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« Récupérons nos terres », ces incroyables opérations paysannes qui peuvent mal tourner

Là où la pression foncière est la plus forte, en zones périurbaines et en particulier en Ile-de-France, les soucis s’accumulent pour les agriculteurs : dépôts sauvages dans les champs, hangars vandalisés régulièrement… Mais le pire pour eux est sans doute de voir leurs terres accaparées par un camp de gens du voyage. Pour les déloger et donc pouvoir travailler, devant l’incapacité des pouvoirs publics à faire respecter la propriété privée, ils se sont organisés et procèdent à plusieurs à des opérations « récupérons nos terres ». Lesquelles peuvent présenter des risques…

Ici, une trentaine de pneus usagers balancés au milieu du champ. Là, un dépôt de gravas. Plus loin, des tessons de bouteilles. Plus rarement, mais ça arrive, une rave party organisée quelques heures sur les semis, juste de le temps d’obliger à nettoyer (il faudrait presque une entreprise spécialisée…) puis à ressemer. Sur la terre, des sillons qui n’ont rien d’agricoles, creusés par les roues des motos de quelques « jeunes » qui se sont livrés à un véritable rodéo…

Toutes ces avanies font partie du quotidien des agriculteurs des zones périurbaines. Plus on est proche des villes, plus le nombre de personnes irrespectueuses grandit. Le champ agricole ressemble si souvent à un exutoire… Les agriculteurs subissent, déposent des plaintes, enfin, ceux qui en déposent encore… Car derrière, c’est l’indifférence générale. Les cas où ces dépôts de plaintes ne conduisent à rien sont de plus en plus nombreux.

Un cas de figure est symptomatique de l’abandon auquel sont soumis les agriculteurs des zones périurbaines : celui où un convoi de caravanes de gens du voyage envahit un champ. En 2013 déjà, j’étais allé sur le terrain près de Houdan dans les Yvelines pour assister à un regroupement d’agriculteurs (en l’occurrence soutenus par des élus locaux) prenant en main eux-mêmes l’évacuation des envahisseurs. Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer. Jamais les gendarmes n’ont reçu l’ordre de déloger des caravanes des champs. Le plus souvent, des solutions alternatives existent, puisque les communes dépassant 5000 habitants ont l’obligation légale de proposer une aire d’accueil. Ces solutions ne sont parfois distantes que de quelques kilomètres… Oui, mais voilà, l’herbe est plus verte sur un champ aménagé et entretenu, sans parler des « à-côtés »…

Dernier exemple en date, sur la commune de Le Coudray-Montceau

Tout récemment, le dimanche 1er septembre 2019, 30 à 50 caravanes ont envahi un champ agricole sur la commune de Le Coudray-Montceaux, dans l’Essonne (au sud-est de l’aéroport d’Orly). Quand l’agriculteur s’est rendu compte de cette intrusion, il a constaté que les caravanes s’étaient arrimées à un point d’arrivée d’eau, qui lui sert pour irriguer ses cultures (en d’autres termes, il se faisait voler son eau). Et dans la foulée, plusieurs gens du voyage étaient en route vers son hangar dans l’intention, cette fois, de se brancher à l’électricité… Il n’a eu que le temps de se mettre en travers. Trop seul pour tenir, il a prévenu ses voisins, son syndicat. En l’occurrence, la Fdsea et les JA locaux. C’est alors, dès le lendemain (après une nuit de veille donc), que s’est mise en place la fameuse opération « récupérons nos terres ».

Celle-ci consiste à épandre du fumier ou autres (du moment que c’est nauséabond) au plus près des caravanes, de façon à rendre le séjour si désagréable qu’il ne reste plus qu’à partir. En plusieurs années de conflits avec ces occupants indésirables, c’est la seule « méthode » (aussi invraisemblable qu’elle paraisse)  qui a fait ses preuves. On évite ainsi, en principe, les altercations physiques… Mais ce qu’il vient de se passer au Coudray-Montceaux montre bien les limites de l’exercice.

Car certains parmi les gens du voyage ont sorti des armes. Cinq coups de feu ont été tirés pour empêcher les agriculteurs d’effectuer l’épandage, et évidemment, ces derniers n’ont pas risqué leurs vies et ont arrêté. Apparemment, les coups de feu en question ont été tirés en l’air. Il n’empêche, la menace était forte. Les gendarmes sont venus. D’après des sources proches du dossier, la capitaine de gendarmerie pensait alors perquisitionner les caravanes et arrêter toutes les personnes en possession d’armes. Seulement le préfet en a décidé autrement. Donnant l’ordre de ne pas intervenir. Préférant laisser pourrir la situation, et donc risquer un drame. Les agriculteurs ne l’ont pas entendu de cette oreille, ils ont été bloquer l’autoroute la plus proche, l’A6. Revendication : que le préfet fasse partir, de la manière qu’il souhaite, les gens du voyage du champ agricole.

Au passage, signale Nicolas Galpin, président de la Fdsea locale de Corbeil-Essonne, pendant le blocage de l’autoroute, un automobiliste excédé a sorti une arme. Il a aussitôt été appréhendé par les forces de l’ordre. « Ils sont entraînés à cela, ils peuvent intervenir contre des armes, ce n’est donc pas par sécurité qu’ils n’ont pas arrêté ceux qui ont tiré en l’air dans le champ… » Tout simplement, les ordres n’étaient pas les mêmes…

Finalement, l’opération a porté ses fruits, le préfet a trouvé un terrain d’entente avec les gens du voyage, les faisant déménager à quelques centaines de mètres de là (avec probablement d’autres problèmes, mais qui ne regardaient plus les agriculteurs). Mais il n’est intervenu qu’à partir du moment où l’autoroute était bloquée, et donc où l’ordre public général était remis en cause. Tant que le problème était circonscris au champ, non seulement il n’a pas levé le petit doigt, mais il a empêché les forces de l’ordre d’appréhender ceux qui avaient tiré.

Va-t-on aller jusqu’au drame ?

Cet exemple du Coudray-Montceau est à l’origine de plusieurs motifs d’inquiétude. Préférer ne pas régler un problème quand il ne concerne « que » les agriculteurs (en l’occurrence, ou qu’une catégorie de personnes en général), de la part d’un préfet, ce n’est jamais sain. Car chacun sait que les préfets n’ont qu’une marge d’initiative très étroite, ils sont aux ordres du pouvoir, en l’occurrence en termes de hiérarchie directe du ministère de l’Intérieur. La crainte d’une communication néfaste en cas de prises de vues d’une intervention des forces de l’ordre auprès des gens du voyage l’a emporté sur la volonté de régler un problème de société de plus en plus récurrent, sur la volonté de faire respecter la propriété privée, de faire respecter le droit au travail des agriculteurs.

Pour ne pas être accusés de stigmatiser les gens du voyage (après, tout dépend de la façon dont on règle les problèmes, faire respecter nos lois ce n’est pas forcément non plus s’en prendre avec violence aux contrevenants…), nos gouvernants préfèrent délaisser franchement nos agriculteurs, par ailleurs déjà tracassés en zones périurbaines comme je vous le décrivais plus haut (sans parler des autres problèmes, prix, crises, etc.).

Chacun aura bien compris à la lecture de cet article qu’il ne s’agit pas de remettre en cause la vie de Bohème menée par les gens du voyage, mais d’espérer qu’un minimum de dialogues et de négociations s’ouvrent pour que personne n’ait à pâtir du mode de vie de l’autre. Alors qu’en attendant que deux camps opposés finissent par s’affronter, on ne va que dans une direction, celle du drame…


Ci-dessous, photo prise à le Coudray-Montceau le lundi 2 septembre (crédit photo : D.R.).

Ci-dessous, zoom sur la voiture de gendarmerie (D.R.).

Un peu plus loin, un autre jour (sans lien cette fois avec les gens du voyage), une montagne de pneus usagers ont été déversés dans un champ…

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