Second volet de l’interview de Jean-Marc Meynard, chercheur au département « Sciences pour l’action et le développement » de l’Inra, et co-coordonateur de l’étude « Freins et leviers à la diversification des cultures »
Après avoir expliqué les intérêts et les freins à la diversification dans une première partie d’interview publiée le 10 avril (lien en fin d’article), Jean-Marc Meynard illustre, dans cette secnonde partie, ses propos par des exemples, et évoque les pistes permettant de diversifier durablement les assolements.
Pourquoi certaines cultures ne se développent pas ?
J.-M.M. : Je vais commencer par l’amont des filières, avec la question des semences. Le pois chiche par exemple a un frein principal à son développement : l’anthracnose, une maladie causée par un champignon. Il faudrait travailler à la mise au point de variétés résistantes. Mais peu de semenciers sont intéressés par des cultures qui représentent un très petit marché. Pour des cultures ayant des débouchés très différents, comme le chanvre, il est difficile pour le sélectionneur de savoir sur quels critères de sélection orienter ses travaux. Parlons ensuite des références techniques : leur richesse varie énormément selon les cultures. Pour l’ensemble des cultures étudiées, nous avons analysé 220 références provenant d’instituts techniques (Arvalis, Cetiom…) ou de la presse agricole. Les effets précédents des cultures de diversification ne sont évoqués que dans 100 références sur 220 et les effets de la diversification sur les populations de bio-agresseurs des cultures suivantes ne sont évoqués que 40 fois (soit moins d’un article sur cinq). Seulement un quart des références évoque la rentabilité économique des cultures, et encore, souvent au niveau de l’année. Cela montre qu’il est difficile d’avoir une idée des avantages que procure une culture introduite dans la rotation. Concernant le machinisme, certaines cultures nécessitent un matériel de semis et/ou de récolte spécifique. Cette contrainte implique un investissement de la part de l’agriculteur ou bien une organisation dans le bassin de production, au sein d’une Cuma par exemple. Au niveau logistique, il est plus facile pour les coopératives de collecter une culture bien représentée sur le territoire en grande quantité, que plusieurs cultures occupant de petites surfaces, qui mobilisent plusieurs petits silos. Les silos sont souvent dimensionnés pour accueillir de grandes quantités alors que les cultures de diversification représentent souvent un faible volume. Au bout de la chaîne, l’aval de la filière a une forte influence sur la possibilité de diversifier. Les coûts liés à l’acheminement d’une matière première et la régularité de l’approvisionnement entrent en compte. Si un industriel souhaite incorporer du pois – dont l’offre est limitée en volume, dispersée sur le territoire – à la formulation d’un aliment, il pourra être découragé les coûts d’acheminent du pois. Il optera donc pour un approvisionnement sur le marché mondial. Enfin, on peut évoquer le problème des normes, qui ne mettent pas en avant certains avantages des cultures de diversification. Le chanvre par exemple, se développerait mieux face à la laine de verre si les normes qui qualifient un isolant intégraient ses avantages environnementaux.
A quelles conditions une diversification peut-elle être considérée comme durable ?
J.-M.M. : Une diversification est durable à condition qu’elle réunisse trois leviers. Le premier est la présence de débouchés assurant une plus-value. Il est donc essentiel d’aider les consommateurs à mieux repérer les produits issus des cultures de diversification. Prenons l’exemple du lin, avec la filière Bleu Blanc Cœur. Avant le développement de cette filière, qui met en avant les avantages nutritionnels de produits issus d’animaux ayant été nourris avec un supplément en lin, cette culture était une culture d’opportunité. Dans les années 2000, le développement du label a abouti à la construction d’une filière fortement coordonnée. Le lin, devenant une matière première recherchée, est devenu une culture qui assure un débouché sûr à l’agriculteur. Deuxièmement, il faut une coordination forte entre les acteurs de l’amont et de l’aval, pour que l’amont produise la quantité et la qualité dont l’aval a besoin. La valeur ajoutée et les savoirs techniques se transmettent alors verticalement entre acteurs de la filière. Pour le lin, c’est la société Valorex qui assure cette coordination, et favorise le transfert des références techniques au monde agricole. L’une des causes les plus fréquentes de l’échec de filières de diversification et l’insuffisante coordination des acteurs. Le troisième levier concerne la recherche et le développement. Le manque en sélection variétale, en techniques de cultures innovantes, en valorisation industrielle, doit être comblé. Toujours en prenant l’exemple du lin, un très gros frein a été levé grâce au procédé dit de « thermo extrusion », qui permet d’éliminer la digestibilité de la graine de lin pour les animaux. C’est Valorex qui a déposé le brevet. Pour favoriser le développement de cultures il faut consolider les références sur les itinéraires techniques, les marges au niveau de la rotation, ce qui aidera les acteurs du monde agricole, qu’il s’agisse des exploitants, coopératives ou conseillers, à se positionner par rapport à l’intérêt de ces cultures.
Les paiements verts de la nouvelle Pac sont versés uniquement si l’assolement comprend trois cultures. Que pensez-vous de l’impact économique d’une telle mesure ?
J.-M.M. : Les critères de verdissement restent peu exigeants : une étude (Ndlr : « Diversification des cultures dans l’agriculture française – état des lieux et dispositifs d’accompagnement », réalisée par le commissariat général au développement durable) montre que 14 % d’entre elles seulement ne respectaient pas, au début des années 2010, le critère de « trois cultures différentes dans l’assolement ». Ces exploitations sont situées dans des régions très spécialisées. Certes, le maïs est une plante qui supporte mieux la monoculture que d’autres plantes. Le fait de cultiver du maïs une année sur l’autre n’entraîne pas une augmentation de l’IFT. Mais le cas de l’Alsace par exemple, où il a fallu inciter les agriculteurs à casser la monoculture pour lutter contre la chrysomèle, montre que la monoculture a ses limites.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/linteret-des-rotations-et-des-filieres-organisees-dans-la-diversification/1052 (première partie de l’interview de Jean-Marc Meynard) ; http://institut.inra.fr/Missions/Eclairer-les-decisions/Etudes/Toutes-les-actualites/Diversification-des-cultures (pour télécharger le rapport).
Notre photo : le lin, une culture de diversification.