Ces seuils d’interventions sont à définir de manière empirique en fonction du type de sol, de la capacité de ressuyage des parcelles et des exigences de consistance de sol, humidité de récolte, vitesse de vent ou hygrométrie. On peut admettre par exemple une limite de trois millimètres d’eau qui rendent un jour indisponible. S’il pleut plus de 12 millimètres en une journée, on considérera deux à trois jours indisponibles supplémentaires pour un semis. Cette logique peut aussi être appliquée s’il tombe plus de trois millimètres pendant trois jours consécutifs. Exemple pour le semis de maïs : plus de 3 mm rendent 1 jour indisponible / Plus de 8 mm rendent 2 jours indisponibles / Plus de 12 mm rendent 3 jours indisponibles.
La collecte des données météorologiques est indispensable pour cette étape. L’historique de données météorologiques sur 10 ans est une base solide pour estimer les jours disponibles agronomiquement pour réaliser les travaux. Même si l’on sait tous que le temps est imprévisible, il s’agit là du seul moyen d’estimer la durée des fenêtres météos à notre disposition sur la période optimale définie précédemment. Le tableau suivant illustre une prévision des JAD (jours agronomiquement disponibles) en prenant en compte les limites de pluviométrie de l’exemple précédent :
Quel niveau de risque puis-je tolérer ?
Trop d’investissements sont réalisés en fonction de l’année la plus critique. C’est un moyen de sécuriser les travaux mais surtout être sûr de subir une sur mécanisation onéreuse. Le surcoût d’un semoir pour implanter la même surface en trois ou huit jours demande souvent un effort de 10 000 à 15 000 €. A partir de l’estimation des JAD précédente, vous pourrez déterminer la fenêtre météo optimale, atteignable huit années sur dix. Il suffit pour cela d’éliminer les deux années les plus critiques. Exemple pour le semis de maïs : 6 JAD (jours agronomiquement disponibles).
Quel est le niveau d’investissement raisonnable ?
Afin de ne pas tomber dans le piège classique de l’augmentation de largeur ou de débit de chantier, il est indispensable de réfléchir au dimensionnement optimum. Ceci sous-entend de considérer la surface à semer et la disponibilité en main d’œuvre. Les calculs et estimations réalisés jusqu’ici vont nous permettre de définir un largeur de travail pour assurer un semis huit années sur dix. Dans notre exemple, un semoir quatre rangs semble trop limitant pour semer en bonnes conditions. Soit l’investissement se réalisera en six rangs conventionnels et est également possible en semoir quatre rangs à élément dits « rapides » pour passer la barre des 0,4 ha/h/rang.
Exemple :
Surface (ha) ÷ JAD (jours) ÷ Disponibilité quotidienne (h/jour) ÷ Débit réel par élément (ha/h/rang)
70 ha ÷ 6 jours ÷ 8 h ÷ 0,27 ha/h/rg = 5,40 rangs
Dois-je investir ou déléguer ?
La ligne bleue correspond à une prestation déléguée par un tiers (CUMA, location, ETA…) qui croise deux hypothèses d’investissement en propriété. Les charges fixes (CF) et variables (CV) peuvent être estimées selon la méthode décrite plus loin. On connaît alors facilement la surface à partir de laquelle un mode de mécanisation est plus profitable économiquement.
Les deux semblent la réponse la plus raisonnable économiquement. En pratique un investissement calé sur le niveau de risque des JAD peut vous contraindre à solliciter une autre forme de mécanisation certaines années. Même si les ETA ne demandent pas d’engagements tels qu’on les retrouve en Cuma, il sera difficile de faire prioriser vos parcelles les années où les fenêtres météos seront réduites pour tous les clients. La location paraît alors la solution la plus adéquate, mais les réseaux de partage, même en ligne sont encore insuffisamment alimentés selon les secteurs. Rester sur un semoir dimensionné pour assurer l’implantation huit années sur dix, c’est assumer de dépasser les périodes optimales ou de ne pas respecter les conditions d’implantations. Revenons alors sur notre exemple chiffré utilisé jusqu’ici et illustré ci-dessous. Nous pouvons alors comparer le coût de revient de deux investissements et celui d’une prestation par un tiers (Cuma, location, ETA, cercle d’échanges, entraide). La délégation du semis paraît intéressante jusqu’à 90 ha dans notre exemple. Il faut considérer également l’impact sur le coût du tracteur et de la main d’œuvre déjà certainement disponible sur l’exploitation. Même si le semoir conventionnel six rangs paraît moins dispendieux, n’oublions pas que seule la version rapide en quatre rangs permettra de couvrir la surface sans pénaliser les conditions d’implantations. On ne peut donc pas sérieusement communiquer une surface seuil à partir de laquelle il faut investir ou déléguer. C’est à chaque exploitation de prendre sa calculatrice en main pour viser des économies de mécanisation de plus de 1000 €/an.
Prévoir le temps qu’il fera
La détermination du coût de revient d’un automoteur de récolte se réalise fréquemment sur une base horaire ou surfacique. Dans ce dernier cas, la somme des hectares réalisés correspondra parfaitement à la surface annuelle estimée pour l’établissement des charges de la machine. Dans le cas d’un coût de revient horaire, il faut en premier lieu déterminer s’il s’agit des heures « moteur » ou « batteur ». Une moissonneuse-batteuse peut, par exemple, fournir un débit de chantier instantané de 2,5 ha/h et être facturée 250 €/h. Si l’estimation des heures totales annuelles n’est pas prise en compte dans l’établissement du tarif, on se retrouve avec un débit de chantier global de 1,5 à 1,75 ha/h. Les charges variables liées à l’usure, à la consommation et à la main d’œuvre de conduite seront majorées directement de 35% sans être couvertes par le chiffre d’affaires de l’activité moisson. Dans le cas d’un chantier incluant un tracteur, la conversion entre le temps travaillé et le temps estimé est bien plus hasardeuse. Même si les distances de transports, la taille du parcellaire et la largeur des outils sont des variables à considérer, on estime que près d’un tiers de la durée globale d’un chantier est dédié aux temps annexes (voir précédemment). La charge la plus imputée par une mauvaise prévision du débit de chantier global est alors la main d’œuvre de conduite. En toute logique, la base de calcul du coût d’un chantier devra se faire en considérant les temps annexes. Une majoration peut être envisagée pour inclure le temps dédié au suivi, à l’organisation et au management sur les chantiers. Il ne faut pas oublier de comptabiliser le personnel satellite souvent sollicité sur les chantiers pour convoyer une machine, livrer du carburant ou des intrants. Ces intervenants parfois en formation, retraités ou simplement aides familiales sont pourtant indispensables au bon déroulement d’une campagne de travaux. Il faudra également inclure les temps d’entretien consacrés à la révision des machines. Ainsi, on peut considérer une moyenne de 0,40 heure d’atelier par heure d’utilisation de tracteur ou 0,12 h/h pour une faucheuse conditionneuse.
Quelques rappels pour rester dans le coût
Les charges fixes d’un agroéquipement, estimées annuellement, devront être déboursées même si l’outil ne réalise aucun travail durant l’année. L’amortissement est d’abord calculé en considérant à l’avance la valeur potentielle de revente. Contrairement à l’amortissement comptable (qui suit une logique fiscale), on estime la perte de valeur annuelle moyenne du matériel en prévoyant une valeur vénale en fin d’amortissement. Pour ce faire, le taux de dépréciation varie en fonction du type de matériel, du volume travaillé annuellement et de la durée d’utilisation. On peut donc retrouver un même tracteur ayant une décote de 9 à 25% annuellement. Les frais liés au remboursement d’emprunt doivent intégrer le taux global de recouvrement (intégrant l’ADI) et les potentiels frais de dossiers. Le coût de l’assurance ne concerne que les automoteurs. Sur le terrain pour un tracteur de plus de 150 ch, des écarts de près de 400 €/an existent en fonction du niveau de couverture. Pour un engin réalisant annuellement 500 h cela vient tout de même majorer le coût horaire de 0,80 €. Enfin, le remisage est une charge qui correspond à l’estimation du coût partiel d’un bâtiment pour l’entreposage. Dans le cas d’un matériel toujours à l’extérieur, cela revient à majorer la dépréciation de l’outil en raison de son stockage non protégé.
Des méthodes de calculs pas toujours réalistes
Les charges variables sont proportionnelles à l’utilisation d’un matériel et doivent donc être converties avec l’unité la plus judicieuse : €/h, €/ha, €/T, €/m3, €/km, €/voyage… La consommation des automoteurs est calculée sur une base de 0,22 L/ch/h à pleine charge et doit donc être ajustée en fonction du type de travaux réalisés. On retrouve des taux de charges d’automoteurs de récolte à 70% alors que de nombreux tracteurs sont valorisés à moins de 40%. La part dédiée aux lubrifiants est à calculer avec soin. Même si la fréquence de vidange d’huile moteur est la plus élevée, il faut y additionner les capacités des carters hydrauliques bien plus volumineux. Même si des boîtiers de transmissions représentent des petites quantités de lubrifiants, certains constructeurs exigent de l’huile à plus de 10 €/L. Les frais de réparations et d’entretien sont les plus difficiles à estimer. Même si des barèmes existent pour leur évaluation, il faut y ajouter le temps passé à l’atelier pour la révision des machines. Les besoins en temps de maintenance hivernale varient par exemple de 0,05 h/ha travaillé pour un semoir en ligne, jusqu’à près de 0,9 h/h pour une ensileuse en passant par la charrue à 0,6 h/ha labouré. Enfin, l’usure des pneumatiques ne doit pas être négligée puisqu’elle génère par exemple plus de 3 €/h de coût de revient pour un tracteur supérieur à 200 ch. Les automoteurs de récolte, dont le renouvellement se fera avant le changement des pneus, devront considérer une perte de valeur de revente en raison de leur usure. Le cumul de toutes ces charges peut inquiéter sur le raisonnement idéal à tenir pour connaître ses coûts de revient.
Lors des journées de récoltes, il n’est pas rare de dépenser plus d’une heure de travail avant même de démarrer l’automoteur auquel on refait une santé. Additionnées aux temps de transports, de réglages et d’attelages, ces séquences sont appelées temps annexes. A l’inverse, les périodes de travail productif sont nommées temps effectifs. Ne considérer que ce temps effectif est une erreur. Dans ce cas, le coût de revient devra être majoré au minimum de 30% afin de couvrir les charges de main d’œuvre, de consommations et d’entretien du matériel durant les temps annexes. Ce sont souvent ces oublis qui déséquilibrent les comparaisons de tarifs entre propriété et délégation de travaux.
Auteur: Julien Herault