Les producteurs de céréales, père et fils, Jean et Pierre Niesner ont créé la société Power the nature et développé leur propre biostimulant certifié CE. Validé par des instituts techniques publics dans des revues scientifiques, ce produit unique en son genre à base de roche micronisée est le fruit d’un esprit d’entreprise chevillé au corps.
L’histoire de la famille Niesner, est d’abord celle de négociants en grains dans cette région de Moselle marquée par un passé de toutes petites exploitations qui faisaient la part belle aux céréales de printemps dans un souci de simplification du travail. Un passé encore bien visible sur ce territoire où il s’est maintenu de petites parcelles bordées de haies et de grands arbres avec une biodiversité remarquable. « Ici, les agriculteurs étaient très souvent doubles actifs avec un emploi à la mine. Notre activité de négoce des grains avait tout son sens pour massifier l’offre de cette multitude d’apporteurs. Tout était alors collecté dans des sacs puis petit à petit l’activité de notre négoce familial s’est modernisée et développée jusqu’à regrouper trois silos alentours. Jusqu’en 2024 nous avons continué à collecter des céréales en prestation après avoir vendu l’activité à la coopérative locale », rembobine Jean Niesner aujourd’hui à la tête d’une exploitation de 180 ha avec son fils Pierre à Rémering en Moselle, à proximité de la frontière franco-allemande. Lorsque Jean rejoint l’affaire familiale en 1980, celle-ci ne comporte pas encore d’exploitation agricole.
« J’étais technico-commercial pour l’agrofourniture au sein de l’entreprise. Je m’intéressais déjà beaucoup aux solutions alternatives aux produits conventionnels et j’ai assez vite ressenti le besoin de reprendre des terres pour mettre ces solutions à l’épreuve du terrain, explique Jean. Alors j’ai commencé en reprenant 15 ha à un de ces agriculteurs double actif qui arrêtait son activité. À la suite de la fermeture de la mine, d’autres sont venus frapper à la porte pour céder leurs terres car on se connaissait bien et qu’ils nous apportaient les céréales. Mais au départ la volonté de créer cette exploitation était une volonté purement expérimentale. Avec toujours l’idée d’apporter des nouvelles techniques aux agriculteurs qui soient viables, éprouvées sur le terrain et applicables. En tant que commercial j’avais rapidement compris qu’il fallait des solutions pratiques. Le fait de devenir agriculteur m’a permis de l’intégrer mieux encore. Je ne voulais pas simplement vendre. Je voulais aussi toujours innover », résume-t-il. « Mon père avait été l’un des premiers à implanter le tournesol dans la région et à associer des ruches dans les cultures de colza par exemple« , complète Pierre.
Une volonté d’innovation poussée également par le potentiel de revenu céréalier limité dans le secteur avec des limons superficiels qui plafonnent rapidement à 6 t/ha de rendement en blé. « Cette situation nous a conduit à nous investir à fond dans un gros projet de valorisation et de mise en place de la culture du chanvre en 2005. Nous avons ainsi participé à créer la structure « les chanvriers de l’Est ». Nous voulions sortir d’un schéma où les prix étaient imposés vers un schéma de prix construits fixés à l’avance avec partage de la valeur, souligne Jean. Nous avons ainsi réussi à fédérer jusqu’à 800 ha et 40 agriculteurs de 2005 à 2015 autour d’une usine de défibrage innovante (en comparaison des technologies à marteau) et qui était réputée pour sa fibre supérieurement résistante ». En revanche, le manque de débouché pour la chènevotte co-produit de la fibre de chanvre, a mis à mal le modèle économique. C’est à cette période que Pierre revient sur la ferme. Après avoir fait des études de maths, de physique et de chimie en classe préparatoire il a entre-temps rejoint une école d’ingénieurs dans le bâtiment avant de piloter des programmes dans le domaine de la construction. « Pendant ces six années passées à travailler dans le secteur, j’ai appris énormément en termes de conduite de projet », souligne-t-il. « C’était important qu’il puisse découvrir d’autres choses que la ferme. Cela lui a donné énormément d’assurance et de confiance », assure le père et associé du jeune homme.
Avec la fin du projet chanvre en 2015 c’est là que nos deux agriculteurs se lancent dans l’aventure des biostimulants. « Nous travaillions déjà avec de la zéolite pour améliorer la capacité d’échange cationique (CEC) dans nos sols sableux, relate Pierre Niesner . Nous l’appliquions à 600 kilos hectares en tant qu’amendement. Puis nous avons l’intuition qu’il serait intéressant d’en savoir plus et nous nous sommes plongés dans la littérature scientifique tout en testant en parallèle de nouvelles formes ». Le produit est en effet connu dans certains secteurs industriels pour ses propriétés technologiques par sa forme structurale notamment. Il est utilisé dans l’industrie pour le cracking du pétrole. « De notre côté, nous avons eu l’idée de l’associer à des cations calcium, magnésium et potassium pour créer une synergie. Nous avons testé dans nos champs des formulations micronisées avec des gains de rendement de 5 à 10 quintaux par ha en céréales, souligne Pierre. Ces bons résultats nous ont encouragé à continuer et à persévérer . Et très vite nous avons cherché à mener des partenariats scientifiques et techniques pour pouvoir partager les coûts liés, ajoute Jean. Toute ma carrière où je vendais des produits pour les grandes cultures j’ai voulu aller au fond des choses et comprendre comment cela marchait. C’est pour ça que nous avons très vite voulu obtenir la validation scientifique de notre produit. Nous aurions pu nous en passer, mais ce n’est pas le choix que nous avons fait car en tant qu’agriculteurs on voit trop de personnes débarquer dans nos fermes avec des produits miracles ».
Démarre alors pour les agriculteurs un long travail de mise en place de partenariats scientifiques avec les instituts techniques qu’il est bien difficile de convaincre au départ. « Nous avons d’abord très vite été considérés comme des commerciaux, déplore Pierre Niesner, mais nous avons fini par y arriver. Nous avons travaillé ainsi avec RITTMO (Centre de Recherche & Développement pour les matières fertilisantes et la qualité des agrosystèmes à Colmar NDLR), puis sommes parvenus à nouer deux partenariats avec des institutions agronomiques publiques en Belgique et en Suisse. Après environ quatre années d’essais, sont tombées les publications scientifiques validées par des pairs fin 2023 et juin 2024, qui soulignent l’efficacité de notre solution ».
Le mode d’action notamment est mieux connu. Appliqué en foliaire, le FertiRoc pénètre dans la plante et provoque une amélioration de la photosynthèse et de la production des exsudats racinaires. Le « Journal of plant nutrition » fait d’ailleurs le lien avec un doublement de l’activité enzymatique du sol par l’activation du microbiote qui induit aussi une hausse de la biomasse racinaire et donc une amélioration de la prospection du sol. La teneur en azote des racines est améliorée ainsi que la teneur en azote dans les produits finis avec aussi une meilleure teneur en phosphore et en potassium dans les grains. En céréales, les apports d’azote peuvent ainsi être réduits d’environ 25 % et la vigueur tout entière de la plante est améliorée.
« C’est une grande satisfaction pour nous de voir que notre produit est reconnu dans des journaux à comité de lecture, validé par des pairs, certifiés sans conflits d’intérêts. C’est le fruit d’un travail de presque dix ans », souffle Jean. Les agriculteurs ont aussi obtenu la reconnaissance d’un brevet européen qui souligne le caractère innovant de leur formule. De fait le segment des roches micronisées est un segment jusqu’ici peu exploité par l’industrie des biostimulants qui s’est concentrée ces dernières années sur des produits comme les extraits d’algues, les acides aminés, les bactéries ou les acides humiques. En parallèle, les agriculteurs ont obtenu la certification CE biostimulant en 2024 pour leur formule, ce qui ajoute de la crédibilité sur les allégations d’amélioration de la nutrition sur le plan commercial.
Aujourd’hui les deux agriculteurs père et fils démarrent d’ailleurs la phase de commercialisation avec le choix de passer par la distribution directement sans créer d’équipe de vente dédiée ce qui aurait nécessité de lever des fonds comme l’ont fait d’autres start-up dans les biostimulants. Les deux entrepreneurs sont déjà parvenus à se faire référencer au sein de la centrale française des négoces Actura après deux ans d’essai dans les fermes du réseau Etamines « qui ont confirmé l’intérêt du produit en déplafonnement des rendements ». Une année à la météorologie compliquée comme 2024, l’application du FertiRoc semble avoir apporté un plus dans la gestion des maladies et d’amélioration des rendements céréaliers, comme a pu par exemple en témoigner un agriculteur mosellan Patrick Steinmetz.
« Le défi de la formulation »
« Nous avons réalisé de multiples essais de formulation car il existe cinquante types naturels différents de zéolites et cent cinquante types de zéolite de synthèse. La formulation du produit a été l’un des plus grands défis pour nous. Tout un travail de laboratoire a aussi été mené afin de pouvoir mettre en suspension la solution et qu’elle soit pulvérisable simplement », retrace Pierre. « En tant que commercial en agrofourniture j’avais eu trop de problèmes avec des produits alternatifs qui n’étaient pas adaptés au terrain, complète Jean Niesner. J’ai donc mis un point d’honneur à ce que le produit soit simple d’utilisation et qu’il ne bouche pas les buses. Ce n’était pas une mince affaire sachant que le produit en lui-même c’est de la roche. C’est donc un produit non soluble ».
Alexis Dufumier