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Export de céréales, la France va-t-elle devenir un pays satellite sur l’échiquier mondial ?

L’expansion du marché mondial du blé ne profite pas à la France. Un certain nombre de facteurs convergents impacte sa production de céréales. Aussi, notre pays doit élaborer une stratégie commerciale pour se distinguer sur des marchés très concurrentiels.

Au cours de ces douze prochaines années, le pôle de gravité des marchés des céréales basculera vers le bassin de la Mer Noire (Roumanie, Bulgarie, Russie, Ukraine et Kazakhstan). Le potentiel de production de céréales y est très important : la Roumanie  est déjà devenue le premier pays producteur européen de maïs.

Pour sa part, la demande mondiale de céréales croîtra, tirée par la pression démographique, l’essor de l’élevage et dans une moindre mesure par l’essor de l’utilisation industrielle. Du Maroc à l’Iran, la population aura augmenté en 2030 de plus de 72 millions d’habitants pour atteindre 440 millions d’habitants. Ces pays méditerranéens et orientaux importeront jusqu’à 60 millions de tonnes (Mt) de blé par an.

Dans un tel contexte, la filière céréalière française ne peut plus fonctionner en flux poussés. Les exportations de blé vers les pays tiers, hors de l’Union européenne, plafonnent autour de 8-12 millions de tonnes par an. Les marges commerciales sont faibles. Sans stratégie de reconquête, notre pays pourrait devenir un pays de second rang : les opérateurs achèteraient alors des céréales françaises par défaut ou par opportunisme!

A ce jour, les exportations françaises de blé  portent sur la part de la production de céréales qui n’est pas consommée sur le marché français et européen. Elles ne sont pas réfléchies en tant que filière à part entière comme dans les pays baltes, en Roumanie ou même en Bulgarie. Dans ces pays européens, une partie des céréales sera produite pour être exportée car elles répondent à des besoins bien identifiés. Hors de l’Union européenne, la Russie et l’Ukraine ont adopté des stratégies similaires.

« L’ensemble de la filière céréalière  française doit définir une stratégie commerciale de conquête en se positionnant entre spécialisation et massification pour créer de la valeur, explique Yves Le Morvan, responsable filière à Agridées. Cette offre répondra à des critères de qualité spécifiques, définis après avoir intégré la demande des acheteurs. » Le think tank a publié sur le thème de la reconquête une note intitulée « filière céréalière française : une stratégie d’exportation ».

Etre offensif et compétitif

Tous les acteurs de la filière « export » doivent s’associer pour la rendre compétitive et offensive. Si un maillon est défaillant, l’ensemble de la chaine en pâtit (commercialisation des céréales moins fluide, perte de valeur).

Les agriculteurs ne cessent de faire des efforts pour être compétitifs et y parviennent pour partie. Mais ils doivent être accompagnés par les mêmes efforts de compétitivité des autres acteurs de la filière.

Réaliser un diagnostic de filière est la première démarche à entreprendre pour élaborer une stratégie de conquête. L’identification des besoins des marchés en sera le socle.

« La logistique française à partir de la sortie des OS (Ndlr : organismes stockeurs) bénéficie d’un bon crédit.  Mais les pays concurrents vont progresser, analyse le think tank AgriDées dans sa note. Il faudra donc améliorer les infrastructures collectives et opter pour le fret péniche conteneurs. Le numérique est aussi un très bon outil renforcer la transparence des transactions et rendre le commerce plus efficace. »

Dans les coopératives et les négoces, réduire les coûts d’intermédiation en revoyant l’organisation des sièges, la nature des prestations de services fournies et le déploiement des antennes de réception font aussi partie des pistes à explorer pour être plus compétitives. Une bonne organisation de la collecte réduira à l’essentiel les transports de céréale de site à site. Mais si la réception est trop centralisée, les liens de proximité de la coopérative avec ses adhérents, auxquels ces derniers sont attachés, pourraient être battus en brèches. Par ailleurs une trop grande massification rend la segmentation de l’offre difficile puisqu’il n’existe plus de petits silos. Dans le même temps, les agriculteurs sont de plus en plus équipés de cellules de stockage. Les coopératives peuvent choisir de s’approvisionner directement auprès d’eux pour honorer leurs contrats.

C’est en meute que les négociants, les coopératives, les silos portuaires et les chargeurs doivent à la fois s’organiser et conquérir des contrats à l’export avec une offre segmentée pour répondre à des besoins spécifiques (pain, galettes, boulettes, etc). Et ensuite chacun des participants y répond à sa façon, en fonction des commandes passées.

« En retour, il faudrait organiser, en amont, les retours des clients auprès des producteurs et des OS, qui sont au centre du dispositif. Les agriculteurs répondront alors à la demande formulée en semant leurs parcelles », défend Yves Le Morvan, d’AgriDées. Mais le choix variétal devra correspondre aux besoins des acheteurs.

Toutefois, le modèle économique sur lequel reposent les coopératives et les négociants est fragilisé par la loi Egalim. Elle impose la séparation du conseil de la vente des produits phytosanitaires. Les marges commerciales sur ces activités sont inversement proportionnelles au chiffre d’affaires réalisé : la collecte et la vente de céréales représentent 50 % du chiffre d’affaires mais la marge contributive équivaut un quart de la marge totale, voire un tiers.

« Quand un adhérent livre ses céréales, il ne paie pas l’intégralité du coût logistique, de stockage et de commercialisation supporté par sa coopérative, analyse Yves le Morvan. Une partie des marges réalisée par le conseil et de la vente des produits de protection des plantes finance de fait la collecte, les frais d’allotement et de vente. » Le business-model va devoir évoluer.

Les céréales françaises fragilisées

Depuis vingt ans, la France ne profite plus de l’essor du commerce mondial de céréales et de blé en particulier. 100 Mt de blé en plus sont échangées dans le monde mais la France vend toujours 8-12 Mt par an hors de l’Union européenne. Les rendements ne croissent plus, l’artificialisation des terres empiète l’espace agricole et les agriculteurs ont moins d’outils à leurs disposition pour lutter contre les maladies des plantes et contre les parasites. La recherche agronomique dispose aussi de moyens limités pour créer et sélectionner des nouvelles variétés. Par exemple, l’édition génomique est une méthode contestée.

La stratégie de conquête commerciale à définir à l’international doit s’inscrire dans la durée pour que la recherche variétale apporte des solutions appropriées. Il faut 10 ans pour sélectionner et commercialiser une variété. 

Par ailleurs, la France a montré qu’elle n’était plus, comme par le passé, à l’abri des accidents climatiques, comme c’était le cas par le passé. Parallèlement, le bassin de la Mer Noire n’a pas connu de crise depuis plus de cinq ans. Le marché mondial du blé est alimenté  chaque année par 60 millions de tonnes de grains d’Ukraine et de Russie. L’offre de blé est permanente.

Pour toutes ces raisons, les accidents climatiques n’impactent plus, comme par le passé, le fonctionnement des marchés car l’offre de céréales dans le bassin de la Mer Noire compense les aléas de production dans l’Océanie, en Europe ou en Amérique. Cette année, la sécheresse australienne et sud-américaine n’a pas impacté les marchés.


En savoir plus : https://www.agridees.com/publication/filiere-cerealiere-francaise-construire-une-strategie (lien vers la note de AgriDées).

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