Reprise par un ex-salarié et le neveu du fondateur depuis une vingtaine d’années, la SARL Appert a trouvé sa place et continue de s’adapter à son contexte propre. En plus des associés, elle compte aujourd’hui cinq chauffeurs permanents dans ce territoire de bocage disputé de longue date par un vaste réseau de Cuma.
En matière d’entreprise de travaux agricoles, il ne peut exister une forme unique d’organisation. C’est à chaque entrepreneur de faire avec son environnement local, ses envies personnelles et les ressources disponibles. C’est ce que nous confirme l’expérience de Dominique Delahaye et Lionel Aubine, les associés de la SARL Appert à Saint-Martin-des-Landes dans l’Orne. Basés dans une région bocagère, à un jet de pierre de la Mayenne et à une petite encablure de la Sarthe, l’entreprise se réinvente en permanence à la recherche du juste équilibre dans un environnement complexe et sans cesse mouvant. Les choix dans les recrutements, les choix dans les achats de matériels font ainsi l’objet de réflexions permanentes au gré des évolutions dans les structures des clients, dans les capacités des matériels, la technologie, la météo ou encore une réglementation parfois disruptive. Dans ce brouillard, une ligne reste cependant claire pour les associés. Il s’agit de respecter au maximum le facteur humain pour les salariés, mais également pour les entrepreneurs eux-mêmes qui ont su écouter leur désir de rester proches du terrain et de pouvoir décrocher de temps à autre.
L’histoire de l’entreprise est ainsi d’abord une histoire de personnes. En premier lieu celle du fondateur, Daniel Appert, « qui a su créer et développer l’entreprise dans un secteur quasiment saturé par les Cumas notamment dans le domaine de l’ensilage », tiennent à saluer les deux patrons actuels. Parmi eux, Dominique Delahaye, formé au départ dans les métiers des travaux publics et devenu saisonnier agricole en ETA dès l’âge de 16 ans. Il s’est associé en 2004, après plus d’une dizaine d’années comme salarié permanent dans la structure. Lionel Aubine, quant à lui est le neveu du fondateur. Il a saisi l’opportunité de prendre des parts la même année que Dominique, après un parcours scolaire de mécanique agricole et une expérience en tant que chauffeur laitier et chauffeur dans une autre ETA ornaise. De 2004 à 2009, l’entreprise compte ainsi trois associés pour une période de transition avec le fondateur, jusqu’au départ à la retraite de ce dernier. L’an passé, l’entreprise – qui a conservé le nom d’Appert — a pendant deux jours soufflé avec ses clients et ses salariés, ses vingt ans d’existence en tant que société SARL (précédemment, elle était entreprise individuelle). L’occasion également de fêter l’arrivée de l’ETA depuis trois ans sur son nouveau site. Un lieu qui offre de vastes surfaces couvertes pour parquer le matériel et servir d’atelier, à proximité immédiate de la bourgade de Carrouges, connue pour son château et sa fête annuelle de la vènerie.
« Nous sommes situés sur un territoire du bocage avec des exploitations de polyculture-élevage dont les terres sont difficiles avec des potentiels agricoles et agronomiques moyens, constate Lionel Aubine. Les budgets sont contraints et nous devons faire attention à la montée en gamme de nos prestations. Nous devons rester en phase avec notre environnement spécifique. Nous sommes adhérents du syndicat EDT Normandie et de mon côté, je suis le représentant du département de l’Orne. Nous avons donc l’occasion d’avoir beaucoup d’échanges avec d’autres entrepreneurs de territoires très différents. Nous voyons bien que nous ne pouvons pas tous avoir la même approche. Ici, nous devons être très attentifs pour rester compétitifs, quitte à avoir des matériels qui durent un peu plus dans le temps. La compétition des Cumas est encore vive avec cinq à six ensileuses dans un rayon de 20 km autour de chez-nous. Ce sont nos véritables concurrents, tandis que nous considérons les autres ETA comme des collègues. Nous avons régulièrement besoin les uns des autres pour trouver des solutions pour nos clients en cas de panne, ou de manque de capacité suffisante de matériel ».
L’ETA est restée au fil du temps également très généraliste, proposant aux agriculteurs l’ensemble des prestations agricoles classiques hormis les travaux de protection phytosanitaire. Tout est pris en charge en passant par les travaux du sol, les semis d’hiver ou de printemps, ainsi que les épandages solides et liquides, la moisson, l’ensilage, le pressage et la récolte de foin, d’enrubanné ou de paille. « C’est dans la moyenne de tous ces travaux que chaque année, on parvient à sortir notre épingle du jeu, explique Dominique. La tentation est toujours forte de vouloir se spécialiser davantage, mais on remarque que la prestation qui marche bien une année ne fonctionne pas forcément bien l’année d’après et inversement. Tout l’enjeu est de bien équilibrer le travail sur l’année, sachant que certains clients n’appellent que pour la moisson. Il y a ainsi tout un travail commercial et de pédagogie aussi à faire auprès des clients pour expliquer les contraintes d’une ETA pour pouvoir maintenir un service opérationnel de proximité sur le territoire ». En complément, l’ETA travaille également quelques semaines localement dans le secteur de la récolte des sapins de Noël et réalise des épandages de chaux de façon saisonnière dans un rayon de 100 km pour le compte d’un distributeur.
La taille actuelle de l’entreprise est donc le fruit d’un compromis qui a été trouvé et qui aboutit aujourd’hui à un fonctionnement avec sept chauffeurs (dont les deux associés), pour onze tracteurs, deux ensileuses et quatre moissonneuses. « Nous avons dû croître pour plusieurs raisons. Si nous étions restés que tous les deux, nous aurions risqué de perdre nos clients agriculteurs. Avec la taille actuelle, nous pouvons assurer notre présence sur le terrain en étant réactifs et fiables. Cependant, nous n’avons pas la taille critique pour pouvoir travailler avec le secteur de la méthanisation qui a un besoin très fort de très gros matériels », explique Lionel.
« Nous essayons aussi d’avoir à chaque fois du matériel en double pour pouvoir assurer la demande malgré l’éventualité des pannes, complète Dominique. Nous avons encore le souvenir de la période récente où les délais pour les pièces détachées s’étaient considérablement rallongés. Les clients ne comprennent pas que l’on puisse être défaillant ». Ce choix de doubler le matériel autant que possible a aussi nécessité plus de chauffeurs pour mieux amortir le parc.
Une des orientations des associés est d’ailleurs de pérenniser l’équipe de chauffeurs à temps plein en CDI. « Le temps de formation au matériel aujourd’hui est plus important, constate Lionel. Et en même temps, il devient toujours plus compliqué d’assurer ce temps pendant la haute saison ». La gestion de la main-d’œuvre et de sa rareté, l’emploi de nouvelles personnes, l’intégration de compétences autour des nouvelles technologies, sont des questions qui ne sont jamais définitivement résolues et qui appellent à se réinventer sans cesse. En tout cas le choix a été fait de ne pas saturer la main-d’œuvre en morte-saison. « Nous veillons à maintenir cette période plus calme physiquement pour toute l’équipe. Nos chauffeurs sont des personnes qui se donnent à fond, et je pense qu’ils apprécient que cela soit reconnu. Cela participe aussi à l’équilibre de vie de chacun, développent les deux associés. Il y a une belle convivialité entre nous tous. Nous mangeons ensemble tous les midis en morte-saison. Le fait que nous soyons également sur le terrain facilite la cohésion de l’équipe ».
L’humain, c’est aussi la relation au client qui évolue et qui se complexifie. « Les agriculteurs nous donnent de moins en moins de visibilité dans les travaux alors qu’ils ont des fermes de plus en plus de grosses, déplore Dominique. C’est paradoxal, car plus les surfaces sont grandes et plus on aurait besoin de pouvoir organiser en amont les chantiers pour leur apporter les solutions les plus adaptées ». « Aujourd’hui, nous avons des clients qui nous appellent pour une récolte complète d’herbe sur 40 ha à l’improviste. C’est énorme et c’est beaucoup de stress », souffle Lionel.
L’écosystème de l’ETA se complexifie aussi sur le plan administratif et réglementaire avec une saison de débroussaillage qui s’est considérablement raccourcie. « C’est une décision qui nous pénalise énormément », dénonce Lionel Aubine. « Et nous avons du mal à y voir l’intérêt écologique, ajoute Dominique. Nous réalisons des opérations d’entretien de la nature, c’est tout l’inverse d’une destruction et la mécanisation est obligatoire pour ces travaux vu la rareté de la main d’œuvre dans les campagnes ». Dans ce contexte, les deux associés comptent notamment sur la force du syndicat EDT (entrepreneurs de travaux des territoires). « Nous avons besoin d’être défendus et entendus sur plusieurs sujets, notamment la réglementation, mais également la communication, appuie Lionel. Nous devons faire connaître nos métiers et faire savoir ce que l’on fait. Nous sommes collectivement un gros employeur sur les territoires ».