Au cœur de la Champagne, le château de Boursault intègre depuis plusieurs années les biosolutions dans ses itinéraires techniques. Si certains produits demandent encore parfois des ajustements, d’autres sont désormais devenus la norme. Pour Kévin Brunel, responsable du vignoble, l’objectif est bien sûr de réduire l’IFT, tout en conciliant productivité et rentabilité.
Entre les biosolutions et le Champagne Château de Boursault, c’est une histoire de longue date. Niché au cœur de 7 ha de forêt, dans la vallée de la Marne, à une dizaine de kilomètres d’Epernay, ce domaine viticole a fait ses premiers pas dans le biocontrôle dès les années 1990, au travers de la confusion sexuelle. « Nous avons été l’un des premiers domaines de Champagne à déployer cette approche pour lutter contre la tordeuse, avec la pose de diffuseurs de type « rak » sur nos parcelles », rappelle Kévin Brunel, responsable du vignoble du domaine. Pour une efficacité optimale, les surfaces traitées doivent être d’un seul tenant et dépasser les 5 ha. « Ce n’est pas un problème sur notre domaine puisque toutes nos parcelles sont regroupées. En revanche, cette technique requiert beaucoup de main d’œuvre pour poser les 500 diffuseurs nécessaires par hectare. Or, de plus en plus de viticulteurs adoptent cette pratique, générant des problèmes de main d’œuvre fréquents en période de pose. Cela s’est révélé particulièrement vrai durant la période de Covid-19 », souligne Kévin Brunel.
Toutes les biosolutions : viticulture & arboriculture
13 ha de vigne, dont 10,5 ha en clos
Cépages : 45% en pinot meunier, 30% en pinot noir et 25% en chardonnay
Certifiée HVE et Viticulture durable de champagne depuis 2015.
Confusion sexuelle sur la totalité du domaine
Pour en partie pallier ce problème, le domaine a opté pour des diffuseurs par aérosol. Après un essai fructueux sur 6 ha en 2019, ces appareils équipent désormais l’ensemble des 13 ha de vigne. Leur installation s’opère en général vers le début du mois d’avril, à raison de 2,5 diffuseurs par ha pour un coût moyen de 297 €/ha. « La diffusion a lieu la nuit, pendant les heures de pontes de papillons. Cela évite l’exposition des salariés aux produits, et permet une diffusion plus ciblée. Nous les enlevons juste avant ou après les vendanges, en fonction du temps disponible. Ce système contribue également à réduire considérablement notre consommation de plastique par rapport aux diffuseurs traditionnels », explique Kévin Brunel. Au fil des années, le Château de Boursault a cherché à intégrer du biocontrôle autant que possible dans ses itinéraires. « Nous cultivons dans une démarche agroécologique forte depuis des années. Nous sommes certifiés « Haute Valeur environnementale » et « Viticulture durable en Champagne » depuis 2015. Nous avons fait évoluer nos pratiques et cherchons encore à réduire notre IFT par conviction, et pour répondre aux attentes de nos clients, toujours plus exigeantes en matière d’environnement », souligne le responsable de vignoble.
C’est pourquoi, après s’être attaqué à la tordeuse, le domaine s’est penché sur les autres nuisibles et pathogènes de la vigne. Afin de lutter contre l’oïdium, Kévin Brunel recourt au soufre d’origine agricole, un produit homologué biocontrôle, utilisé depuis de longues années et qui a fait ses preuves. Afin de, malgré tout, en réduire les doses, le responsable de vignoble l’associe à un produit à base de bicarbonate de potassium, l’Armicarb. Autorisé jusqu’à 8 applications par an en vigne, l’Armicarb ne présente pas de résistance et peut s’utiliser tout au long de la saison. Kévin Brunel l’applique sur l’intégralité du domaine, en général en fin saison, à raison de 3 kg/ha associé à 3 à 5 kg de soufre par ha en moyenne. Le bicarbonate de potassium constitue également un excellent moyen de lutter contre le botrytis. « Nous n’utilisons plus de produits chimiques conventionnels contre le botrytis depuis 2018. Nous avons donc adapté nos itinéraires pour maintenir un bon niveau d’efficacité. Par exemple, pour nos cépages les moins sensibles, comme le pinot noir et le chardonnay, deux passages d’Armicarb suffisent. Pour les parcelles les plus sensibles en pinot meunier, nous avons opté, en plus, pour un effeuillage en vert afin de réduire les risques », explique Kévin Brunel. Depuis un an, le responsable vignoble complète son arsenal d’outils anti-botrytis avec une solution à base de bacillus Amyloliquefaciens (soucheFZB24), appliquée en général une fois par an, juste avant la fermeture de la grappe. « Le recours à des micro-organismes oblige à être très attentifs aux conditions de préparation, en particulier la température. Cela demande davantage d’anticipation que des produits conventionnels. Néanmoins, en œnologie, nous sommes habitués à travailler avec des levures, le coup de main se prend donc assez rapidement ». Enfin, pour ce qui est du mildiou, le domaine utilisait jusqu’à encore récemment le métirame. « Cet anti-mildiou multisite a vu son autorisation reportée jusqu’au 31 janvier 2024, mais pourrait bien être interdit dans un futur proche. C’est pourquoi nous cherchons des alternatives. Aujourd’hui, le traitement s’opère à l’aide de phosphonate de potassium (LBG 01F34), un stimulateur de défense naturel, positionné en début de campagne, ainsi que sur la post-floraison si besoin ».
La démarche initiée par le Château de Boursault l’illustre très bien : opter pour des produits de biocontrôle ne se traduit pas simplement par le remplacement des produits conventionnels. Cela implique également de faire évoluer certains itinéraires techniques et des habitudes. « Avec une efficacité parfois moindre que les produits conventionnels, nous n’avons pas le droit à l’erreur avec les produits de biocontrôle. Nous avons formé nos équipes pour reconnaître le plus tôt possible les signes de maladie. Une station météo connectée sur le domaine ainsi que des OAD nous aident également à identifier les conditions à risque liées à la prolifération des pathogènes. Enfin, l’efficacité des produits de biocontrôle dépend fortement des conditions d’application. Nous avons investi dans un nouveau pulvérisateur, à jet porté, qui maximise la surface d’application des produits, même en début de saison, lorsque le feuillage n’est pas encore très dense », souligne Kévin Brunel.
L’adoption de ces pratiques s’est faite progressivement, par la mise en place d’essais. Pour aller encore plus loin dans cette approche, le Champagne Château de Boursault a rejoint le réseau de « Ferme biosolutions », porté par la société française De Sangosse. En rejoignant le réseau, le domaine cherche à réduire encore davantage son IFT. Il s’est engagé pendant trois ans à mener un itinéraire technique alliant différentes biosolutions (biocontrôle, biostimulant, adjuvant) sur 4,5 ha, afin de comparer avec son itinéraire technique traditionnel. Parmi les différences avec l’itinéraire classique, celui conduit dans l’essai comprend, en début de campagne, un à deux passages biocontrôle associé à un produit de contact (cuivre). Au cours de la floraison, l’usage de produits phytosanitaires s’opère à dose réduite grâce au recours d’un adjuvant, le 846. Pour la fin de campagne, les traitements sont les mêmes que sur le reste du domaine, à savoir du 100% biocontrôle. Si le « zéro chimie » s’avère encore compliqué à atteindre, mises bout à bout, toutes ces démarches permettent au domaine de mener une lutte majoritairement en biocontrôle, notamment en début et fin de campagne.
« Depuis un an, nous expérimentons différents biostimulants sur 4 ha du domaine. Pour diminuer et optimiser notre fertilisation, nous travaillons avec des produits agissant sur le sol et la rhizosphère, ainsi que des bactéries qui favorisent l’assimilation des nutriments. Pour mieux lutter contre les stress abiotiques, nous cherchons à envoyer à la plante les signaux lui permettant de réagir au bon moment. Nous utilisons également des produits à base de silice, pour lutter contre la sécheresse. En 2019, l’intégralité de nos parcelles avaient reçu un apport : la différence était flagrante avec les parcelles environnantes », assure Kévin Brunel.
Julia Landrieu