Une décision récente de la cour européenne de justice interdit d’utiliser des mots comme « fromage », « yaourt » ou « beurre » pour des produits à base végétale, sans lait. Seuls des produits lactés peuvent être ainsi identifiés. Derrière cette décision, de très nombreux enjeux, économiques et de société, d’information des consommateurs et de santé publique.
La septième chambre de la cour de justice européenne a rendu ce 14 juin 2017 un arrêt qui ferait sourire n’importe quel académicien : oui, un fromage est à base de lait… Si, comme moi, vous compulsez un bon vieux Larousse de la fin des années 1990, vous lirez cette définition qui parait évidente pour le mot fromage : « aliment produit par coagulation du lait, égouttage du caillé ainsi obtenu et, éventuellement, affinage ». Pour autant, avec le temps et nos évolutions sociétales, on le sait, certains mots sont utilisés avec des sens nouveaux. C’est ainsi que les « fromages végétaux » sont apparus, ou les « beurres de tofu », et bien d’autres, pour évoquer des produits n’ayant pas le moindre milligramme de lait dans leurs compositions. Et il a donc fallu une décision de justice pour donner raison, plus qu’aux académiciens, à des acteurs économiques impliqués dans les produits lactés.
Le sujet est bien plus complexe qu’il n’y parait. La cour de justice européenne a, au commencement, été saisie pour des motifs économiques : l’utilisation des mots « fromage » ou « beurre » pour des produits non lactés ouvre une concurrence nouvelle et porte donc préjudice aux acteurs traditionnels de la commercialisation des produits dérivés du lait. Mais au-delà, il existe aussi une portée sur l’information des consommateurs dans l’affaire, et une autre portée de santé publique.
Information des consommateurs et santé publique : l’actualité offre, malheureusement, une illustration dramatique avec, en Belgique, des parents qui ont vu leur bébé décéder après l’avoir nourri au lait végétal. L’appellation « lait » du produit pose une vraie question, car elle est directement liée à l’origine de la confusion de ces parents sur les besoins alimentaires de l’enfant pour sa croissance. Quelles que soient les « croyances » des uns et des autres sur le sujet, l’homme n’est pas devenu « naturellement » végétarien, et les produits de substitution, s’il en existe de plus en plus pour l’adulte, doivent toujours démontrer leur efficacité, au minimum, sur la croissance de l’enfant. Or, l’utilisation de mots comme « lait », « fromage », « yaourt » ou « beurre » porte à confusion, et on peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas pour cela que les parents de ce sordide fait divers n’ont été condamnés qu’à une peine avec sursis. Car, dans l’affaire, ils ne sont pas les seuls responsables : la commercialisation d’un produit appelé « lait » végétal est susceptible de les avoir induit en erreur.
En termes économiques, la reconnaissance des beurres et fromages comme des produits lactés est essentielle pour toute la filière laitière. « Je suis d’ailleurs surpris que l’arrêt n’ait été rendu qu’après une demande émanant de l’Allemagne, commente Thierry Merret, président de la Fdsea du Finistère (principal syndicat agricole dans une zone où l’élevage est important). Car nous avons tout intérêt, nous, en France, à défendre nos produits laitiers », en particulier dans un contexte de crise laitière qui perdure tant que de nombreuses manifestations viennent encore d’être organisées pour réclamer un meilleur prix au producteur.
Au niveau de la Fdsea du Finistère justement, on va même plus loin, comme le démontre ce Twitt :
3/3 A quand une décision similaire pour les steaks de #soja? Le steak c’est de la #viande! @T_MERRET @DoarLe @FNSEA |https://t.co/QY5VKYSfTh
— FDSEA du Finistère (@FDSEA_Finistere) 14 juin 2017
Et effectivement, si le fromage est au lait, pourquoi le steak ne pourrait-il pas être uniquement à la viande ? Le même « bon vieux Larousse » compulsé plus haut nous livre la définition « voir bifteck » pour « steak », et « tranche de boeuf à griller » à « bifteck ». En quoi un steak peut-il être sans boeuf ? Pourtant, en ce moment, il vous suffit d’allumer votre téléviseur et vous verrez en boucle une page de publicité vantant les mérites d’un « steak végétal »…
Là aussi, les enjeux économiques sont évidents. Le fait que des plages horaires de premier ordre aient été achetées pour communiquer à la télévision montre combien ceux qui veulent économiquement surfer sur la vague végane sont offensifs sur le sujet. Mais là encore, ont-ils le droit de le faire sans exercer une forme de concurrence déloyale par l’utilisation d’un vocabulaire « en principe » réservé à la viande ? Et, de la même manière que pour les fromages, beurres et autres, le consommateur n’est-il pas spolié de l’information qu’il est en droit d’attendre de ces achats avec de telles appellations ?
Aujourd’hui, les produits dérivés du lait ont recouvré leur identité. La protection du consommateur est à nouveau assurée, ce qui n’empêchera pas les substituts végétaux d’être commercialisés pour ceux qui les souhaitent, mais avec une sémantique dédiée. Y aura-t-il un combat similaire pour la viande ? Et qui pourrait le mener ? En France, jusqu’à présent, nos industries les plus concernées sont restées étrangement passives…
Notre illustration ci-dessous montre un produit sans lait, à base de tofu, qui a l’aparence du fromage, et qui n’a donc plus le droit de s’appeler ainsi désormais. Source Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/81362839.