Entre le Parlement et la Commission, c’est indéniable, l’influence française est en baisse dans les sphères décisionnelles de l’Europe. Ce qui signifie un risque accru de voir des dossiers recalés, avec donc à l’arrivée un décalage à prévoir entre les règlements européens et les besoins des agriculteurs français.
Imaginez qu’on ait un jour le droit de mélanger du rouge et du blanc pour faire du vin rosé. Ou que nous perdions quantité d’emplois en France dans une importante filière agroindustrielle, faute d’avoir su la défendre. Ou que l’un ou l’autre des secteurs productifs agricoles français soit mis en difficulté par les accords transatlantiques… Quelques exemples de ce qui nous pend au nez, avec comme première cause un lobbying européen réduit à sa plus simple expression pour la France.
Vous le savez en effet, l’agriculture (et ses dérivés agroindustriels et agroalimentaires), est régie avant tout par des règlements européens. Avant d’être adoptés, ceux-ci font l’objet de débats, en trois lieux : le Parlement européen, la Commission européenne, et le conseil des ministres de l’Agriculture.
Or, que voit-on aujourd’hui ? Côté Parlement européen. Un nombre de députés européens français appartenant au parti majoritaire en Europe (le PPE, où sont inscrits l’Ump et l’Udi) réduit. Pire, le parti qui a le plus de députés européens en France (le FN) n’a pas réussi à trouver suffisamment de partenaires dans d’autres pays pour constituer un groupe parlementaire, ce qui signifie que ses représentants ne sont pas, ou peu, audibles dans l’hémicycle strasbourgeois : sur les 52 non inscrits du Parlement européen, 23 viennent du Front National… Non inscrits, en l’occurrence, cela veut dire pas de moyen pour faire valoir un point de vue, que, de toutes façons, personne ne vous demande…
Côté Commission. Pour la première fois, aucun Français ne figure dans le cabinet du commissaire européen à l’Agriculture. L’Irlandais Paul Hogan, qui a pris ses fonctions fin 2014, est ainsi entouré de 17 personnes, et pas une, pas même une assistante, n’est française ! Oh bien sûr, cela ne signifie pas qu’il est impossible de s’adresser à la Commission européenne avec des dossiers agricoles français. Mais clairement que les lobbyistes sont obligés d’intensifier leurs efforts s’ils veulent obtenir les bons rendez-vous d’abord, et une oreille attentive ensuite.
J’ai rencontré Michel Barnier, lors du dernier salon de l’Agriculture et l’ai interrogé sur le sujet. Michel Barnier est particulièrement intéressant pour apprécier la situation, puisqu’il fut ministre français de l’Agriculture (2007-2009), et plus récemment membre de la Commission européenne, en tant que commissaire au marché intérieur aux services (2010-2014). Or Michel Barnier m’a dit : « Je ne peux pas préjuger de ce que feront des cabinets qui viennent d’être nommés. Mais il y a un recul de l’influence française… » En d’autres termes, les membres du cabinet de la commission agriculture feront bien sûr leur job, consistant à répondre aux lobbyistes de tous les pays. Mais ce n’est pour autant que les dossiers français passeront avec la même priorité qu’avec un interlocuteur dédié…
A noter d’ailleurs que l’agriculture n’est pas la seule commission sans français à son cabinet : si 14 Français représentent notre pays dans les différents cabinets, aucun ne figure dans la commission à l’aide au développement, ni celle des affaires sociales, ni celle de l’énergie et du climat.
Comment en est-on arrivés à cette situation, aucun Français, pour la première fois, au cabinet du commissaire à l’Agriculture ? D’après différentes sources, il semble pourtant que les candidats ne manquaient pas. Mais qu’ils avaient tous des « défauts » que l’on appréciera : certains n’appartenaient pas à notre majorité présidentielle et se seraient ainsi fait « flinguer » ; d’autres, plus politiquement corrects, n’auraient pas eu les compétences requises lors de l’examen de passage…
Mais quelque part, peu importe, seul le résultat compte : notre représentation au sein de deux des trois piliers décisionnels de l’Europe laisse à désirer. Et le troisième pilier (le conseil des ministres de l’agriculture de tous les pays européens) arrive souvent après, une fois que les deux premiers ont fini par rapprocher leurs opinions, et donc ne remet pas en cause si facilement que cela ce qui est déjà proche d’être acté. Cela signifie donc que quantité de sujets vont être tranchés au niveau européen sans nous. Même si l’on peut modérer le propos, j’ai aussi croisé certains lobbyistes qui se sont vantés d’être suffisamment connus dans la place pour passer outre ce désagrément. Mais malgré tout minoritaires parmi les personnes rencontrées avant l’écriture de cet article. Par ailleurs, certains sont d’ores et déjà conscients du problème et réagissent en conséquence (nouveaux réseaux, plaquettes expliquant les revendications désormais systématiquement rédigées en anglais…). Mais savent que ce sera plus dur, et donc qu’ils auront gain de cause moins souvent qu’avant.
Les politiques de tous bords auront beau jeu alors d’estimer que « c’est la faute à l’Europe », alors que, en ce qui concerne notre gouvernement actuel au premier chef, ce sont eux qui se sont désintéressés de pouvoir formuler une opinion française forte. D’ici quelques années, les agriculteurs français feront les comptes, ils constateront que bien des dossiers décidés au niveau européen ne sont pas conformes à leurs attentes, et ils pourraient alors voter, encore plus qu’aujourd’hui, pour un parti anti-européen. Mais à qui la faute ? Pour une part la leur, puisque le vote agricole a fait partie de ceux qui ont favorisé l’arrivée massive de députés européens FN, finalement presque « inutiles » compte-tenu du fonctionnement du Parlement (mais qui, dans sa campagne électorale, a pris le temps d’expliquer ce fonctionnement ?). Pour l’autre part, sans doute finalement plus importante, par la faute au gouvernement, incapable de situer l’agriculture comme un objectif suffisamment prioritaire en Europe pour y positionner un conseiller bien placé.
Prédiction : les agriculteurs français vont s’éloigner de l’Europe. Même si j’espère me tromper…
En savoir plus : http://ec.europa.eu/commission/2014-2019/hogan/team_en (composition de l’équipe de Phil Hogan, commissaire européen à l’Agriculture).
Notre photo : Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture, à la tête d’un cabinet sans Français. (issue du site de la Commission européenne, référence http://ec.europa.eu/avservices/photo/photoDetails.cfm?sitelang=en&ref=P-027695/00-57#0)
Il est vrai que même les partis « classiques » (les « chouchous » de notre journaliste, qui fait là un peu de politique à peine déguisée) ne croient guère en l’Europe au point d’y envoyer les seconds voir les troisièmes couteaux. Dans le Nord, on a de la chance, notre député UMP (non démissionnaire, on en parle plus!) se nomme Jérome LAVRILLEUX. Bien, non? un vrai parti politique qui a un groupe et qui aurait pu nous défendre…
Sérieusement, ce n’est pas une histoire de couleur politique!
Rappelons au passage la contribution nette de la France au budget européen l’an dernier: plus de 8 milliards d’euros, 130 euros par français, (dont combien qui ne payent pas nous laissent leur part…?). Le « risque » d’une sortie de l’Europe et d’une renationalisation de la Pac me fait rire devant ces chiffres. Faire croire que les agriculteurs sont ceux qui ont le plus perdre, c’est orienter le débat. La Pologne (par exemple, ne parlons pas de la Grèce) est créditrice nette de plus de 10 milliards d’euros, Eux ont à perdre, vraiment?
Nous? ..
Bon vote à vous, sans vous laisser (trop) influencer par les médias, ici et ailleurs…
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tant que nos politiques français elu au parlement europeen ne seront écologistes (ils l’ont bien compris où se situe le lobyling) , radical ou en échec au niveau national (ancien ministre économie remercié) il est évident que l’influence à la commission ne sera que partielle ou partiale !