous que cela va durer ?

Céline Laisney : Tout dépend de l’horizon auquel on se situe (c’est un point très important quand on étudie l’évolution des tendances). A un horizon de 10 ou 15 ans, il s’agit essentiellement de tendances pour l’instant émergentes mais qui pourraient se renforcer, par exemple en effet la consommation de produits d’origine biologique, qui ne représente encore que 2,6 % du marché alimentaire français, mais qui connaît une forte croissance (10% par an). Je pense que cette part peut encore augmenter (ne serait-ce que parce que c’est un objectif politique, en particulier dans la restauration collective publique), mais que, plus généralement, les produits issus de démarches plus « durables » (démarches intermédiaires entre bio et conventionnel), sont eux aussi promis à un bel essor. Pour les produits locaux et circuits courts, la progression devrait également se poursuivre sous des formes variées qui n’excluent pas forcément la grande distribution, car celle-ci a pris acte de cette tendance et restera sans doute dominante dans les années à venir pour de nombreuses raisons.

Quant aux réticences vis-à-vis des industries agroalimentaires, je pense que cela dépendra des réactions de ces dernières face à la demande de transparence croissante qui leur est adressée : certains groupes commencent à mettre en place des stratégies pour y répondre sérieusement, mais ce n’est pas encore la majorité.

Outre ces tendances déjà observables, je pense qu’on pourrait voir se développer le flexitarisme, qui consiste à manger moins de produits d’origine animale (viande et produits laitiers), ou moins souvent, au profit des protéines végétales. Cette tendance est, comme c’est souvent le cas, soutenue par le développement d’une offre de produits pour remplacer la viande qui permettent de conserver ses habitudes alimentaires (il n’est pas nécessaire de mettre du tofu à tous ses repas !) et même le plaisir et le goût. Elle correspond à une sensibilité croissante au bien-être animal ainsi qu’aux impacts du changement climatique, et est déjà bien développée dans les pays anglo-saxons, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas. Surtout, elle est bien ancrée chez les jeunes qui sont les consommateurs de demain.

Nanotechnologies, viande in vitro, imprimantes 3D, animaux génétiquement modifiés, produits de très longues conservation… quelles sont d’après vous les innovations les plus prometteuses en matière d’alimentation et celles qui sont les plus inquiétantes ou les moins crédibles ?

Céline Laisney : Une innovation prometteuse n’est pas celle qui est la plus avancée d’un point de vue technique mais celle qui répond à un vrai besoin et qui est bien acceptée socialement. Et il ne faut pas non plus oublier l’aspect rentabilité économique… Ainsi, la viande in vitro est très coûteuse, pas forcément plus écologique que la vraie viande, et je ne vois pas son intérêt étant donné les alternatives à la viande qui existent déjà. L’imprimante 3D a ses avantages dans certains domaines précis (chocolaterie, confiserie) ou pour certains usages (personnalisation) mais je ne la vois pas envahir les cuisines des particuliers et devenir le nouveau micro-ondes comme l’annoncent ses promoteurs. Et je trouve dommage qu’elle occulte le fait qu’il y a des robots de cuisine de plus en plus performants à un prix qui devient abordable (mais qui sont moins médiatiques car ils font moins « science-fiction »).

D’après toutes les enquêtes réalisées depuis plusieurs années maintenant, les nanotechnologies et les OGM font peur aux consommateurs et leurs avantages ne les frappent pas. Je pense que dans ce cas on va surtout aller vers un étiquetage encore plus précis de leur présence dans les aliments (en lien avec la demande de transparence citée auparavant), ce qui bouleversera sans doute les industries agroalimentaires.

La consommation humaine d’insectes est-elle un simple effet de mode ou bien faut-il prendre cela au sérieux pour les pays développés ?

Céline Laisney : Dans les pays où elle ne fait pas partie des habitudes alimentaires, la consommation d’insectes me semble relever d’une consommation occasionnelle, festive, pour faire une expérience mais non pour en faire la base de son alimentation quotidienne. Encore une fois on dispose de suffisamment d’autres alternatives aux protéines animales, et de plus, celle-ci est rejetée par une majorité de consommateurs, d’après des études menées dans plusieurs pays développés. L’acceptabilité peut augmenter avec la mise sur le marché d’aliments où l’insecte n’est pas visible (barre de céréales, biscuits voire farine pour faire des gâteaux…), mais il y a encore la question de la réglementation : leur commercialisation n’est pas officiellement autorisée en Europe, même si certains pays l’ont légalisée pour quelques espèces.

En revanche, les insectes peuvent être une piste intéressante pour l’alimentation animale, il y a des projets de recherche en cours comme le projet ANR Desirable avec la société Ynsect. Il faut encore faire la preuve que l’élevage d’insecte est vraiment meilleur pour l’environnement que l’importation de tourteaux de soja et qu’il peut rivaliser économiquement.

L’avenir prometteur de l’agriculture urbaine

Doit-on croire également au développement de l’agriculture urbaine, à l’exemple des fermes Lufa au Canada, et a fortiori aux projets de fermes verticales ?

Céline Laisney : On peut croire à ce qu’on voit : les projets d’agriculture urbaine se multiplient dans le monde entier, et notamment les fermes commerciales, qui ne ressemblent pas forcément aux tours verticales futuristes des projets des designers et architectes… Elles s’installent sur les toits des bâtiments qu’elles contribuent à isoler et dont elles récupèrent l’énergie, dans d’anciens entrepôts voire d’anciennes usines d’électronique comme au Japon, et même dans des espaces assez réduits sous forme de modules. Grâce aux techniques utilisées (hydroponie et aquaponie), elles sont beaucoup plus productives que leurs équivalents en pleine terre et consomment nettement moins d’eau. Toutefois, elles ne vont pas remplacer la production agricole classique, mais la compléter avec une offre de produits ultra-frais (cueillis et livrés dans la journée) et locaux, à un prix plus élevé.

Parmi les nouveaux modes de distribution des produits alimentaires (consommation collaborative, type La Ruche qui dit oui, supermarchés locavores type Frais d’ici, e-commerce avec la vente de produits frais par Amazon, etc.), qu’est-ce qui est amené à se développer ?

Céline Laisney : Les circuits courts non contraignants (sans engagement à long terme) comme la Ruche qui dit oui et les supermarchés locavores comme Frais d’ici ou Les Halles de l’Aveyron, sont en phase avec les attentes des consommateurs en termes de praticité et de coût (pas plus élevé que dans la grande distribution classique). Ils peuvent donc encore se développer et mailler davantage le territoire.

La Ruche qui dit oui se fonde sur une plateforme d’e-commerce très performante et qui va encore s’améliorer. D’une manière générale, l’e-commerce est encore très peu développé dans l’alimentaire (vins à part) par rapport à d’autres secteurs, mais cela pourrait changer rapidement avec l’arrivée de nouveaux acteurs : Amazon en effet, mais aussi des start-ups très prometteuses… et avec le développement de nouvelles modalités de livraison (casiers de retrait, etc.).

En savoir plus : www.expo2015.org/fr/index.html?packedargs=op=changeLang (site de l’Exposition universelle de Milan 2015), www.un-expo.org/fr (site de l’ONU sur l’Exposition universelle), http://europa.eu/expo2015/ (site de l’Union européenne sur l’Exposition universelle), http://alimentation.gouv.fr/milan-2015 (page du site du ministère français de l’Agriculture consacrée à l’Exposition universelle), www.franceagrimer.fr/content/download/26888/235777/file/03%20-%20Presentation%20exposition%20Milan%202015.pdf (présentation de l’Exposition universelle par France Agrimer), www.alimavenir.com/ (site internet d’AlimAvenir), @AlimAvenir (adresse d’AlimAvenir sur Twitter), www.futuribles.com/groupes/vigie-alimentation/ (étude annuelle du Système Vigie alimentation).

Article Précédent
Article Suivant