L’ensilage d’herbe reste une activité stratégique pour constituer des stocks fourragers et assurer l’alimentation du troupeau. Cependant au niveau des ETA, la pratique requiert plus de technicité, de débit de chantier et d’opportunisme dans un contexte de dérèglement climatique. Décryptage des tendances constatées.
Sécheresse, gel tardif, excès de pluviométrie en hiver… Le climat français se réchauffe, mais bien plus encore il se dérègle. Les effets sont de plus en plus perceptibles depuis une dizaine d’années maintenant. L’impact est potentiellement majeur pour une culture comme celle de l’herbe qui est active toute l’année pour la photosynthèse. A ce titre, la culture de l’herbe représente une véritable caisse de résonnance du dérèglement climatique. Et pourtant son exploitation est de plus en plus cruciale afin de répondre aux grands défis de l’élevage en termes d’autonomie alimentaire, de coût, de qualité et d’environnement. Dans ce contexte, nous avons tenté de dessiner dans cet article, le contour des impacts actuels et futurs autour des travaux de la chaîne verte pour les ETA.
Plus que jamais, la récolte de l’herbe au printemps est devenue stratégique pour les élevages. En effet, cette période assure une pousse normalement abondante basée sur la réserve en eau des sols accumulée en fin d’hiver et par l’activité de photosynthèse permise par le rallongement de la durée des jours et le réchauffement des températures. Les stocks qui peuvent être engrangés à cette période représentent une sécurité d’autant plus nécessaire, que les pousses de l’herbe ont tendance à être affectées sur les périodes estivales de juillet et d’août, par des sécheresses de plus en plus récurrentes.
Concernant le stade de récolte de l’herbe au printemps, le choix se fait « selon la marge de sécurité en stock fourrager en sortie d’hiver. Il faudra trouver le bon compromis entre valeur alimentaire et rendement , souligne Arvalis Institut du végétal. Cet objectif de récolte sera adapté au contexte météo de la période : on visera un créneau de 48 à 72 h sans pluie. Une évapotranspiration (ETP) de 5 à 6 mm sur la durée du préfanage devrait suffire pour passer le seuil des 30 % de MS (matière sèche) ». L’utilisation des conditionneurs peut permettre d’accélérer le préfanage, cependant son agressivité mérite d’être bien contrôlée, notamment en cas de présence de légumineuses. Pour un ensilage d’herbe, il s’agit de viser une teneur de 35 % de matière sèche pour les graminées et 40 % sur légumineuses.
Afin de préserver au mieux les valeurs de l’herbe à ensiler (en réduisant la perte de protéines par protéolyse et la perte de sucres par transpiration), l’organisme de conseil en élevage, Elv’up (Orne) va même plus loin et préconise de ne pas dépasser 48 h entre la fauche et la récolte de l’ensilage. Cela se fait au prix d’une modification des chantiers pour accélérer la perte en eau. Le fourrage doit dans ce cas être fauché à plat à 7-8 cm pour assurer la circulation de l’air et le fourrage devrait occuper 80 % minimum de la surface de la parcelle pour maximiser la surface de séchage. On s’assure si possible de dégager uniquement le passage des roues du tracteur. L’usage de la conditionneuse est également à proscrire pour maintenir la capacité de la plante à perdre son eau par ses stomates. L’idéal est de faucher l’après-midi pour se garantir des taux de sucres importants et à choisir, il est préférable de faucher les légumineuses l’après-midi et les graminées le matin. La récolte des légumineuses se fera en revanche à la rosée du matin pour limiter les pertes liées à la déstructuration du fourrage. La mise en andain se fait idéalement juste avant l’ensilage.
Cette chaîne accélérée de la récolte de l’herbe est une autre réponse aux effets du dérèglement climatique et du rétrécissement des fenêtres météorologiques. Cet axe de travail maximise en plus les valeurs de l’herbe récoltée. La mise en œuvre nécessite pour l’éleveur de déployer des moyens et de la réactivité que les ETA peuvent apporter.
Une tendance du dérèglement climatique est de produire des gelées tardives au printemps à la même période que celle des ensilages, avec une météo généralement ensoleillée durant ces épisodes. Ces épisodes ont pour effet physiologique une accumulation de sucres dans les tissus par une photosynthèse active et une respiration réduite par le froid. La croissance de l’herbe se trouve en revanche presque totalement arrêtée. Dans ces conditions climatiques particulières plusieurs problématiques se posent. L’accumulation de sucre en période froide dans la plante (fort rayonnement mais pas d’activité de croissance) peut provoquer ces années-là des bourrages dans les ensileuses avec une puissance de soufflerie qui devient insuffisante pour décoller les brins d’herbe. En ETA, des mesures peuvent être prises pour anticiper ces difficultés et ainsi ne pas se trouver trop pénalisé par les retards de chantier qui peuvent être provoqués. La pulvérisation d’eau sur la matière grâce aux incorporateurs de conservateurs apportent une solution.
Il peut être conseillé également d’arroser une partie des andains avant le passage. Plusieurs constructeurs proposent aujourd’hui des équipements dédiés avec des kits d’humidification qui répondent à cette problématique. Une autre problématique du gel tardif, est celle de la diminution des quantités de bactéries lactiques naturellement présentes sur les feuillages qui meurent sous l’effet du gel. Les entrepreneurs peuvent ainsi avoir intérêt à proposer l’incorporation du conservateur lors de l’ensilage. Toutefois l’intérêt économique est à évaluer sachant que ces ensilages de « glace » sont riches en sucres généralement avec une très bonne capacité à démarrer la fermentation.
Les excès de pluie qui s’étendent de l’automne jusqu’au printemps sont devenus une réalité également plus fréquente dans le contexte de dérèglement climatique, avec une hausse des concentrations en eau de l’atmosphère sous l’effet de la chaleur. En ETA, la gestion des chantiers de la chaîne verte devient un défi face à ces conditions particulières. En effet, le retard accumulé sur les travaux pendant l’automne et l’hiver ainsi que des besoins en rattrapage de certaines cultures créent un goulot d’étranglement dans l’organisation des hommes et du matériel dès que les fenêtres météorologiques favorables se présentent. Il s’agit de tout faire en même temps : destruction des parcelles noyées, récolte des couverts fourragers avant maïs, labours, semis de maïs, fertilisation, épandages de matières organiques, etc… Les ETA peuvent apporter un secours à cette période pour des agriculteurs qui n’ont pas les moyens humains de tout gérer. Chaque fenêtre climatique doit être optimisée au maximum et tout ce travail d’optimisation en ETA des débits de chantier et d’organisation apporte ici de la valeur ajoutée. Le préjudice causé par un excès de pluie dépend également de la bonne santé des sols et notamment de la fertilité physique des sols avec présence de porosités suffisantes. Les ETA peuvent, là encore, être moteur sur ce sujet en proposant des prestations qui agissent directement sur cette fertilité physique par des procédés mécaniques, ou par une restauration par voie biologique (couverts végétaux, épandages de matière organique, biostimulants …).
Avec des étés potentiellement beaucoup plus chauds et caniculaires, la vigilance de l’ETA dans la confection des silos chez ses clients mérite d’être renforcée pour limiter les risques d’échauffement. Il s’agit de concevoir un silo de forme adaptée avec un front d’avancement de 20 cm minimum par jour en fonction de la taille du cheptel. L’orientation du silo avec front d’attaque au Nord est à privilégier et si possible, profiter de l’ombrage procuré par l’environnement.
Dans tous les cas, les silos d’été sont amenés à être de plus en plus stratégiques pour aider les éleveurs à passer les périodes estivales pauvres en production herbagère. Ce constat implique également que les stratégies de culture fourragère vont évoluer pour apporter de la résilience aux systèmes d’élevage face au climat. En termes de travaux, cela pourrait se traduire par des récoltes plus fréquentes de céréales immatures, de repousses de colza, de cultures intermédiaires, de sorgho multicoupe, de silphie, etc… Les espèces herbagères à ensiler risquent également d’évoluer vers celles qui offrent de meilleurs enracinements et de meilleures résistances aux stress climatiques.
Les hivers particulièrement doux semblent aussi être favorables à la pousse de l’herbe à cette période de l’année. Les opérateurs de la chaîne verte s’y sont pour beaucoup déjà adaptés avec la pratique des ensilages d’herbe réalisés après les ensilages de maïs, lorsque les conditions le permettent. Cette deuxième saison des ensilages d’herbe est évidemment délicate mais peut permettre de valoriser les ensileuses et de mieux écraser les frais fixes associés. L’ensilage réalisé est alors très humide. Les valeurs alimentaires de l’herbe à l’automne ne sont également pas les meilleures avec des taux de sucres assez faibles notamment du fait d’une diminution de l’ensoleillement. Il est dans tous les cas conseillé aux éleveurs de faire consommer l’ensilage rapidement dans les semaines qui suivent la fermentation du silo. L’avantage de cette pratique se ressent cependant sur la qualité de l’herbe et de la repousse au printemps suivant.
Chez les clients des ETA, on peut anticiper également que les pratiques de pâturage hivernal seront plus fréquentes. Plusieurs essais réalisés dans plusieurs fermes expérimentales de l’Ouest (à Trévarez (Finistère), Thorigné-d’Anjou (Maine-et-Loire) et La Blanche Maison (Manche) ont montré, semble-t-il, d’excellents résultats en lien avec cette pratique. Le frein principal reste celui de la portance des sols.