Au lycée de Chambray dans l’Eure, trois années de mesures de populations de carabes au sein de parcelles agricoles ont donné des indications sur l’impact des conduites culturales et du paysage sur leur diversité. Ces résultats sont valorisés sur le plan pédagogique auprès des élèves du lycée, et ont été diffusés aux agriculteurs du secteur, friands de connaître la biodiversité qui évolue au cœur de leurs parcelles.
Des bosquets, quelques bois, un patchwork de zones de vallées, de hauts de coteaux boisés, et de zones d’openfield, les paysages de l’Eure présentent une certaine diversité. Côté pratiques agricoles on trouve de l’agriculture conventionnelle, intégrée, et l’agriculture biologique se développe. Pourtant, Jean-Robert Moronval, enseignant en agronomie au lycée agricole de Chambray en est persuadé : la biodiversité diminue. Pour comprendre ce phénomène, il a mis en place, avec l’aide des financements et formations proposés par Biodivea (un programme qui a engagé 18 lycées agricoles dans des projets visant à mieux concilier agriculture et biodiversité, sur la base de problématiques locales) une expérimentation reposant sur un réseau de parcelles agricoles en y mesurant la biodiversité avec une analyse croisant les facteurs « paysage » et « pratiques agricoles ».
Huit parcelles constituent ce réseau : deux menées en bio (une appartenant au lycée, l’autre chez un agriculteur), quatre en conduite intégrée (une au lycée, les trois autres chez des agriculteurs), et enfin deux en conventionnel (une au lycée, l’autre chez un agriculteur).
« Nous avons mesuré les populations de lombrics, l’indice d’activité biologique et les populations de carabes. Les résultats les plus frappants sont ceux obtenus sur les carabes », précise Jean-Robert Moronval. Les protocoles de recherche sur trois ans, menés par des enseignants, sont assez rares. L’intérêt des conclusions est d’autant plus grand que les personnes à sensibiliser sont à portée de main : élèves et agriculteurs.
Les mesures reposent sur la mise en place de pièges Barber (contenant enfoncé dans le sol dans lequel les insectes tombent), disposés au milieu de la parcelle. Les pièges sont relevés chaque semaine pendant 6 semaines. A raison de 3 pièges par parcelle, cela fait en tout 144 pièges relevés par année sur la durée du piégeage … Et beaucoup de carabes. « C’est très parlant, car on cherche à comprendre tout ce que l’on observe. Au bout des trois années, on aura piégé environ 32 000 carabes ! » explique l’enseignant. Mais la quantité n’est pas le paramètre le plus intéressant : aujourd’hui, on sait parfaitement relier une espèce à un environnement, le carabe est donc une espèce bio-indicatrice.
Sur les 8 parcelles, 37 espèces de carabes ont pu être recensées, dont trois espèces rares et indicatrices de biodiversité : Carabus monilis, Carabus auronitens et Brachinus crepitans. Les deux premières espèces font partie de la catégorie des gros carabes, mesurant environ trois centimètres. « On trouve ces grosses espèces forestières là où elles peuvent se déplacer et se reproduire, c’est-à-dire dans les bandes enherbées ou proches des haies, commente Jean-Robert Moronval. Les carabidés sont plus ou moins sensibles aux produits phytosanitaires et au labour ; on peut trouver C.monilis et C.auronitens dans des parcelles en conventionnel à condition qu’il y ait des infrastructures agroécologiques autour et que la pression phytosanitaire ne soit pas trop forte. »
Le fameux Brachinus crepitans, lui, est plus exigeant : il n’a été trouvé que dans une des 8 parcelles, mais durant les trois années de l’expérimentation. Apparemment, il disparaît à partir du moment où il y a application de pesticides. « Comme nous relevons la conduite culturale de la parcelle, nous savons que l’agriculteur en « conventionnel » chez qui on a trouvé Brachinus n’utilise plus de produits phytosanitaires dans cette parcelle parce qu’elle est proche d’une zone pavillonnaire, résume Jean-Robert Moronval. Les parcelles alentours sont peu traitées, et en plus, il ne la laboure plus depuis longtemps et a choisi cette parcelle pour tester l’agroforesterie. » Un ensemble de facteurs qui ont permis à une espèce rare de cohabiter avec l’agriculture.
Brachinus crepitans n’est pas retrouvé dans les parcelles menées en agriculture biologique. Pour l’agronome, « ce résultat s’explique probablement par la présence de parcelles traitées autour de cette parcelle en bio. On peut aussi penser au type de sol, qui est différent ». Quoiqu’il en soit, le non usage de produits phytosanitaires n’est pas l’unique facteur expliquant la diversité observée.
Au-delà de la présence de ces trois espèces rares, la population de carabes est, sur l’ensemble des parcelles, représentée à 90 % par quatre espèces : Anchomenus dorsalis, Poecilus cupreus, Pseudomonus rufipes et Pterostichus melanarius. Elles supportent les conditions de culture intensive, et sont encore plus représentées dans les parcelles en agriculture conventionnelle. Selon Jean-Robert Moronval, il est important de distinguer plusieurs degrés : « On a eu le cas d’une parcelle située proche d’un bois, d’une haie et d’une prairie, où le labour a été arrêté lors des deux dernières années d’expérimentation et où les doses de traitements ont été diminuées. C. monilis et C. auronitens sont apparus dans cette parcelle. »
En revanche, ce sont les parcelles en agriculture intégrée entourées par quelques chemins enherbés qui présentent une population équilibrée, avec quelques espèces rares. Enfin, les parcelles conduites en bio conservent, tout au long de la rotation (ici, luzerne – blé – lin oléagineux) une ou plusieurs espèces rares et une population équilibrée, ce sont donc les plus résilientes. Pour résumer, les pratiques culturales ont une influence aussi importante que les indicateurs agroécologiques sur les populations de carabes. L’agriculture intégrée montre une population diversifiée de carabes malgré l’absence de ces indicateurs. Toutefois, ces derniers permettent de gagner en diversité dans les parcelles en conventionnel, sans atteindre les niveaux du bio ou de l’intégré.
Les élèves de première S et de BTS ACSE (analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole) ont été impliqués dans la mise en place, les relevés de pièges, et partiellement lors du tri de carabes en salle au cours des trois années d’essais. Une fois les résultats obtenus, ils sont analysés en classe, avec ces mêmes groupes d’élèves. « Par classe, nous avons fait 8 groupes, pour représenter les 8 parcelles. Je mets à disposition de chaque groupe un lot de carabes conservés dans l’alcool, correspondant à une parcelle. Les élèves peuvent ainsi s’échanger les informations entre parcelles, se poser des questions, chercher à croiser leurs observations avec la conduite culturale, résume l’enseignant. Et les élèves sont d’autant plus intéressés que les résultats sont locaux, ils viennent en partie de leur lycée ! »
Valorisés auprès des formations existantes, ces résultats serviront également de support à l’analyse des mécanismes de régulation au sein des agrosystèmes pour la formation de BTS APV (agronomie et productions végétales) que l’établissement proposera prochainement.
Les cinq agriculteurs volontaires pour les essais ont reçu chaque année un compte-rendu des populations de carabes observées. Deux journées de communication ont été organisées pour que les enseignants puissent échanger avec les agriculteurs sur les résultats, tant attendus par ces derniers. Pierre Gégu, propriétaire de la parcelle où Brachinus crepitans a été trouvé, n’en revenait pas. Il ignorait que ses choix avaient préservé une espèce rare, qui témoigne d’une biodiversité globale dans sa parcelle.
Photo ci-dessous, mise en place d’un piège Barber par un élève de terminale S.
Photo ci-dessous, piège barber.
Photo ci-dessous, échantillons de carabidés.
Photo ci-dessous, élèves triant les prélèvements de carabes.
Photo ci-dessous, carabus auronitens, un carabidé rare dans les agrosystèmes.
Bonjour gytdm,
En effet, les observations de carabes et la comparaison entre leur diversité et les pratiques sont plutôt répandues.
L’intérêt de cet article est l’aspect pédagogique: des résultats intéressants sont obtenus sur les parcelles du lycée et dans des exploitations alentours, ce qui rend le protocole vraiment attrayant pour les élèves.
Super article et super expérience !
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Tous ces pauvres carabes « mort pour la sciences »….
Tous cela est très bien, mais il est quand même dommages de réinventer toujours les mêmes choses sans jamais regarder se qui c’est déjà fait ailleurs et avant