pac politique agricole commune

Financements européens de l’agriculture, où va-t-on ?

La présentation faite par la Commission européenne du budget 2021-2027 de la politique agricole commune (Pac) a valu de très nombreuses réactions, majoritairement négatives en France. Principalement en raison de la baisse du budget. Au-delà, la question d’une véritable vision de ce que doit être la politique européenne de l’agriculture et de l’alimentation reste posée.

Le moins que l’on puisse écrire est que l’annonce officielle de la base de la discussion pour le budget de la Pac 2021-2027 (si ces dates ne rechangent pas d’ici là, il est question de reculer le Brexit à 2023, ce qui modifierait la donne) par la Commission européenne n’a pas fait l’unanimité. Déjà, on commence par une baisse sensible des budgets alloués à l’agriculture. A cela deux raisons, le Brexit d’une part (le Royaume-Uni donnait plus qu’il ne recevait), et de nouvelles missions européennes à financer (défense, sécurité, migrants, et même une politique numérique) sans rien demander en plus aux Etats, donc en piochant dans l’enveloppe actuelle, elle de la Pac.

Cette baisse est annoncée de 5 % par la Commission européenne, et semble très probablement supérieure à 15 % dans les faits, selon différents calculs, dont ceux que WikiAgri vous fournissait dès le 21 février dernier. Selon la vocation affichée de la Commission européenne, elle ne devrait pas être ressentie par les « petits » agriculteurs, puisque un système de plafonnements des aides est mis en place : « A partir de 60 000 euros les paiements directs deviendront dégressifs, puis plafonnés à 100 000 euros« , explique un article du Figaro. Ce dernier aspect est d’ailleurs salué par un député européen, le socialiste Eric Andrieu, très critique par ailleurs sur le reste du texte. Reste à vérifier en pratique que ceux qui, aujourd’hui, ne se sont pas regroupés et donc ne perçoivent pas des aides au-delà de 60 000 € y trouveront effectivement leur compte…

Réactions très négatives en France

Par ailleurs, autre aspect, la Commission européenne encourage une subsidiarité plus importante qu’à présent, comprenez que chaque Etat aura davantage de liberté dans ses choix pour son agriculture… Je suppose que cette dernière clause est directement issue des négociations pour la Pac précédente, au départ relativement contraignante pour tout, et finalement plus lâche après d’âpres négociations… ce qui n’a pas empêché les Etats (dont la France) d’évoquer la « faute à l’Europe » lorsque quelque chose n’allait pas. Pour autant, cette « liberté » accrue n’en est une que pour les gouvernants, pas pour les agriculteurs. Plusieurs risques sont mis en avant par l’ensemble des syndicats mais aussi la très grande majorité des parlementaires européens qui suivent l’agriculture. Economiquement, la distorsion de concurrence. D’un point de vue environnemental : la possibilité laissée aux Etats de choisir des normes différentes. La députée européenne Angélique Delahaye parle d’une « politique agricole de moins en moins commune« , Michel Dantin va encore plus loin en remettant en cause les trois mots, « politique », « agricole » et « commune » (sur le même ton que la tribune diffusée sur WikiAgri la veille de l’officialisation du texte par la Commission européenne). Eric Andrieu « s’inquiète de la renationalisation de la Pac« . L’eurodéputé Vert José Bové, quant à lui, estime que « tant que les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne seront pas connues et validées, il est impossible de définir le budget de l’Union européenne, donc de savoir quel pourra être l’enveloppe financière pour l’agriculture et l’alimentation« .

Par ailleurs, la Fnsea a demandé au Conseil de l’Europe et au Parlement européen de « tenter un rattrapage dans les mois à venir, à défaut, il faudra une nouvelle copie rapidement avec la nouvelle Commission en 2019« . En mettant le doigt au passage sur un élément qui va obligatoirement compter : bien avant 2021 et le début de la future Pac, il y aura l’année prochaine, en 2019, les élections européennes. Les parlementaires européens vont changer (ou devront être réélus pour ceux qui se représenteront), et la Commission européenne aussi ! Donc, d’une part, les parlementaires européens qui vont commencer le travail des amendements ne seront pas forcément les mêmes que ceux qui le finiront, et la Commission européenne aussi peut elle-même évoluer. Cela signifie-t-il pour autant qu’il ne faut rien faire aujourd’hui ? Bien sûr que non ! Chacune et chacun avec ses convictions avance dans l’action. Par exemple, Eric Andrieu a communiqué qu’il allait poser une question sur une différence de 15 milliards d’euros (une paille !) qu’il a observée dans les documents sur le budget du développement rural.

Parmi les autres réactions, notons celle de GreenPeace, qui estime que « la proposition de la Commission européenne pour la nouvelle Politique agricole commune (PAC), publiée ce jour, est catastrophique en l’état. Elle laisse aux gouvernements la responsabilité de définir des plans nationaux pour l’agriculture sans aucune garantie que ces plans protégeront bien la santé publique, l’environnement et le climat. » Sur un plan plus économique, Agriculture Stratégies (ex Momagri) précise : « Via la définition de plans stratégiques nationaux, on renvoie aux Etats membres la répartition des aides directes et aux organisations de producteurs la gestion des crises, sans pour autant leur donner accès à des outils efficaces. Il n’est pas acceptable que le niveau communautaire continue de rejeter la gestion des crises, alors que les autres grands pays producteurs de la planète déploient tous des mécanismes de régulation, telles des aides contracycliques. Et pourtant nous entrons dans la cinquième année consécutive de baisse des revenus agricoles ! » Enfin, le think tank AgrIdées (ex SAF) a publié une note proposant une forme de continuité par rapport à l’existant, tout en intégrant une véritable « définition d’objectifs européens« , en évoquant la gestion des risques, ou encore en ne fermant pas la possibilité de récupérer les fonds quittant la Pac pour les autres politiques européennes quand celles-ci concernent aussi l’agriculture : Agridées estime qu’une politique sur les migrants doit aussi prévoir de les nourrir, que la recherche concerne aussi l’agroalimentaire ou l’industrie agricole, idem pour la formation. En d’autres termes, la part perdue du budget serait partiellement retrouvée.

Mais quel rôle joue donc le gouvernement français par rapport à la baisse du budget de la Pac ?

C’est très compliqué de connaitre exactement le rôle de la France. La position officielle a été donnée par Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, en répondant à une question à l’Assemblée nationale : la France s’oppose à une baisse drastique du budget de la Pac, a-t-il déclaré. Le même Stéphane Travert communique également sur son compte Twitter sur un mémorandum pour le maintien du budget de la Pac, signé par la France, mais aussi par l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, la Finlande et la Grèce.

Mais alors, comment expliquer que la Commission européenne justifie la baisse du budget européen par une demande de… la France ? En présentant devant le Parlement européen les grandes lignes de la proposition de budget de la Pac par la Commission européenne, le représentant de cette dernière s’est emporté face aux doubles langages (voir le twitt de Michel Dantin ci-dessous qui a su saisir cet instant en vidéo) :

 

 

Toute la question est de savoir où est le discours de façade, et où se situe la vérité. La Commission européenne utilise-t-elle une soi-disant position française bancale pour se justifier ? Ou à l’inverse ce sont nos gouvernants nationaux qui pratiquent le double langage pour rassurer d’un côté pendant qu’ils s’orientent parallèlement pour d’autres options de l’autre ?

Dans les semaines qui viennent, la façon dont la France finira par accepter, ou non, la baisse du budget de la Pac, donnera les réponses à ces questions. Impossible aujourd’hui de savoir si la Commission européenne a obéi à l’un des plus importants pays agricoles de son territoire, ou si elle cherche désespérément à justifier sa propre initiative.

Signalons aussi que l’agroéconomiste Jean-Marie Séronie émet le voeu pieux sur son blog que la France sauve la Pac…

Développement rural, quid du FEADER ?

Une autre réaction mérite attention, elle parle d’un autre budget, mais lié à la Pac. Tomas Garcia Azcarate, chercheur au CNRS espagnol et membre de l’Académie de l’Agriculture de France, suit particulièrement les travaux de la Commission européenne. En particulier, il a épluché la future politique régionale de cohésion, présentée elle le 29 mai, quelques jours avant la Pac 2021-2027. Et il a noté, dit-il, « quelque chose d’étrange qui m´a désagréablement surpris » : « Si nous regardons la proposition de règlement commun pour les différents fonds structurels, une nouveauté introduite par les perspectives financières actuelles, nous découvrons qu’il ne couvre plus le FEADER. La Commission ne considère plus le Fonds de développement rural comme un membre de plus de la famille des fonds structurels. » Evidemment, dit comme cela, l’avis parait technique, mais cette évolution sur le FEADER peut avoir des répercussions sur le terrain. Ce fonds de développement rural sert à boucler de très nombreux tours de tables où l’argent européen complète à merveille les efforts des acteurs nationaux. Or cette évolution, selon Tomas Garcia Azcarate, pose la question de la cohérence politique dans l’utilisation des fonds des premier et deuxième piliers de la Pac, et des autres fonds liée aux régions, donc à la ruralité. Harmoniser la mise en oeuvre des fonds est essentiel, estime Tomas Garcia Azcarate, et la sortie du FEADER des fonds structurels lui semble, pour le moins, un mauvais signal sur ce point.
 

Notre illustration ci-dessous est issue de Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/165528711.

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