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Ce que les craintes sur l’accord du Mercosur révèlent sur la fragilité de notre agriculture

Il fut un temps, pas si lointain, où l’on pouvait qualifier le secteur agricole français de puissance économique, fleuron de notre balance commerciale, point d’appui solide de notre économie entière. Particulièrement aujourd’hui avec l’annonce de l’accord de libre-échange entre l’Europe et les pays du Mercosur, c’est un aveu de faiblesse qu’émettent nos agriculteurs face à cette nouvelle concurrence.

La grande majorité des réactions à la signature de l’accord vont dans le même sens : l’agriculture française va en pâtir, en particulier le secteur de l’élevage à viande, pour lequel beaucoup voient là une sentence de mort programmée… Mais il est une réaction qui m’a interpelé, légèrement décalée, sans être pour autant « anti-agricole », puisque émise par le sénateur de la Manche, Jean Bizet, vétérinaire de formation et considéré comme un des spécialistes des questions agricoles au sein du groupe LR au Sénat.

Une perte de compétitivité qui n’autorise pas à accepter une nouvelle concurrence

Ainsi, selon Jean Bizet (lire ici son communiqué complet), c’est le manque de compétitivité de la filière viande française qui la rend si fragile face à cette nouvelle concurrence. Et dans un second temps, il suggère de lui rendre cette compétitivité et d’accepter l’accord, qu’il estime bon par ailleurs. Sur cette seconde partie, je ne partage pas son avis, car il me semble compliqué de rendre la filière suffisamment prête en si peu de temps. Mais il n’empêche, sa réflexion quant à un positionnement de l’agriculture française qui soit apte à encaisser les coups durs, c’est intéressant.

Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’inquiétude de voir l’agriculture française perdre, lentement mais sûrement, sa capacité à tirer toute l’économie française vers le haut est mise en avant. C’était déjà l’un des chevaux de bataille du précédent président de la Fnsea, Xavier Beulin. Entre autres, la Coordination rurale aussi est allée sur cette voie. On peut citer aussi la proposition de loi qui n’avait pas abouti d’un autre sénateur, Daniel Gremillet, il y a trois ans. Et tout récemment, encore un sénateur, Laurent Duplomb, a fait retentir une nouvelle fois dans le vide la sonnette d’alarme.

Quelle agriculture voulons-nous ? Trop longtemps que cette question n’a pas été posée !

Mais allons plus loin. Quelle agriculture voulons-nous ? Cette question n’a pas été posée par quelque ministre de l’Agriculture que ce soit, tous partis confondus, depuis très longtemps. A la base, nous avions une agriculture dont la richesse tenait dans la variété des productions, dans la faculté à produire tant dans la tradition et le terroir que pour des volumes et l’export. Il existait une forme d’équilibre entre tout cela sur notre territoire national, certains étaient plus riches, d’autres peut-être plus épanouis, en tout cas tout le monde vivait… Seulement de cela il n’est plus question aujourd’hui. Entre-temps, sans qu’aucune décision politique n’ait été prise pour cela, nous avons basculé dans une forme de vocation au modèle unique, lequel évolue selon les tendances du moment. L’agroindustrie, si décriée désormais, a eu ses beaux jours, la réaction sous forme de dogmatisme vert a aussi eu pour vocation de reléguer le paysan au rang de simple individu obéissant… Et comme il ne l’est pas, on n’a jamais été totalement au bout de l’une de ces deux logiques… Sans en trouver une autre non plus !

Pour autant, sous une forme ou sous une autre, le résultat est là : il est désormais presque tabou de vouloir rechercher des rendements, car ce mot est rattaché « de fait » à des méthodes de production montrées du doigt. Parallèlement, nombre d’agriculteurs aux méthodes traditionnelles de qualité ne tiennent pas, en raison d’une part de normes qui leur réclament de véritables laboratoires s’ils transforment leur lait en fromages ou leur viande en charcuterie, et même sans cela dans les dimensions de leurs bâtiments ou autres détails parfois invraisemblables qui font le bonheur de contrôleurs plus assidus (mais pas sans ordre non plus) chez les paysans qu’aux autres maillons de la chaine alimentaire… Et d’autre part car ils ne valorisent plus leur qualité dans la majeure partie des coopératives (à l’exception de celles des Alpes, et de quelques autres) : dans le Cantal par exemple, le lait issu des salers est payé le même prix que celui des « Hollandaises », les prim’Holstein, bien plus productives même si moins qualitatives… Produire de la valeur ajoutée ne suffit plus, il faut aussi la vendre en tant que telle. Et donc s’équiper, s’endetter, le modèle économique devient aléatoire…

Qui plus est, des bassins productifs agricoles entiers ne sont pas dans la logique de la valeur ajoutée. C’est l’exemple de la Bretagne. Beaucoup de belles productions… Qui dépendent des tarifs des marchés et autres proposés par les acheteurs. Quand le lait baisse, quand la viande de porc frôle le kilo à 1 euro, la Bretagne agricole est en crise… ce qui lui est arrivé souvent ces dernières années ! Sans parler des normes pour endiguer les algues vertes, les payeurs n’ont pas été les conseilleurs, seulement les producteurs. Globalement, la Bretagne est faite d’exploitations familiales sur un marché où, à l’étranger, les mêmes productions dépendent de grosses structures capables d’économies d’échelle, sans parler de distorsions de concurrence sur le coût du travail ou l’évolution des normes.

Derrière l’absence de politique agricole, des drames humains

L’absence de politique agricole claire, quelle que soit son ambition, conduit à des drames humains. Une réforme en profondeur de notre agriculture a commencé de s’opérer depuis bien des années déjà, sans qu’elle ne vienne d’aucune décision politique officielle… En vérité, ce sont les non-décisions qui l’ont favorisée !

Pour le lait, des années avant on connaissait la date de sortie des quotas, et rien (ou trop peu) n’a été fait pour préparer nos producteurs à cette échéance. Au contraire, j’ai souvenir du salon de l’agriculture qui a précédé de seulement quatre ou cinq semaines ce 1er avril 2015, où j’ai entendu nombre de personnalités politiques en visite dire qu’ils étaient contre. Comme si la décision n’avait pas été prise ! Comme si le fait d’être contre suffisait à s’en prévenir… Et s’il fallait « être contre », ce n’était certes pas au salon de le dire, mais davantage à Bruxelles ou à Strasbourg…

Pour la viande, la concentration des moyens s’est opérée au niveau des abattoirs, avec les dérives que l’on sait, qui font les choux gras de différentes associations douées pour sortir des vidéos choc. Mais qui a morflé ? Ceux qui ont perdu le contrôle de leurs outils, qu’historiquement ils avaient pourtant créés : les éleveurs. Là aussi, la qualité n’est plus rémunérée, à de rares exceptions près. Les tendances sociétales vont à l’encontre d’une alimentation fournie en viande… Alors que nous avons à la base en France la chance d’avoir un terroir varié et de qualité, son intérêt se dissipe, les éleveurs arrêtent d’une façon ou d’une autre… Et les savoir-faire ne se transmettent plus, il ne sera bientôt plus possible de revenir en arrière.

Déjà au bord du précipice, les paysans voient le Mercosur les y pousser

La chute en pente plus ou moins douce a commencé depuis des années. Les causes sont multiples, multifactorielles pour utiliser un mot à la mode, mais un sursaut citoyen n’interviendra que le jour où la société se rendra que, dans son assiette, elle ne peut plus avoir finalement que celle a dit n pas vouloir des années plus tôt. Alors oui, M. le sénateur Bizet, sur le fond, vous avez raison. Notre agriculture n’est pas suffisamment compétitive aujourd’hui pour appréhender sereinement de nouvelles concurrences. Oui, les accords de libre-échange sont faits pour s’ouvrir au monde, pour échanger, et donc éviter des conflits armés dont on ne veut plus. Je veux bien vous croire aussi, faute d’être suffisamment spécialiste moi-même sur la question, lorsque que vous affirmez que les autres pans de l’accord sont « bons » pour les Européens et donc pour les Français. Mais comment croire qu’en quelques mesures compensatrices, si tant est qu’elles soient prises, on puisse rendre aux éleveurs (entre autres, puisque les plus touchés par l’accord) la compétitivité perdue ? Je pose juste la question…

Et si, au lieu de répondre au plus presssé et tant bien que mal à l’actualité, on définissait posément les valeurs fondamentales sur lesquelles doit reposer l’agriculture française de demain ? Les états généraux de l’alimentation auraient pu donner cette direction si, derrière les mots, il y avait eu intention…


Notre illustration ci-dessous est issue de Adobe.

3 Commentaire(s)

  1. Notre pays a peu évolué notamment dans certaines régions françaises…une sur mécanisation peu adaptée aux structures d’exploitations. Des parcellaires relativement réduits pour des tracteurs de 100 cv et non de 200 cv.. Des parcelles < à 3 ha et des exploitations entre 70 et 150 ha en système grandes cultures… L Europe de l’ouest a peu évolué par rapport aux grands pays producteurs où les charges fixes sont inférieures de 50% par rapport aux nôtres..

    • illusion de la « puissance », masque de notre agrocratie,
    • hypocrisie de notre souci du développement
    • manque de solidarité entre nos branches et terroirs
    • tabou sur notre démographie et nos structures
  2. Libre échange pas très vert!

    Des stocks obsolètes de pesticides exportés vers le Brésil par l’agrochimie Syngenta ?
    Chaque année, l’Europe retire du marché les pesticides jugés trop dangereux au regard des dernière données scientifiques. Qu’à cela ce tienne, les fabricants de la mort ont trouvé une nouvelle terre d’asile pour leurs poisons bannis de l’Europe : le Brésil. Le nouveau président élu du Brésil a fait autoriser 239 nouveaux pesticides, dont un quart sont frappés d’interdiction par Strasbourg.
    Ces derniers mois, le géant Suisse de l’agrochimie Syngeta a, exporté vers le Brésil, depuis les usines italiennes, 200 tonnes d’atrazine, un herbicide ultra toxique pour la faune aquatique et soupçonné d’être cancérigène pour le règne animal dont l’homme.
    Peut-on être rassurer à l’idée que les denrées alimentaires massivement importés du brésil seraient scrupuleusement contrôlés au moment de passer la frontière ?

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