Dans le Lauragais en Occitanie, Alain Marty a fait le choix de combiner depuis 2017 désherbages chimique et mécanique sur certaines parcelles de tournesol. L’exploitant y trouve un intérêt autant sur le plan agronomique qu’économique.
Associer désherbages chimique et mécanique peut sembler banal à première approche. Mais dans l’Aude, Alain Marty a poussé la technique à son paroxysme. Il n’est pas question ici de compléter le programme de désherbage classique par un binage comme il serait facile de l’imaginer à premier abord. « La bineuse, c’est une action de rattrapage. Chez Alain Marty le désherbage mécanique est réalisé en stade précoce avec une herse étrille et une houe rotative et permet de réduire le programme chimique » détaille Loïc Doussat, conseiller à la chambre d’agriculture. Dans le cadre du groupe Dephy Grandes Cultures de l’Aude, il a accompagné le producteur de tournesol dans la mise en place de cette méthode de désherbage mixte.
Le projet consistait initialement à désherber l’ensemble des parcelles en mécanique. Mais l’expérience du producteur a rapidement démontré qu’une pratique réalisable sur 1 ha ne l’était pas toujours sur une grande surface. Le temps de travail nécessaire sur une courte période pour herser les parcelles n’était pas absorbable sur l’ensemble de la sole de tournesol. D’autant plus qu’en désherbage mécanique, l’efficacité du passage se joue à 24 h près. Résultat, les derniers hectares n’étaient pas désherbés dans de bonnes conditions. « Avec le pulvérisateur, il faut 10 min pour faire 1 ha alors qu’avec la herse, c’est 1 à 2 heures. Ramener sur 60 ha, ça ne passe pas » souligne le conseiller.
Se familiariser avec les outils
Avant de mettre au point cette approche de désherbage mixte, Loïc Doussat insiste sur le cheminement opéré par le producteur sur plusieurs années pour prendre en main les outils de désherbage mécanique. « Utiliser une herse étrille, ça ne consiste pas à atteler l’outil et à partir au champ. C’est un équipement qui peut fonctionner de 2 à 20 km/h. Il faut savoir à quel stade passer selon le développement de la culture, mais aussi des adventices. La question du réglage de l’agressivité des dents est, elle aussi, importante » souligne-t-il. Le conseiller audois évoque également le recul à prendre nécessairement par l’utilisateur afin d’évaluer pour chaque passage et sur chaque parcelle quel est l’outil le plus adapté.
« Pour autant, cela plaisait bien au producteur d’intervenir en mécanique. Nous nous sommes donc demandé comment organiser le désherbage sur la sole de tournesol pour garder la herse tout en garantissant des conditions de désherbage optimales pour l’ensemble de la surface » se rappelle Loïc Doussat. Le désherbage mixte, mais uniquement sur une partie des surfaces, s’impose alors comme une solution aux deux hommes. « Les parcelles les plus difficiles à travailler en termes de forme ainsi que les plus tardives à ressuyer ont été sorties du système en 100 % mécanique. Le producteur a également exclu le parcellaire le plus éloigné. Résultat, aujourd’hui, la moitié des parcelles sont désherbées en 100 % mécanique et l’autre moitié a un itinéraire mixte entre chimique et mécanique » calcule le conseiller.
Après plusieurs essais, menés notamment avec Matthieu Abella (Terres Inovia) et Alain Rodriguez (ACTA), Alain Marty et Loïc Doussat ont trouvé la combinaison idéale. Les parcelles en désherbage mixte sont d’abord traitées avec la matière active pendiméthaline (type Prowl 400). Si ce traitement ne permet pas d’éliminer toutes les adventices, il ralentit le développement de l’ensemble de la flore. « C’est une base qui a besoin d’être complétée. Et c’est la herse étrille qui vient jouer ce rôle de complément » assure Loïc Doussat.
En retardant le développement des adventices, ce traitement permet surtout d’ouvrir des fenêtres d’intervention plus larges pour le passage en désherbage mécanique et donne de la souplesse au producteur. En parallèle, il peut se concentrer sur les parcelles gérées uniquement en désherbage mécanique et s’assurer de passer sur les créneaux idéals.
Pour les itinéraires en tout mécanique, Alain Marty peut réaliser jusqu’à 4 passages de herse étrille. Le premier quelques jours avant le semis et le second le lendemain de l’implantation de la culture. La troisième intervention est réalisée à faible allure lorsque le tournesol atteint le stade deux feuilles. Enfin, le producteur revient dans la parcelle lorsque le tournesol est au stade 4 feuilles. « C’est sur les deux derniers passages que la houe rotative peut être utilisée. Elle a l’avantage d’agir sur un sol battant, par contre, elle est moins agressive que la herse étrille sur les adventices » relève l’animateur du groupe Dephy.
Dans l’itinéraire mixte, seuls deux passages de herse étrille sont nécessaires. Les essais ont montré que le hersage n’avait pas d’effet sur l’action de la pendiméthaline. Au contraire même, il permettrait d’enfouir le produit lors des années sèches afin d’améliorer l’efficacité. « La herse étrille ré-active le désherbant en passant » souligne également Loïc Doussat.
Attention, si cet itinéraire fonctionne avec la Pendiméthaline, ce n’est pas le cas des produits agissant en formant un film sur le sol comme l’aclonifène (type challenge 600). Dans cette configuration, la herse étrille a un effet contre-productif sur le produit.
Un projet individuel porté par le collectif
Si Alain Marty est l’un des seuls de son territoire à pratiquer couramment le désherbage mixte, c’est bien le travail réalisé par l’ensemble des exploitants du groupe Dephy Grandes Cultures de l’Aude qui lui a permis d’en arriver à ce résultat. « Le désherbage mécanique, nous en parlons depuis 20 ans à la chambre, mais nous nous sommes aperçus que les journées de démonstration avaient leur limite. En effet, immédiatement après le passage d’une herse étrille, la parcelle donne plus l’impression d’avoir été détruite que d’être désherbée » se souvient Loïc Doussat. Il décide donc avec le groupe Dephy d’adopter une autre approche. « Chaque producteur a réalisé des essais sur des petites surfaces en 100 % désherbage mécanique. Suite aux résultats obtenus, une commande de 20 matériels a été réalisée par le groupe, dont la herse étrille et la houe rotative d’Alain Marty ».
Au-delà de donner de la souplesse au producteur pour optimiser le désherbage mécanique, l’itinéraire mixte a un réel intérêt pour le producteur en termes économique. Selon les chiffres fournis par Loïc Doussat, un désherbage chimique complet représente un coût de 100 €/ha pour les produits, auquel il faut ajouter 30 €/ha de coût de mécanisation. En mixte, le coût d’un passage de pendiméthaline (type Prowl 400) est chiffré par Terre Inovia à 30 €/ha, auquel il faut ajouter 50 €/ha de coût de mécanisation pour les passages de pulvérisateurs et de herse étrille. Soit un différentiel de 20 €/ha.
Pour combiner désherbage mécanique et chimique, Alain Marty recourt également aux VTH. Pour cela, il réalise deux passages de herse étrille sur les jeunes stades puis un traitement en culture pour détruire les adventices. Une approche pour laquelle Loïc Doussat invite à la plus grande prudence et qu’il ne recommande que dans de très rares cas. « Le problème, ce sont les années où le désherbage mécanique permet de garder la parcelle propre à lui seul. Les producteurs sont alors tentés, à juste titre sur le volet économique, de ne pas réaliser le traitement. Mais il y a alors un risque de croisement des VTH avec les tournesols sauvages et l’apparition rapidement de résistance» décrit-il. Pour le conseiller de la chambre d’agriculture, les VTH sont à réserver pour les parcelles à problème de datura, chardon ou xanthium. Le producteur peut ainsi détruire la flore classique en mécanique et concentrer le traitement chimique sur les périodes les plus propices à la gestion de ces trois adventices.
Le binage pour les chardons
S’il n’exclut pas un passage sur l’ensemble de la parcelle de manière ponctuelle, Loïc Doussat associe plutôt le binage à une méthode de rattrapage sur des zones ciblées. « Si les passages de herse étrille et de houe rotative ont été bien gérés jusqu’à 4 feuilles, la bineuse ne sera utile que sur les ronds de chardon » assure-t-il.
Timothée Legrand