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L’agroforesterie ou le retour du génie végétal dans les territoires

Les travaux des récentes journées « Paysages in Marciac » sont la source d’un tour d’horizon précis sur l’agroforesterie. A découvrir. Vraiment.

L’agroforesterie est un concept très original au regard des pratiques agricoles actuelles. L’arbre, qui, il y a 70 ans encore, était considéré comme l’un des piliers des systèmes agricoles, est aujourd’hui considéré comme gênant, même si dans certaines régions un changement des mentalités s’opère. Pourtant, l’agroforesterie peut améliorer les performances environnementales, économiques et sociales… Un tel processus ne se produira sur le long terme et à grande échelle qu’au travers de la mise en place de nouvelles formes de gouvernance et de partage des connaissances.

« Imaginez vous tout nu, sans protection, à la merci du climat, vous gelez ou vous êtes grillé sur place ! » En comparant le sol à l’humain, Konrad Schreiber, agronome et chef de projets à l’Institut pour l’agriculture durable (IAD) fait comprendre que, comme nous, les sols nus ne résistent pas longtemps. Lors de la journée « Agroforesterie » organisée par l’Inra et l’association Arbre et Paysage 32 (cf article paru le 24 juillet 2014, lien à la fin de celui-ci), son intervention, avec celle de plusieurs autres agriculteurs, scientifiques et responsables d’associations, ne pouvait que convaincre le public présent de l’urgence de couvrir nos sols. Couverts végétaux et agroforesterie font partie des leviers à utiliser.

Il reste que la méfiance des agriculteurs est souvent grande lorsqu’on parle de plantations d’arbres dans des parcelles qui ont été « nettoyées » de ces derniers pour faciliter les travaux. Mais le contexte actuel rend le concept de moins en moins lointain : érosion des sols et de la biodiversité, qualité et économies d’eau… et vulnérabilité des exploitations. En parallèle, la politique agricole va dans le sens de l’agroforesterie, qui est désormais éligible à la Pac.

Alors, est- il possible d’installer des arbres « sans se planter » et comment s’y prendre ? Est-ce qu’on va gagner de l’argent et dans combien de temps ? Qu’est-ce que les arbres vont apporter à l’exploitation et à la société ? Est-ce que les acteurs présents sur le territoire peuvent épauler l’exploitant dans ma démarche ?

Commençons par une définition. L’agroforesterie comprend les alignements d’arbres plantés volontairement dans la parcelle, les haies, bosquets, ripisylves, mais aussi les arbres isolés. Les produits issus des arbres sont variés : bois d’œuvre, bois énergie, BRF (bois raméal fragmenté), petits fruits, litière, fourrage… Les surfaces en agroforesterie représentent plus de 170 000 hectares aujourd’hui, soit environ 0,6% de la SAU française.

Ce que l’on sait des services rendus par les arbres

De nos jours, la balance commerciale nationale très déficitaire sur les produits du bois, le regain d’intérêt pour les diverses formes de « bois énergie » et les nouvelles technologies d’exploitation de ces ressources offrent de belles opportunités pour valoriser la ressource en bois.

Les équipes de l’UMR System de l’Inra de Montpellier travaillent depuis 20 ans sur l’agroforesterie et ont montré que l’association arbres et cultures permet de produire autant de biomasse que sur 1,2 à 1,5 hectare dans le cas où les cultures sont séparées, grâce à l’intensification écologique mise en place.

En plus des produits fournis par l’arbre, les milieux constitués par les arbres fournissent des services écosystémiques : l’agroforesterie vise à diminuer voire supprimer l’usage de certains intrants (azote, phosphore, certains pesticides) grâce à des cycles biologiques reconstitués et la mise en place de régulations naturelles. Jean-Pierre Sarthou, chercheur et agriculteur (lire WikiAgri Magazine n°12) rappelle que « les ennemis naturels tuent plus de ravageurs que les pesticides. En les supprimant, on augmente les ravageurs de 55 à 60 % … Donc on doit traiter plus, ce qui fragilise encore plus les auxiliaires ».

Aujourd’hui, certaines choses ne sont plus à démontrer : la diversité des pollinisateurs, qui dépend de la parcelle et du paysage local (richesse en habitats), a un impact sur les services de biocontrôle (ici, contrôle des ravageurs par les auxiliaires) et de pollinisation. Donc, plus il y a d’habitats semi-naturels, plus il y a d’ennemis naturels, plus il y a de biocontrôle donc moins de dégâts. Les syrphes, dont les larves consomment les pucerons, hivernent sur place. Elles se nourrissent du pollen des plantes des habitats entourant les parcelles, et peuvent ainsi assurer une protection des cultures précoces plus tôt au printemps et plus tard en automne, permettant ainsi de réduire l’usage de produits phytosanitaires.

Par ailleurs, les travaux de Valérie Viaud (Inra) ont déterminé les rôles de l’arbre de brise vent et d’atténuation du rayonnement lumineux, ce qui diminue les amplitudes de températures. L’arbre a aussi un impact sur la qualité et la quantité d’eau. Il agit dans certaines situations comme un ascenseur hydraulique : il puise l’eau en profondeur et la redistribue en surface. Les haies régulent les excès d’eau et d’éléments fertilisants. Les arbres vont dans le sens de la conservation des sols car ils limitent l’érosion éolienne et hydrique, ce qui justifie la plantation de haies sur les versants. Enfin, en captant le CO2, l’arbre absorbe du carbone et le restitue au sol par la décomposition des feuilles, des racines.

La rentabilité économique des exploitations agroforestières est prouvée grâce à des simulations et à travers les exemples de fermes pilotes. Attention toutefois : la réussite d’une plantation d’arbres dépend de nombreux facteurs ; il est essentiel d’être accompagné dans son projet. Philippe Pérès, éleveur de canards gras dans le Gers, a planté des haies, arbres champêtres et fruitiers, comme parcours ombragé. On a montré que, pour la même quantité de nourriture ingérée, le gain de poids des volailles est plus important lorsqu’elles bénéficient de l’ombrage d’un parcours. Jacques Hicter, céréalier sur 300 hectares dans l’Aisne, a commencé à réinstaller des haies et des bandes végétalisées en 1980. Rapidement, le gibier, les ennemis naturels sont revenus, et l’agriculteur n’utilise plus que de l’anti-limace et très exceptionnellement des insecticides pour lutter contre les pucerons.

Comment « ne pas se planter »

Christian Dupraz mène des recherches à l’Inra de Montpellier depuis plus de 20 ans. Son recul l’a amené à orienter son discours, le 1er août, sur le risque de rater un projet par non maîtrise de la technique. « Il ne faut pas être trop simplificateur et angélique dans la manière dont on introduit le concept, comme peuvent le faire certains médias. Méfions nous ; on a commis des erreurs, on a raté des plantations car on ne savait pas où on allait. C’était de la « fausse agroforesterie » car elle n’était pas comprise, donc pas gérée. On peut croire qu’une plantation a fonctionné et, au bout de 10 ans, c’est la catastrophe. On ne passe pas d’un système à un autre brutalement ! »

Le chercheur, qui accompagne de nombreux projets d’agroforesterie en France et à l’étranger, alerte  sur la technicité du système agroforestier, qui nécessite une formation de l’agriculteur… Qu’aujourd’hui peu de structure sont capables de proposer.

Alain Canet, directeur d’Arbre et Paysage 32,  insiste : « On ne plante pas un arbre comme ça ! Seul, un arbre ne coûte rien. Mais si on intègre toute une chaîne en amont, on monte à un prix plus haut. Il faut absolument respecter ces éléments au risque d’être très déçu. Si un arbre coûte en moyenne 0,60 € dans la pépinière, Arbre et Paysage 32 facture 17€45 le « package » arbre + travail du sol + plantation + piquet + protection + conseil. »

« Décompactage intellectuel »

Nous disposons aujourd’hui de suffisamment de connaissances. Mais les conseillers agricoles ne sont pas tous formés pour épauler les agriculteurs souhaitant se lancer dans un projet de plantation. La dynamique vient principalement de groupes d’agriculteurs qui intègrent des réseaux d’appui technique pour partager leurs expériences d’essais-erreurs-réussites.

Fabien Liagre, du bureau d’étude Agroof, s’efforce de créer des ponts entre les secteurs pour mieux travailler ensemble. « Le succès du développement de l’agriculture de conservation en général nécessite un décompactage intellectuel. Les agriculteurs sont capables de répondre plus rapidement à un problème que le monde de la recherche. Mais chacun travaille dans son coin. La recherche doit aller dans le champ. La subtilité, c’est qu’en travaillant avec des agriculteurs, nombreux, on génère beaucoup de données « sales », c’est-à-dire sans protocole expérimental conçu en amont. Cela demande un bouleversement des méthodes classiques de recherche ! » Enfin, on peut se demander si la durée des financements des projets (2 à 4 ans) est suffisante à l’échelle de la vie d’un arbre…

Aujourd’hui, la dispersion de la ressource au sein des territoires, la rentabilisation du matériel d’exploitation des arbres, les contraintes du travail au sein des exploitations sont un frein au développement de l’agroforesterie. Il faut repenser l’organisation sociale et économique du territoire, par la création de Cuma par exemple. Enfin, la généralisation de certaines pratiques demande une organisation collective au sein du territoire lorsqu’elle génère un supplément de travail qui peut freiner leur généralisation. « Un mode d’organisation collectif doit être mis en place pour rendre la filière rentable », précise Alain Canet.

De nombreuses questions restent en suspens et justifient de poursuivre les programmes de recherche : quelle quantité de carbone est véritablement stockée selon l’âge de l’arbre, le type de sol et de climat ? Peut-on chiffrer les réels bénéfices à l’échelle de l’exploitation et pour la société ? Les débats qui naissent lors d’événements comme « Paysages in Marciac » ont le mérite d’établir le lien entre connaissances acquises et véritables questions d’avenir..

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/paysages-in-marciac-2014-agroforesterie-au-programme/1195 (notre article de présentation de ces journées de Marsiac) ; http://www.agroforesterie.fr (site de l’agroforesterie) ; http://www.arbre-et-paysage32.com (site de l’association Arbre et Paysage 32) ; https://wikiagri.fr/tags/agroforesterie (tous les articles de wikiagri.fr sur l’agroforesterie).

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