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Produire du lait en Ukraine en guerre: « Tous nos projets sont à l’arrêt » (Yvan Melnyk)

A Buky, Yvan Melnyk, fondateur d’une ferme de 4 500 ha (à droite) et Oleksandr Pidlubniy, son directeur (à gauche), ont de grandes ambitions pour moderniser leur élevage laitier. Ils gèrent un troupeau de 183 vaches laitières. Mais depuis que leur pays est en guerre contre la Russie, ils se contentent de redresser les performances de leur troupeau.

Sur un des sites de l’exploitation fondée par Yvan Melnyk à Buky (région d’Uman), est érigée une dizaine de bâtiments d’élevage construits sous l’ère soviétique. Y étaient élevés des centaines de vaches et de porcs. Yvan a repris quelques-uns d’entre eux pour y relancer la production laitière.

Ses 183 vaches sont élevées à l’attache. Elles sont nourries d’une ration complète de fourrages (maïs, luzerne, céréales et de soja) produits sur l’exploitation. Par beau temps, les animaux ont accès à l’aire de parcours adjointe au bâtiment.

Chaque jour, 165 vaches en moyenne sont traites à la rampe matin et soir.

L’ensemble de l’installation est complètement amortie. Les charges de l’atelier sont l’alimentation, les frais d’élevage, l’électricité, l’eau et le personnel. 

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Une des étables de l’exploitation d’Yvan où sont élevées les vaches laitières

Lorsque la Russie a entrepris d’envahir l’Ukraine, le marché ukrainien du lait s’est effondré. Au tout début du printemps 2022, le lait n’était plus collecté car l’industrie était complètement désorganisée. Près de la frontière biélorusse, des fermes ont été détruites (cf article page ,,,,). Des vaches ont été abattues. De nombreux animaux étaient livrés à eux-mêmes.

Par ailleurs, la demande de produits laitiers a chuté car des centaines de milliers de femmes et d’enfants en bas âge se sont réfugiés en Pologne et dans d’autres pays voisins de l’Union européenne. A l’intérieur même du pays, le réseau de distribution et de commercialisation a été chamboulé car une partie de la population de l’est d’Ukraine avait fui les combats pour se réfugier à l’ouest du pays, dans la région d’Uman par exemple. Enfin, les consommateurs n’avaient plus les moyens financiers pour acheter autant de produits laitiers qu’avant la guerre. Un relevé de prix dans les supermarchés montre même que le lait en vendu en poche de 900 ml coûtait près d’un euro le litre. Or le pouvoir d’achat moyen d’un Ukrainien est 56 % moins élevé qu’en France. Cette moyenne masque d’énormes disparités. Les pensions de retraite sont très très faibles.

Durant la période soviétique, les élevages laitiers étaient impressionnants par leur dimension – les fermes de 1 000 vaches étaient très communes – mais ils étaient peu productifs. Il y a trente ans, on dénombrait six fois plus de vaches qu’actuellement et pour autant l’Ukraine ne produisait pas plus de lait (7 millions de tonnes avant la guerre).

La production de lait est traditionnellement dédiée à  l’approvisionnement du marché ukrainien. Le pays n’a pas pour le moment d’ambitions de devenir un exportateur majeur de produits laitiers. Mais la baisse du nombre de consommateurs rend le marché intérieur excédentaire.

Son voisin, la Biélorussie, est un des six pays de la planète (Union européenne, Etats-Unis, Argentine, Australie, Nouvelle Zélande) structurellement exportateur de produits laitiers. Mais Minsk exporte l’essentiel de ses produits en Russie et d’autres pays encore très liés à l’ancienne puissance soviétique.  

Au début du mois de novembre à Buky, le coût de production de chaque litre de lait produit était de 11 Hryvnias (0,3 €/l), salaires compris. Lorsque le prix du lait s’est effondré, Yvan produisait à pertes quand le lait a de nouveau été collecté.

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Aire de parcours des vaches laitières l’été

Durant les dix premiers mois de l’année, le litre de lait standard était payé 13,95 hryvnias, soit 0,35€/l.

« Tous nos projets sont à l’arrêt », déplore Yvan. Avec ses salariés, il poursuit néanmoins son projet engagé depuis quelques années : améliorer les performances laitières de son troupeau. Ses vaches produisent dorénavant 21 litres de lait en moyenne par jour (lactation lissée sur un an), soit quatre litres de plus qu’en 2021.

Réformées à 8-10 ans

Les 183 vaches de races Holstein sont trop hautes sur pattes pour être à l’aise dans les étables où elles sont attachées. Aussi, Yvan a entrepris de croiser des animaux avec des taureaux Jersey pour élever dans deux-trois ans des génisses plus adaptées à leurs conditions de logement. Par ailleurs, le lait produit sera plus riche en protéines et lipides.

Aujourd’hui, les premiers veaux croisés Holstein X Jersey sont nés. 

Hormis ce projet zootechnique, les éleveurs ont renoncé de moderniser leurs équipements et de changer le matériel de traite.

Avant la guerre, ils avaient aussi l’ambition de doter les toits des bâtiments de leur troupeau de panneaux solaires. L’élevage d’Yvan aurait ainsi été autonome en électricité lorsqu’il avait été victime de coupures à la fin de l’année passée. L’armée russe bombardait en effet l’Ukraine en ciblant les installations électriques.

Le prix auquel le lait livré est payé dépend évidemment des taux de matières grasses et des taux de protéines mais surtout de la qualité sanitaire. Les majorations allouées sont significatives.

Le marché de la viande bovine se redresse de mois en mois en Ukraine se réjouit Yvan. Au début du mois de novembre, il vendait ses vaches de réforme 1,66 € le kilo équivalent carcasse. Un an plus tôt, ses vaches cotaient moins d’un euros. Le prix s’aligne en partie sur le pouvoir d’achat des consommateurs ukrainiens (ils n’ont pas les moyens d’acheter de la viande chère). Mais les Ukrainiens préfèrent la viande de porc à la viande bovine.

Les vaches sont réformées à 8-10 ans. Toutes les génisses croisées holstein x jersey sont conservées. Les veaux mâles sont élevés.

L’industrie laitière ukrainienne est concurrencée par des importations de fromages meilleur marché. Mais dans l’ensemble le niveau des prix des produits agricoles observés en Ukraine met les agriculteurs à l’abri de la concurrence sur le marché intérieur. Les prix agricoles sont bien plus faibles que dans l’Union européenne.

C’est à l’export que les produits ukrainiens sont redoutés. Comme le marché ukrainien s’est rétréci, une partie des produits qui s’écoulaient uniquement à l’intérieur du pays, sont exportés.

Pour en savoir plus: https://wikiagri.fr/articles/guerre-en-ukraine-produire-du-lait-est-un-acte-de-resistance/22608/

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