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Allemagne: 120 Mds d’exportations de produits agroalimentaires et toujours déficitaire

La première puissance économique européenne a bâti une industrie agroalimentaire très puissante très dépendante des importations de commodités agricoles qu’elle ne produit pas en quantités suffisantes. Mais son solde commercial agricole et agroalimentaire a toujours été déficitaire de 10 à 20 Mds d’€ par an. Les objectifs environnementaux de la Pac affaiblissent l’élevage allemand.

Comment apprécie-t-on la vigueur de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire d’un pays? A sa capacité de pourvoir aux besoins de sa population, à ses exportations de commodités agricoles et de produits transformés ou à son solde commercial?

Depuis l’an 2000, les exportations allemandes de produits agricoles et agroalimentaires ont triplé pour atteindre 120 milliards d’euros (Mds d’€) en 2022. Mais Pour autant, l’Allemagne affiche un déficit agricole et agroalimentaire structurel.

Il s’est pour autant maintenu autour de 10-15 Mds d’€ par an durant la décennie 2010. Et depuis la crise sanitaire de la Covid, il avoisine 20 Mds d’€ par an.

Thierry Pouch, chef économiste aux Chambres d’agriculture de France et Jérôme Vaillant, professeur au Cecille (Centre d’études en civilisations, langues et lettres étrangères), contributeurs au Déméter 2024 ont signé l’article « L’Allemagne : une puissance contrariée, une économie chamboulée, une agriculture vulnérable ».

Ils soulignent que l’Allemagne n’a jamais pu s’appuyer sur son industrie agroalimentaire pour réaliser chaque année ses dizaines de milliards d’excédents commerciaux.

« Les exportations allemandes équivalent à 6 % des exportations mondiales alors que les importations pèsent 7,6 % », soulignent  les auteurs de l’article du Déméter 2024.

Toutefois, le taux de couverture des exportations allemandes s’est redressé ses vingt dernières années. De l’an 2000 à l’an 2022, il augmenté de 14 points pour atteindre 82 %.

En fait, le déficit commercial actuel, rapporté au chiffre d’affaires réalisé, est proportionnellement moins élevé qu’il y a dix ou vingt ans.

Le modèle très libéral sur lequel repose des pans entiers de l’industrie allemande n’est pas transposable à l’agro-alimentaire. Et pourtant, l’Allemagne est devenue un féroce concurrent sur le marché européen. Mais pour exporter plus, elle importe toujours plus. 

Le coût du travail dans les années 2000 a rendu certaines productions très compétitives (fraises, asperges par exemple). Mais la superficie du pays (16 millions d’hectares) est le principal facteur limitant à son expansion industrielle alors que celle de la France est de 28 millions d’hectares. Elle est la première puissance agricole (18,5 %) de l’Union européenne.

Mais l’Allemagne produit 2,5 fois plus de porcs que sa voisine (qui plafonne autour de 2 Mt) et 12 % de lait en plus depuis la sortie des quotas. Et pour nourrir ce cheptel, ses fabricants d’aliments ont importé toujours plus d’oléagineux (13 Mds d’€ en 2022) et de maïs hors d’Union européenne.

Le climat est un autre facteur limitant. La première puissance économique européenne a acheté pour 22 Mds d’€ de fruits et de légumes en 2022.

A l’export, l’Allemagne s’est aussi rendue très dépendante des marchés des pays tiers. Elle est un des principaux bénéficiaires de l’ouverture du marché chinois du porc notamment.

En France, les exportations agricoles et agroalimentaires ont stagné autour de 80 Mds d’ € depuis une quinzaine d’années et le solde commercial a toujours été positif jusqu’à atteindre 10 Mds d’€ par an lorsque les prix des céréales sont élevés. Dans le même temps, la France a toujours affiché un taux de couverture supérieur à 100 %. Les meilleures années il atteint même 125 %.

L’Hexagone s’appuie même sur son excédent commercial agroalimentaire pour limiter son déficit commercial national repassé l’an passé sous la barre des 100 Mds d’€. Pour autant, l’excédent commercial français est déficitaire avec ses voisins européens. L’offre de produits agroalimentaires répond de moins en moins aux aspirations des consommateurs français.

En fait, le montant de l’excédent commercial agroalimentaire français est lié aux cours des produits végétaux comme l’est, par ricochet, l’ampleur du déficit allemand.

De part et d’autres du Rhin, les réformes de la Pac n’ont pas eu les mêmes impacts. En France, elles ont fragilisé ses capacités de production et d’exportations de produits agricoles alors que l’Allemagne est un pays d’élevage intensif moins soutenu par des aides publiques.

Pour autant, l’Allemagne verdit son agriculture aux dépens de sa sécurité alimentaire car elle a toujours compté sur l’import. La moitié des crédits de la Pac est affectée à la protection de l’environnement et du bien-être animal.

Mais en achetant des commodités en provenance de pays tiers, elle s’affranchit quelque peu des normes européennes auxquelles ces mêmes denrées auraient sinon été soumises.

 « Le choix fait par le gouvernement fédéral dans le cadre de la nouvelle Pac, entrée en application en janvier 2023, et plus précisément le  plan stratégique national » … « peut compromettre la dynamique exportatrice de l’Allemagne », explique Thierry Pouch. 

 « Le risque encouru est une diminution des aides et primes de nature à restreindre chez certains agriculteurs la capacité de production, qui par ricochet, entrainerait une diminution des exportations et une dépendance accrue de l’Allemagne envers ses fournisseurs », ajoute encore l’auteur.

Or les capacités d’exportations des pays membres sont limitées. En France, la baisse des aides Pac, leur conditionnalité et la surtranspositon des règles européennes ont anesthésié l’agriculture nationale. Elles ont aussi dynamisé la décapitalisation de son cheptel.

La France n’est plus le grenier à céréales de l’Union européenne. Ses rendements et ses productions stagnent.

Les récentes crises internationales (Covid, guerre en Ukraine, flambée des prix de l’énergie) ont déséquilibré des pans entiers de l’industrie allemande en renchérissant considérablement les coûts de ses approvisionnements. Importer rend vulnérable. Entre temps, la main d’œuvre s’est raréfiée et est plus coûteuse.

La prochaine réforme de la Pac doit tirer les leçons de la guerre en Ukraine et de la flambée des prix agricoles en relançant sa production agricole et en la recentrant sur des commodités dont elle est fortement dépendante. Alors que le monde est confronté à un déficit d’offre, la sécurité alimentaire de l’Union européenne ne peut plus reposer comme par le passé sur des importations massives de commodités, proies d’enjeux économiques et géopolitiques. Sa souveraineté est en jeu. L’exemple de l’Allemagne est un cas d’école.

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