En grandes cultures, les marchés de niche ont leur place. C’est la position adoptée par la Coopérative Agricole du Pays de Loire (CAPL). Blé de meunerie, orge de brasserie, millet, épeautre, sarrasin ou quinoa sont collectés sur environ 15 000 hectares.
Installée à Thouarcé (Maine-et-Loire), la CAPL a la particularité de miser sur la proportion importante de cultures sous contrat de filières : ces dernières représentent 50 % des 350 000 tonnes collectées en 2014. « Notre approche filières dans le secteur des céréales nous permet d’avoir une offre adhérents différente de nos collègues et de capter autant que possible un peu plus de valeur ajoutée pour nos producteurs », précise Patrick Bremaud, directeur de la CAPL.
Au total, ces cultures spécifiques représentent environ 15 000 hectares avec des variations de plus ou moins 5 % selon les années. « Nous ne cherchons pas à accroître les surfaces à tout prix, ajoute Patrick Bremaud. Nous fonctionnons en total esprit de filières, et continuerons de développer ces cultures seulement si, en aval, la demande existe. »
Pour le directeur de la CAPL, le choix de travailler avec des cultures rares est devenu une évidence compte-tenu du contexte. « Il y a une quinzaine d’année, nous avons essayé d’imaginer la place d’une coopérative comme la nôtre : nous n’aurons jamais la taille de celles qui collectent 2 ou 3 millions de tonnes de céréales. Alors quelles démarches initier pour nous différencier ? Nous avons regardé du côté des nombreuses industries agroalimentaires du nord-ouest de la France, qui ont des besoins variés. Nous avons cherché à mieux les connaître et avancer avec elles. » Dès lors, les cultures potentiellement intéressantes pour les clients font l’objet de réflexions agronomiques et sont testées chez les agriculteurs. Peu à peu, une relation de partenariat se constitue avec un certain nombre d’acteurs utilisateurs sur le Grand Ouest.
La CAPL a donc fait de la diversification sa marque de fabrique : elle collecte une vingtaine de cultures. Même avec le blé tendre, première filière de la coopérative, les variétés cultivées répondent à des demandes bien spécifiques des clients: à destination de la meunerie, blés améliorants, blé biscuitiers et productions sous cahier des charges, comme le CRC (culture raisonnée contrôlée), Lu Harmony, ou le cahier des charges Arvalis (IRTAC) pour les conditions de production.
Il en est de même pour la filière brasserie. « Nous collectons orge d’hiver et orge de printemps. Un de nos clients en particulier a besoin de variétés qui ne sont pas sur le marché, il recherche une certaine qualité de malt. Nous faisons en sorte de tester ces variétés et nous demandons à nos agriculteurs de les produire », explique Patrick Bremaud.
On entre ensuite dans la famille des cultures rares : seigle meunier et épeautre (démarrés en 2008), millet blanc et quinoa (2010), sarrasin et lentille verte (2012). Pour démarrer ces productions, il faut d’un côté une demande de l’aval, et de l’autre, des agriculteurs curieux en recherche de diversification ou d’originalité. « Pour le sarrasin, des accords ont été conclus avec des meuniers et industriels bretons, précise Patrick Bremaud. Nous les approvisionnons, de manière pérenne et sur des quantités significatives, compensant l’irrégularité de la production asiatique. Il s’agit bien d’une démarche tripartite entre l’industriel, le client et la coopérative. »
« La valeur ajoutée apportée par les cultures de niche compense le manque de références techniques qui peut décourager les agriculteurs, explique Romain Dandois, responsable agronomie est en charge de la mise en place et du suivi, chez les adhérents, des cultures de millet, épeautre et sarrasin. Avant de développer ces cultures à une échelle plus grande, nous les avons testées en micro-parcelles, chez les adhérents. On se documente et on découvre ensemble les contraintes de chaque culture. »
L’épeautre est cultivé chez une dizaine d’agriculteurs, soit 150 hectares environ. La demande évolue peu. Assez rustique, la plante est peu sensible aux maladies. Elle talle très fortement, entraînant une densité de peuplement importante, empêchant le développement des adventices. Toutefois, pour sécuriser le rendement (70 quintaux en moyenne), il faut, selon Romain Dandois, retenir trois étapes clés : semis, récolte, et verse. « La graine d’épeautre n’est pas, comme le blé, dénudée. Elle est semée dans son enveloppe, parfois avec des barbes. Il est possible qu’elle se bloque dans les éléments semeurs. Inversement, récoltée avec son enveloppe, la graine demande un réglage pointilleux des moissonneuses. » Enfin, l’épeautre est sujet à la verse car c’est une plante très haute. Il faut donc raisonner la fertilisation azotée et apporter un à deux régulateurs.
Le millet blanc donne, dans la région, un rendement de 40 quintaux/ha. L’itinéraire technique, simple, se rapproche de celui d’un maïs grain. Le millet est moins gourmand en azote (100 unités d’azote/ha). Les graminées, dont le cycle est calé sur celui du millet, peuvent poser problème. Les traitements (produits, doses et périodes) doivent être maîtrisés. Aujourd’hui environ 300 hectares sont en culture.
La production qui surprend par l’évolution de ses surfaces est le quinoa : de quelques dizaines d’hectares en 2010, année du démarrage, on passe à 2000 hectares implantés aujourd’hui en contrat avec la CAPL ou ses filiales. L’Anjou est actuellement la seule région productrice. « Nos clients recherchent un quinoa local. La demande est forte, et nous n’avons pas pu la satisfaire l’an passé », précise Patrick Bremaud. Cette année, la situation est différente et les disponibilités sud américaines sont importantes. Le prix payé au producteur est suffisamment attractif pour compenser la perte de rendement causée par les adventices. « Nous pourrions largement dépasser les 20 quintaux à l’hectare si nous disposions de solutions de désherbage. Le principal souci est le chénopode, qui appartient à la même famille que le quinoa et a donc le même cycle de développement », précise Romain Dandois. Il pousse vite et ne peut être étouffé par le quinoa. Le désherbage mécanique n’étant pas adapté, tout comme le faux semis (le quinoa est semé en février, au moment où le climat favorise l’accès aux parcelles), le seul levier est aujourd’hui la rotation. Bilan : à part la fertilisation, qui ne peut être que chimique étant donnés les forts besoins en azote de la plante, le quinoa est une culture non traitée pour le moment.
La récolte, qui a démarré début juillet, semble prometteuse… A un détail près : la sécheresse. « Les étés 2013 et 2014 ont été humides, offrant au quinoa de bonnes conditions de floraison, estime Frédéric Truffaux, en charge du dossier quinoa à la CAPL. Mais les premières parcelles récoltées cette année ont subi un fort stress hydrique, ce qui pourrait compromettre la récolte. »
La culture du sarrasin est difficile en Anjou. Si le blé noir se satisfait de terrains pauvres et de l’absence de fertilisation, son ennemi numéro 1 est le datura, adventice dont les baies sont mortelles, et dont le cycle est calé sur celui de la culture. Romain Dandois fait contrôler toutes les parcelles avant récolte. « Si nous observons du datura, on demande à l’exploitant d’arracher les pieds à la main, sinon on ne récolte pas. » Le sarrasin est également très dépendant de la pollinisation; la présence d’insectes pollinisateurs variant d’une année sur l’autre, il en est de même pour la reproduction. « C’est un élément qu’on ne maîtrise pas. Parfois, la parcelle est belle, mais il n’y a pas de rendement car la plupart des fleurs ont avorté », admet le spécialiste. Ces contraintes, combinées à une demande variable de la part des clients, entraîne une fluctuation des surfaces : 500 hectares en 2013, rien en 2014, 300 hectares en 2015…
C’est en 2012 que la coopérative fait le choix de proposer à ses adhérents la culture de la lentille verte. Comme le souligne Frédéric Truffaux, en charge de la culture, « le marché français est très demandeur; lorsque nous avons démarré la culture, la France importait 60 % de sa consommation de lentilles vertes ». La culture est totalement adaptée au contexte pédo-climatique angevin, puisque qu’elle nécessite des sols calcaires (c’est une légumineuse) et des conditions séchantes. Le coût des intrants est faible : programme de désherbage léger, un demi fongicide contre la rouille… la lentille verte est assez peu coûteuse à produire et valorise très bien les petites terres. Malgré tout, du fait de conditions plutôt humides en 2013 et 2014, les rendements ont été médiocres : entre 12 et 16 quintaux, contre 22 à 27 attendus. « De plus, l’eau a tendance à abaisser le port de la plante, déjà proche du sol, ce qui rend la récolte difficile », ajoute Frédéric Truffaux. L’année 2015 devrait entraîner de meilleurs résultats.
En savoir plus : http://groupecapl.coop (site internet de la coopérative CAPL) ; http://www.entreprises.ouest-france.fr/article/pays-loire-cooperative-etend-son-royaume-cerealier-12-12-2014-177923 (article de Ouest France sur la CAPL paru en décembre 2014) ; https://wikiagri.fr/articles/le-quinoa-en-anjou-histoire-dune-implantation/1039 (WikiAgri vous avait déjà parlé de la culture du quinoa, dans cet article).
Nos photos ont été fournies par Romain Dandois (CAPL) et montrent de l’épeautre puis du quinoa, dans leur état d’avancement de début juillet 2015.