La Commission européenne et le Parlement européen bâtissent chacun son projet de réforme de la Pac, qui sera lancée en 2021. Elle sera plus verte et, pour la simplifier, numérisée.
Les 5 et 6 décembre derniers, la Commission européenne a présenté l’état d’esprit dans lequel elle peaufine son projet construit sur la base d’un budget de 365 milliards d’euros pour 2021-2027 auquel s’ajouterait une enveloppe de 10 milliards d’euros pour financer des travaux de recherche et d’innovation en rapport aux neufs objectifs de la nouvelle Pac. Il s’agit par exemple « d’accroître la compétitivité de l’agriculture, de rééquilibrer les pouvoirs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire ou d’agir contre le changement climatique », explique-t-elle.
La nouvelle Pac proposée sera écologique et numérique. Les deux piliers de la Pac seront maintenus. Les Etats pourront aussi transférer jusqu’à 15 % de leurs dotations au titre de la Pac entre les paiements directs et le développement rural. Ils pourront également verser 15 % des enveloppes du premier au second pilier pour financer des actions en faveur de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique n’entraînant pas de cofinancement.
Au total, 40 % du budget global de la Pac contribueront à l’action pour le climat. Des crédits supplémentaires seront alloués aux Etats-membres qui rempliront leurs objectifs en matière de climat, d’environnement et de biodiversité. Par ailleurs, le projet de réforme prévoit des synergies accrues avec d’autres politiques et programmes de l’UE en matière d’action pour le climat et d’environnement. Enfin, plus de 2 % du budget agricole seraient alloués à l’installation et à la transmission (nous reviendrons sur ce sujet dans un autre article).
Les agriculteurs devront « se conformer à des exigences environnementales plus rigoureuses pour percevoir les paiements directs », explique la Commission. Ces derniers seront assortis d’obligations plus strictes en matière de protection de la qualité de l’eau ou de la réduction de l’utilisation de pesticides par exemple. Une partie des aides directes serait réservée à une nouvelle catégorie de programmes optionnels. La conversion à l’agriculture biologique passerait au premier pilier.
Le second pilier de la Pac financera des programmes écologiques volontaires mis en place par les gouvernements « pour aider ou inciter les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement, au-delà des exigences obligatoires ».
Au moins 30 % des financements du deuxième pilier seront consacrés à des mesures concernant l’environnement et le climat. Une partie des mesures actuellement en place seront recyclées sous un autre format.
La prochaine Pac rendra aussi l’agriculture plus compétitive avec une priorité donnée à la lutte contre la pauvreté en zone rurale. Enfin, le projet de réforme prévoit des synergies accrues avec d’autres politiques et programmes de l’Union européenne en matière d’actions pour le climat et d’environnement.
La prochaine réforme de la Pac s’inscrit dans une logique de résultat. Les objectifs communs définis à l’échelle européenne seront déclinés dans chacun des Etats membres. Il leur appartiendra de définir un plan stratégique avec des objectifs annuels à atteindre définis sur la base d’indicateurs économiques, environnementaux et sociétaux, établis par la Commission européenne.
Des rapports seront rendus chaque année pour apprécier les progrès accomplis, pour aménager le plan ou pour suspendre les versements d’une partie des dotations.
Cette surveillance n’aura pas d’impact direct sur les aides versées aux agriculteurs soumis, de leur côté, aux règles de conditionnalité. Si un gouvernement est sanctionné par la Commission européenne, il devra payer avec ses propres fonds les aides Pac. Mais des programmes pourraient être revus si les agriculteurs n’y adhèrent pas.
« La numérisation et l’utilisation des nouvelles technologies seront au cœur des développements à venir dans la production agricole en Europe, et ces sujets sont également de première importance dans la simplification et la modernisation de la Politique agricole commune », a déclaré le commissaire européen à l’agriculture Phil Hogan.
Du reste, la Commission européenne met au point une application numérique pour permettre aux agriculteurs de caler la conduite de leurs exploitations aux nouvelles exigences de la Pac. Si l’outil est retenu, la déclaration de la Pac pourrait être faite d’un clic puisque toutes les informations nécessaires seront déjà pré-enregistrées.
« Le projet de la Commission européenne n’est pas une réforme de la Pac, c’est une réforme administrative qui ne simplifiera en rien sa mise en œuvre, affirme Eric Andrieu, député européen (PSE). Comment seront gérés, par exemple, les plans stratégiques, s’ils sont déclinés au niveau régional ? » Selon le député européen, la Pac doit se doter d’outils de gestion de prévention des crises (généralisation des contrats tripartites et réactualisation des prix d’intervention par exemple).
En fait, le Parlement européen fait une contre-proposition de réforme de la Pac pour 2021 à budget constant et non pas diminué de 5 % comme l’envisage la Commission. Il est composé de trois rapports. Ils seront enrichis par les 6 000 amendements en cours d’examen par la Commission agriculture du Parlement.
Toutefois, la nouvelle majorité de députés élus au Parlement européen en mai prochain et la nouvelle Commission européenne constituée pourraient en découdre et envisager une autre réforme de la Pac. Par ailleurs, le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027 ne sera négocié qu’en octobre 2019, six mois après les prochaines élections européennes de mai prochain. Mais Phil Hogan, lui, reste serein. Il se voit se succéder à lui-même, pour quatre ans de plus, à son poste de commissaire à l’agriculture.
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Tout indique que l’agriculture se trouve, aujourd’hui, à la « croisée des chemins », pour reprendre le titre d’un document de près de six cents pages, publié en 2008, connu sous le nom de Rapport de l’IAASTD. Hans Herren, président du Millénium Institute à Washington et un des auteurs principaux du rapport, a souligné l’urgence de « changer de paradigme agricole », pour pouvoir faire face aux multiples crises qui menacent la stabilité du monde et la souveraineté alimentaire des peuples : la crise du climat, de la biodiversité, de l’eau, la crise financière, sociale, économique, sanitaire, énergétique et alimentaire. Or, l’agriculture constitue un puissant levier pour agir sur toutes ces crises, à condition bien sûr que l’on change de paradigme, car le système agro-industriel, loin de les atténuer, au contraire, les accélère. Réchauffement climatique L’agriculture industrielle est responsable de 14% des émissions de gaz à effet de serre, car elle repose sur l’usage de pesticides et d’engrais chimiques, fabriqués avec du gaz et du pétrole ; elle repose aussi sur la mécanisation et le transport des denrées agroalimentaires, très gourmands en énergies fossiles. Il s’ajoute 19% dus à la déforestation, pratiquée majoritairement pour développer des monocultures comme le soja transgénique, qui nourrissent les animaux des élevages industriels, ou pour produire des agro carburants. Enfin, l’élevage est l’une des principales causes du réchauffement climatique, puisqu’il totalise 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Faut-il rappeler que les émissions de CO2 n’ont jamais augmenté aussi vite qu’au cours de la dernière décennie : 3 % par an en moyenne, soit trois fois plus que lors de la décennie précédente. Nous sommes sur la trajectoire des pires scénarios imaginés par le GIEC, le groupement interministériel sur l’évolution du climat. Destruction des ressources naturelles La part du secteur agricole dans la consommation mondiale de l’eau atteint aujourd’hui 70%, en raison notamment des techniques d’irrigation que nécessite l’agriculture industrielle. Un peu partout dans le monde on assiste au développement de conflits autour de la gestion des ressources aquifères. 25% des sols où ont été développées les monocultures de la « révolution verte » sont complètement érodés, voire morts. Le prix des aliments issus de l’agriculture dite « conventionnelle » est faussé par le jeu pervers des subventions accordées aux producteurs des pays du nord, et la non prise en compte des externalités, c’est à dire des coûts indirects induits par le modèle agro-industriel, comme la facture environnementale (contamination de l’eau, de l’air, érosion des sols, destruction de la biodiversité) et sanitaire (paysans malades ou morts, maladies des consommateurs et riverains). Une étude publiée en 2009 par le parlement européen a révélé que si on interdisait en Europe les seuls pesticides cancérigènes, on économiserait 26 milliards d’Euros par an. David Pimentel de l’Université Cornell a estimé, en 1992, que le coût environnemental et sanitaire de l’usage des pesticides aux Etats Unis s’élevait à dix milliards de dollars. L’exposition aux pesticides peut provoquer des effets négatifs sur le système de la reproduction, sur le système hormonal et endocrinien ou sur le système neurologique, conduisant aux maladies de Parkinson ou d’Alzheimer. D’ailleurs, la Sécurité Sociale a récemment reconnu la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle…