En raison de la sécheresse, la profession agricole a demandé à pouvoir exceptionnellement utiliser les surfaces en jachère pour fournir les éleveurs en herbe. La réponse du ministère n’a pas traîné, extrêmement « gonflée », disant qu’elle autorise les agriculteurs à changer les déclarations d’affectation de leurs terres ou jachères. En d’autres termes, sans assouplir les textes en vigueur, et donc sans s’associer lui-même à la solidarité.
L’été, il se passe parfois de drôles de choses dans les établissements publics, les vérifications ne sont pas forcément aussi poussées que d’habitude, et les décisions manquent, de temps à autre, de vision pratique à terme… Ou encore le « politicien » passe devant le gestionnaire avisé.
Ainsi, disons-le tout net, le dernier communiqué sorti par le ministère de l’Agriculture tient ni plus ni moins du foutage de gueule, rédigé noir sur blanc qui plus est, et au nom de Stéphane Le Foll (dont on ose espérer qu’il aura été surpris par un collaborateur trop zélé de l’associer à une telle entreprise)…
Les faits, simples, compte-tenu de la conjoncture. La profession agricole (plusieurs syndicats en fait, nationaux ou départementaux) demande la possibilité d’autoriser le pâturage et la fauche de surfaces en herbe non utilisées, notamment les jachères. Ceci de manière exceptionnelle, pour répondre à une situation qui ne l’est pas moins, la sécheresse que nous vivons et qui handicape les éleveurs, déjà souvent en crise par ailleurs, les manifestations récentes l’ont démontré. Car sinon on connaît les règlements, les jachères, on n’y touche pas, et en échange de ces terres non cultivées considérées comme des SIE (surfaces d’intérêt écologique), les agriculteurs perçoivent une compensation.
Or que répond le ministère à cette demande ? Tout simplement un rappel du règlement : il est toujours possible de déclarer un changement d’affectation des jachères. Comprenez : « vous voulez faire pâturer sur vos jachères, faites-le, mais alors ce ne seront plus des jachères… » En d’autres termes, la prime (légère) perçue pour la surface non cultivée disparait… Et pire encore, le changement d’affectation acté par l’administration peut transformer la jachère en prairie permanente, ce qui signifie que la terre en question ne pourra plus être cultivée.
Soyons encore plus précis, à travers un exemple. Imaginons un céréalier voisin d’un éleveur. L’éleveur voit ses pâtures souffrir de la sècheresse, la production d’herbe est faible, la deuxième coupe est compromise… Bref il est en souci pour nourrir ses animaux, cela dans un contexte global de l’élevage en France qui l’empêche de trouver une alternative avec sa propre trésorerie. Le céréalier a quelques jachères. Elles sont là pour reposer la terre, en rotation bien sûr avec les cultures. Ces jachères génèrent de l’herbe, sans que l’on puisse parler de production puisqu’elle n’est pas valorisée. Une solution simple d’entraide entre agriculteurs serait donc d’autoriser l’éleveur à faire pâturer ses bêtes sur la jachère. Certes, les jachères n’ont pas été prévues pour cela, d’où le fait des demandes syndicales, pour assouplir le règlement compte-tenu d’éléments exceptionnels. Mais, comme vous l’avez compris désormais, la réponse du ministère ne l’autorise pas sans que cela ne devienne une perte sèche de terres pour le céréalier, lequel ne pourra plus poursuivre ses rotations en incluant une jachère dans le processus… Alors que laisser brouter ou paître quelques animaux quelques semaines uniquement n’aurait eu aucune influence sur ses cultures, et aurait bien sûr rendu service à l’éleveur.
Devant la demande syndicale, le ministère avait en fait deux possibilités rationnelles. La première consistait à rappeler le bon usage des jachères de façons à éviter que l’exception ne devienne habitude, tout en accordant des dérogations par zones géographiques selon les gravités recensées. La seconde aurait été de se couvrir à Bruxelles vis-à-vis des règlements européens sur les jachères, en faisant passer en urgence cette demande et en la faisant valider à ce niveau, histoire de ne pas insulter l’avenir et d’éviter un retour de bâton européen plus tard. Seulement, dans ce dernier cas, on transférait le souci administratif au personnel du ministère, et il était plus « simple » de le laisser aux agriculteurs, qui devront donc faire les démarches pour le transfert des jachères, puis surveiller que l’administration locale ne les transforme pas en prairies permanentes.
Un mot sur l’effet d’annonce ministériel, qui ne manque franchement pas d’air. En titre « sécheresse 2015 : le pâturage des jachères est possible sur simple modification de la déclaration Pac« . Déjà, on sent le piège, mais le texte, lui, ne laisse aucun doute quant à l' »aide » ministérielle sur le dossier : « Suite aux demandes des professionnels agricoles, au vu des conditions climatiques exceptionnellement sèches en ce début d’été, Stéphane Le Foll s’était engagé à répondre dans les meilleurs délais sur la possibilité de déroger aux règles applicables aux jachères pour leur utilisation en alimentation animale. Il confirme que l’obligation de maintien des jachères au titre de la conditionnalité et la sanction à hauteur de 20 % qui était liée à cette obligation sont supprimées dans le cadre de la nouvelle Pac applicable cette année. Les agriculteurs peuvent donc modifier leur déclaration pour requalifier en prairies des surfaces initialement déclarées en jachère. » Et après ce simple rappel du règlement, une conclusion emphatique et de récupération politicienne pas vraiment de circonstance : « Stéphane Le Foll reste pleinement mobilisé et à l’écoute du monde de l’élevage qui traverse aujourd’hui une situation délicate. Toutes les souplesses permises par la réglementation communautaire seront exploitées pour leur permettre de passer ce cap difficile.«
Ce communiqué ministériel a été publié le 8 juillet. Son côté « bien tourné » a dans un premier temps fait son effet, il a été repris dans la profession agricole… Jusqu’aux premières tentatives de mises en pratique. C’est le syndicat de la Fdsea Ile de France qui a levé le lièvre. Voici son communiqué, diffusé il y a quelques heures seulement : « Dans un contexte de sécheresse, la solidarité agricole doit pouvoir jouer son rôle, permettant aux céréaliers de mettre à la disposition des éleveurs des surfaces en jachères pour assurer un complément de fourrage aux animaux. C’est dans ce sens que la FDSEA a saisi l’administration afin d’autoriser la fauche et le pâturage de certaines surfaces en herbe, dont règlementairement le produit ne peut être utilisé, à l’image des jachères. Une demande simple pour pouvoir activer la solidarité entre voisins agriculteurs. Mais le ministère de l’Agriculture contraint ce geste de solidarité à une nouvelle démarche administrative, au risque d’engendrer des pénalités financières pour ceux qui le feraient. En effet, il faut requalifier en prairies les surfaces initialement déclarées en jachères, leur enlevant le caractère de Surface d’Intérêt Ecologique, dont le taux cette année est de 5 %. Plus grave, si la parcelle est déclarée en « Jachère SIE », l’administration peut la notifier définitivement en prairie permanente, avec les conséquences d’une remise en culture impossible. » Avec en prime un commentaire de Damien Greffin, président de ce syndicat : « Nous sommes dans un système totalement ubuesque, où les agriculteurs, déjà sur-encadrés règlementairement, doivent maintenant subir une gestion administrative de la solidarité professionnelle.«
En conclusion, pensez à ces éleveurs qui cherchent désespérément aujourd’hui à passer au travers des catastrophes qui s’amoncellent… Et à qui on répond, « bien sûr, les autres agriculteurs peuvent vous aider, ils n’ont qu’à faire les démarches nécessaires pour perdre définitivement l’exploitation des terres correspondant à leurs jachères… »
Où va-t-on ?
Notre illustration : l’annonce publiée sur le site du ministère de l’Agriculture, lien direct : http://agriculture.gouv.fr/secheresse-2015-le-paturage-des-jacheres-est-possible-sur-simple-modification-de-la-declaration-pac
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Je reviens de peu de Gironde : des centaines d’hectares en jachères, herbes desséchées, qui ne demandent qu’à brûler…
Il est déjà bien trop tard pour les faire pâturer, le seul passage de l’homme casse les plantes sous le pied !!!
C’est une honte de ne pas se sentir solidaire des éleveurs, c’est une honte d’oser présenter une réponse aussi laconique et dénuée de bon sens quand on est ministre… de l’agriculture.
Mais, il est vrai, son boulot de porte parole du gouvernement l’occupe certainement à plein temps, et les affaires de son ministère sont gérées par dessus la jambe !