Afin de mieux comprendre les freins à la diversification et surtout les leviers à mettre en œuvre une diversification réussie à l’échelle d’un territoire, Wikiagri interviewe Jean-Marc Meynard, chercheur au département « Sciences pour l’action et le développement » de l’Inra, et co-coordonateur de l’étude « Freins et leviers à la diversification des cultures ».
Dans un premier temps seront évoqués les intérêts de la diversification et les éléments qui freinent celle-ci. Un prochain article abordera des exemple de diversification durable à l’échelle de régions.
L’INRA a publié, début 2013, un rapport intitulé « Freins et leviers à la diversification des cultures ». Pouvez-vous préciser le contexte de l’étude ?
Jean-Marc Meynard : Plusieurs études menées à la demande du ministère de l’Agriculture et de celui de l’Ecologie ont montré les limites des rotations courtes et de la monoculture, et l’intérêt de diversifier afin de réduire l’usage des produits phytosanitaires et la consommation d’eau. Pourtant, le dernier recencement général de l’agriculture montre que la simplification des assolements et des rotations est toujours à l’œuvre. Les ministères ont donc demandé une nouvelle étude, afin de comprendre pourquoi la diversification peine à se développer.
Quelle méthodologie avez-vous mis en place ?
J.-M.M. : L’étude n’a pas concerné que les exploitations agricoles, mais les filières dans leur globalité. Pour cela, des agronomes de l’Inra de Grignon et des économistes de Toulouse ont collaboré. L’objectif était de dégager des mécanismes généraux qui expliquent comment une diversification des cultures est possible, et comment elle peut fonctionner durablement. Nous avons sélectionné 12 cultures qui, malgré l’existence de débouchés en France et de connaissances techniques suffisantes, représentent encore des surfaces faibles. Afin de varier les cas de figure, nous avons choisi des cultures ayant des débouchés dans l’alimentation humaine, l’alimentation animale et l’industrie. Dans un premier temps, il s’agissait de comprendre les freins au développement des cultures ; nous avons pour cela mené une étude bibliographique, puis des entretiens avec des experts des filières. Dans un second temps, trois filières ont été étudiées plus en profondeur à l’aide d’enquêtes auprès des différents acteurs concernés, afin de comprendre le fonctionnement des filières et déterminer quels leviers peuvent être utilisés pour développer une culture.
Pouvez-vous rappeler les avantages d’un assolement diversifié ?
J.-M.M. : En premier lieu, pour limiter l’application de produits phytosanitaires. Nous avons montré, dans une étude précédente, que plus une région agricole est spécialisée dans une culture, plus la quantité de produits appliquée à l’hectare est élevé. Les rotations courtes accroissent les problèmes de maladies et de mauvaises herbes. Une mosaïque de cultures peu diversifiée entraîne une réduction de la diversité faunistique et favorise aussi les parasites à dispersion aérienne. La diversification a plusieurs intérêts. La diminution de l’usage des pesticides est un plus pour la santé de l’applicateur, et ajoute souvent une économie financière pour le professionnel. A l’échelle de l’exploitation, elle permet de « ne pas mettre tous les œufs dans le même panier » c’est-à-dire d’assurer un revenu plus régulier dans un contexte économique fluctuant. On dit parfois que les marges des cultures de diversification sont plus faibles que celles du blé, du maïs ou du colza. Par exemple, la marge du blé ou la marge du colza est plus intéressante que celle d’un pois. Mais la marge d’un blé de pois est plus importante que celle d’un blé de blé sur une rotation de type colza>blé>pois>blé. Il faut comparer les marges au niveau des rotations, on percevra alors l’intérêt des cultures de diversification. Aujourd’hui, si la production de pois décline (700 000 ha en 1992, 100 000 ha aujourd’hui), c’est entre autres parce que les agriculteurs, se plaçant à l’échelle d’une année, estiment que le pois n’est pas intéressant. C’est vrai au niveau de l’année, mais c’est faux si on examine la rotation complète.
Quel est l’impact des échanges mondiaux sur la diversification des cultures ?
J.-M.M. : En élargissant un peu plus l’échelle de réflexion, on observe qu’au niveau mondial, les mécanismes du marché entraînent une spécialisation régionale des productions. On connait le cas des protéagineux, qui disparaissent des assolements français, alors qu’en Amérique du Sud, se développent des monocultures de soja, qui alimentent en protéines notre bétail. Autre exemple, la France achète 90 % de son sarrasin à la Chine, qui a une filière importante et bien structurée. En France, la taille de la filière ne permet pas des coûts de production concurrençant ceux de la Chine. Pourtant, il y aurait une demande, de la part des consommateurs, pour du sarrasin français. En fait, même si une culture est intéressante des points de vue économique, environnemental ou encore nutritionnel, elle ne se développera pas tant que la filière ne sera pas structurée.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/diversifier-ses-cultures-pourquoi-est-ce-si-difficile-/933 (précédent article concernant la diversification).
Notre photo représente un champ de sarrasin et est issue du site Fotolia.fr.