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Vaut-il mieux gagner 200 € dans 10 ans ou 100 € aujourd’hui ?

Comment se rendre compte de la rentabilité d’un projet à partir du coût du capital ? Vaut-il mieux gagner 200 € dans 10 ans ou 100 € tout de suite ? Nos réponses à travers deux cas d’étude.

Il n’est pas rare aujourd’hui d’avoir à choisir entre différents projets sur une entreprise agricole, et il est important de trouver des bases de comparaison objectives pour accompagner les chefs d’entreprises dans leurs décisions. Des projets de méthanisation, de photovoltaïque ou d’augmentation de taille d’exploitation ne peuvent pas être tous menés de front sur une exploitation agricole. Pour choisir entre ces projets, plusieurs éléments rentreront en ligne de compte, tels que la pénibilité du travail, le contexte dans lequel se situe l’entreprise, le ou les exploitants et leur situation personnelle, la capacité financière de l’exploitation, mais aussi l’espérance de dégager un profit économique de ce projet. Ce dernier point nous intéresse ici tout particulièrement. On peut mesurer la performance économique par plusieurs critères, notamment par les flux de trésorerie qui demeurent le nerf la guerre selon l’expression couramment utilisée. Cependant, comment déterminer si un projet A qui rapportera 100 K € (100 000 €) de flux de trésorerie étalé sur 15 ans est plus intéressant qu’un projet qui rapportera 70 K € de flux de trésorerie sur 8 ans. Un élément peut nous permettre de comparer ces projets, et s’il est peu usité dans le monde agricole, il est abondamment utilisé dans la plupart des autres secteurs économiques : l’actualisation des flux.

Pour mieux appréhender l’utilité de cette méthode, nous allons prendre le cas de deux projets que nous allons comparer sur la base de leur performance économique pour l’exploitation. Le projet A est un projet de méthanisation tel qu’on peut en rencontrer dans l’environnement agricole français, et le projet B est un projet photovoltaïque tel qu’on peut le rencontrer sur une exploitation agricole.

Projet A : Hangar neuf pour photovoltaïque de 700 m² à 100 kwc (source : Revenu Agricole, lien en fin d’article))

Investissement en solaire : 150 k€ (kilo €, soit 1000 €)

Tarif de revente : 19 cts €/kWh (avec bonus 10%)

Coût de production du kWh : 12 cts

Tableau 1 : VAN (Valeur Actuelle Nette) Projet A

Projet B : Méthanisation à 50 kWe, sans valorisation de chaleur (Source : Chambre d’agriculture du Gers, lien fin d’article)

Substrat : 250 UGB (2500 t de fumier à 20% MS)

Energie potentielle : 150 kW PCI

Puissance moteur 50kWe

Tableau 2 : VAN (Valeur Actuelle Nette) projet B

Une des méthodes les plus pratiques pour comparer ces deux projets est la méthode dite de la Valeur Actuelle Nette (VAN), que l’on peut aussi rencontrer sous l’acronyme NPV (Net Present Value). L’idée sous-jacente est très simple et peut être résumée simplement avec le vieil adage : « un tien vaut mieux que deux tu l’auras ». Cet adage sous-entend qu’il vaut mieux un profit certain qu’une espérance d’un profit plus grand qui peut être exposé à un risque plus important. Cependant, l’adage ne dit pas un tien vaut mieux que quatre ou dix tu l’auras. Donc où se situe la limite ? De même, vaut-il mieux gagner 414 740 € sur 20 ans, ou 108 820 € sur 15 ans ? La réponse à cette question, si évidente qu’elle puisse paraître ne va pas de soi. Pour cela, la méthode d’actualisation des flux utilisée dans la VAN propose de gommer l’effet temps est de ramener la rentabilité du projet A et du projet B à une valeur à l’instant : le projet A à une valeur en € d’aujourd’hui de 1 832 € (tableau 1), et le projet B à une valeur en € d’aujourd’hui de  -12 674 K€ (tableau 2). L’agriculteur peut donc choisir entre ces deux projets en connaissance de cause, et si le critère économique est le plus important de ses critères de décision, il lui sera simple d’arbitrer entre son projet de méthanisation et son projet photovoltaïque.

Les fondements de cette méthode de la VAN sont simples. Un euro gagné aujourd’hui a plus de valeur qu’un euro gagné dans 2 ans pour plusieurs raisons. Tout d’abord l’inflation qui si elle n’est pas très élevée depuis plusieurs années n’en demeure pas moins un puissant vecteur d’érosion monétaire. L’inflation mesurée par l’INSEE suit l’indice des prix à la consommation. L’illustration classique de l’effet de l’inflation est le prix moyen de la baguette de pain. Cependant, cet indice ne représente pas la réalité de de l’évolution des prix dans le secteur agricole. On peut illustrer l’effet de l’inflation avec le machinisme en agriculture : un tracteur de 110 ch. 4 RM se négociait à 42720 K€ en 2003 et se négocie en 2013 à environ 58000 K€ (barèmes d’entraides Chambre d’Agriculture). Si l’indice de l’inflation ne reflétait que le prix des tracteurs, l’inflation calculée aurait été de 3,1% par an alors que l’inflation moyenne se situerait plutôt autour des 1.7% sur la période pour l’indice des prix à la consommation.

L’autre facteur qui rentre en ligne de compte dans la nécessité d’actualiser les flux est le coût des capitaux. En effet, il n’est pas gratuit de concentrer des capitaux pour la réalisation d’un projet. Si l’on fait appel à un financement bancaire, le coût direct est facile à estimer : c’est le coût des taux d’intérêt supportés par l’exploitation, moins l’économie fiscale et sociale offerte par la déductibilité des intérêts d’emprunts.

Pour le coût des capitaux propres, l’équation est beaucoup plus difficile à aborder. En effet, lorsqu’on autofinance 20 ou 30 % d’un projet photovoltaïque, c’est autant d’argent qui ne sera pas disponible immédiatement pour les prélèvements des exploitants, et, qui si le projet échoue en cours de route, seront perdus (accident météorologique non pris en charge par les assurances, défection du client principal vis-à-vis du contrat de rachat de l’électricité, panne technique diverse non couverte et irréparable…). Il est important de chiffrer ce coût des capitaux propres au regard du secteur d’activité concerné. Cette prise en compte du risque inhérent à l’activité dans un secteur donné est importante, car aucune activité ne peut générer des profits sans comporter une part substantielle de risques. Il est donc normal que l’on cherche à mesurer ce risque, ou tout au moins à tenter de couvrir ce risque par un retour sur investissement supérieur lorsque le risque est plus important.

Dans notre exemple du projet A et B nous avons pris un taux d’actualisation de 8 %, qui correspond au coût moyen pondéré des capitaux (CMPC) prenant en compte le mode de financement des entreprises agricoles, que ça soit des capitaux propres ou de la dette. Comment peut-on choisir des taux d’actualisation adaptés à l’activité agricole ? Nous vous proposons de traiter cesujet au cours d’un deuxième article qui paraîtra prochainement dans Wikiagri.

Pour en savoir plus : http://www.revenuagricole.fr/focus-gestion/memos-gestion/memos-gestion-patrimoine/75-memos-gestion/372-le-point-sur-le-photovoltaique-ce-qui-change-dans-la-reglementation-et-rentabilite. (2013, Mars 10). Le point sur le photovoltaïque. Ce qui change dans la réglementation et la rentabilité. http://www.gers-chambagri.com/fileadmin/documents/volontepaysanne/Techniques/Annee_2011/La_m%C3%A9thanisation_agriocle_pour_quelles_exploitations_et_dans_quelles_conditions_VP_1200.pdf Chambre d’Agriculture du Gers. (2011, Septembre 30). la méthanisation agricole : pour quelles exploitations et dans quelles conditions.

5 Commentaire(s)

  1. Les tableaux passent en petit, nous n’avons pas les moyens de les diffuser autrement. En revanche, ils sont lisibles si vous grossissez votre écran (ctrl +) sur PC et (cmd +) sur Mac. Vous rétablissez ensuite avec les commandes inverses (ctrl -) sur PC et (cmd -) sur Mac.

  2. Sinon, nous sommes heureux de vous proposer sur WikiAgri cette nouvelle rubrique sur la gestion d’entreprise qui restera rédigée par Anael Bibard.

  3. De plus en plus nos choix d’investissement sont bon ou mauvais dans le temps en fonction des décisions politiques des années à venir, c’est pourquoi à mon gout je préfère que cela rapporte rapidement même moins. Les évolutions techniques sont également importantes au niveau rentabilité, surtout dans les domaines nouveaux.
    Mais une chose très importante est le chevauchement des travaux du nouveau projet et du travail existant sur l’exploitation, car il ne sert parfois à rien de gagner plus ailleurs si l’on perd sur l’existant.

  4. C’est effectivement une bonne remarque gytdm: la difficulté de planifier dans le temps à cause d’une mouvance réglementaire permanente pousse encore plus à actualiser les flux futurs: un tien vaut mieux que 2 tu l’auras dans 10 ans.

    On retrouve dans l’exemple ici le même résultat pour la méthanisation (ce projet particulier sans valorisation de chaleur) par rapport au photovoltaïque (qui coute moins cher au début, ce qui rend le projet plus intéressant).

  5. Merci de tes remarques Olivier!
    Désolé d’avoir inversé le projet A et le B. Ces données sont basées sur des études trouvées dans le domaine public, sur des projets types. Je n’ai pas pas pris de projets en cours au sein du CERFRANCE dans lequel je travaille.

    Cette méthode est en effet très peu, trop peu selon moi, utilisée en agriculture. Je vais m’employer à essayer de montrer que même si ça n’est pas l’alpha et l’oméga, on ne peut pas en rester au niveau actuel qui ignore quasiment cette méthodologie, avec dans certains cas des conséquences assez fortes en terme de choix d’investissements plus dictés par la fiscalité que par l’économique!

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