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Manifeste pour lever (vraiment) le tabou sur le suicide en agriculture

Le suicide agricole est-il vraiment une fatalité pour ceux qui n’ont pas suffisamment su s’adapter (souvent mal conseillés) aux évolutions de notre société et de notre agriculture ? Il l’a été, certainement. Mais aujourd’hui les consciences s’éveillent, grâce aux actions conjuguées de plusieurs femmes et hommes, lanceurs d’alerte ou directement concernés par la disparition d’un proche. Seul le nombre de celles et ceux qui rejoindront ce mouvement et la médiatisation du phénomène peut faire évoluer cette fatalité en ouvrant d’autres horizons. Alors halte à cette réserve, sorte de pudeur extrême, qui empêche d’en parler. Il est temps de s’associer aux initiatives pour lever le tabou, et cela dès ce week-end.

Le taux de suicides des agriculteurs est probablement en train de baisser, à en croire ceux qui suivent de très près le sujet, et qui reçoivent les mauvaises nouvelles avec un peu moins de densité. Oui, mais pas pour les bonnes raisons. Pas parce qu’il y a eu une conscience telle du phénomène que l’on s’est penché sur les causes, pas parce que l’isolement est rompu d’une manière ou d’une autre, pas parce que les quelques actions entreprises (notamment par la Msa) ont été réellement efficaces (ou alors à la marge).

Non. Si le suicide agricole baisse aujourd’hui, c’est pour deux raisons qui, elles, n’incitent certainement pas à l’optimisme. La première (pardon pour cette formulation funeste), on ne se suicide pas deux fois : celles et ceux dont l’état moral montrait le plus d’inquiétudes sont déjà partis, ils ne se sont pas « ratés ». Statistiquement, ils ne sont apparus qu’une fois (et encore, pas toujours, puisque de nombreux suicides sont déclarés comme « accidents », notamment quand l’endettement figure parmi les causes, de façon à éviter que cette dette n’entraine d’autres drames vers celles et ceux qui en « héritent »). Leur geste ultime, qui a frappé à jamais la mémoire des leurs, est tombé dans l’oubli des autres.

La seconde raison tient dans une évolution des mentalités : l’échec est devenu supportable. Le nombre de fermes qui sont mises en redressement judiciaire ne cesse, lui, d’augmenter. L’intransigeance du regard des autres face à des situations pécuniaires calamiteuses a baissé d’un ton… Pour une raison simple, aujourd’hui tout le monde sait que soi-même aussi, peut plonger. Dire « j’arrête le métier« , c’était quasiment passer pour un traitre à la cause agricole il y a encore quelques années. Désormais, face à un métier si chronophage et devenu si peu rémunérateur, et pour de plus en plus de monde, on comprend le voisin qui décide, la mort dans l’âme, de passer à autre chose.

La nécessaire mobilisation

Pour autant, attention ! Lorsque j’évoque la baisse du taux de suicides en agriculture, cela ne signifie en rien que le sujet ne mérite plus l’attention. Car le phénomène, malheureusement, se poursuit. Il existe toujours aujourd’hui des paysans qui ne savent plus quelle place occuper dans une société qui dénigre ici l’élevage et la viande, là la façon de cultiver, qui n’a plus aucune reconnaissance pour le producteur nourricier, et le tout pour un revenu tel que seul l’endettement, dans une fuite en avant inexorable, donne l’illusion de s’en sortir, avant que les banquiers et autres créanciers ne les rattrapent en les culpabilisant. Et tous les agriculteurs n’acquièrent pas obligatoirement l’esprit à tout abandonner avant qu’il ne soit trop tard. Qui plus est, l’utilisation des services mis en place ces dernières années devant l’ampleur du phénomène, tel un numéro vert de la Msa notamment, n’incite pas autant qu’il le faudrait à éviter les drames. Il faut parfois appuyer 5, voire 10 fois sur la touche bis pour obtenir enfin quelqu’un, autre chose qu’un disque qui finit par raccrocher. Et ensuite, c’est la loterie. La réponse obtenue dépend alors de la personnalité de l’individu qui répond. Parfois une personne bienveillante, attentive, de à l’écoute, de bon conseil… Et parfois moins. En la matière, cette loterie ressemble presque à une roulette russe, d’autant que les moyens d’action dévolus à l’interlocuteur (souvent interlocutrice) enfin déniché et même si il est de bonne volonté, restent faibles.

D’où l’obligation d’une mobilisation. Que l’on soit personnellement concerné, ou simplement parce que, en tant qu’être humain, on ne supporte pas de voir ainsi des femmes et des hommes mettre fin à leurs jours uniquement parce qu’ils ont choisi le mauvais métier, en France, en plein XXIe siècle…

Deux événements, l’un rejoignant l’autre, donnent l’opportunité à tous ceux qui ne supportent plus ces suicides de le montrer.

Dimanche 14 octobre 2018 à Sainte-Anne d’Auray

Ce sera la quatrième édition de cette journée d’hommage aux familles agricoles endeuillées par un suicide organisée dans le Morbihan, à Sainte-Anne d’Auray. Jamais Jacques Jeffredo, véritable lanceur d’alerte sur ce thème depuis plusieurs années, n’avait imaginé un tel prolongement dans le temps. Le deuxième dimanche d’octobre est désormais devenu un rendez-vous connu des médias comme des familles concernées… Mais reste encore trop boudé par des personnalités de renom pour faire bouger les lignes. L’année dernière (pour la troisième édition donc), pour la première fois, trois élus s’étaient déplacé. Le député local, Jimmy Pahun. Un conseiller municipal de Marmande, Patrick Maurin, venu représenter Jean Lassalle. Et le conseiller municipal de Courbevoie Arash Derambarsh, connu pour son engagement dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et désireux de connaitre tous les dysfonctionnements de la filière alimentaire, depuis la source, les producteurs.

Si les personnalités ne sont pas suffisamment nombreuses, il appartient donc à toutes celles et tous ceux « qui n’osent pas », qui ressentent une forme de honte comme souvent les victimes, mais aussi à toutes celles et tous ceux qui veulent leur montrer leur solidarité de venir à cette journée. Son programme reste le même chaque année : à 11 heures, messe en hommage aux familles des disparus. Chacun déjeune comme il le souhaite. A 14 heures, dans une salle située juste sur le côté de la basilique Sainte-Anne (et qui sera indiquée par affichage), conférence débat avec différents témoignages, et recherche de solutions autour de la problématique de l’accompagnement des familles. Chaque année, des agriculteurs font le déplacement d’un peu partout en France. Ils peuvent s’exprimer librement lors de ces débats, ils demandent désormais à être entendus au-delà que par ceux qui, malheureusement, connaissent déjà le sujet.

La marche citoyenne de Patrick Maurin

L’autre événement auquel il est possible de participer est la marche citoyenne organisée par Patrick Maurin. Venu participer à la journée d’octobre 2017 au nom de Jean Lassalle, il a été particulièrement ému par les témoignages recueillis dans le débat organisé par Jacques Jeffredo. Et cette fois c’est en son propre nom qu’il prend l’initiative. Ce conseiller municipal de Marmande, dans le Lot-et-Garonne, a décidé de venir à pied à Sainte-Anne d’Auray, soit un trajet de plus de 500 kilomètres. Cette marche part le dimanche 23 septembre de Gontaud de Nogaret (proche de Marmande donc) et va rallier Sainte-Anne d’Auray en 22 étapes.

Retrouvez ici les 22 étapes de la marche citoyenne

On sait déjà que deux étapes seront particulièrement suivies en nombre et en quantité. La première ce dimanche, Patrick Maurin ayant obtenu l’assurance de la venue de plusieurs élus locaux, ainsi que de paysans de son secteur. Il espère avoir une centaine de marcheurs à ses côtés. Et puis la dernière étape, le dimanche 14 octobre, Plougoumelen – Sainte-Anne d’Auray. Elle partira à 8 heures pour qu’ensuite ses participants puissent suivre la journée d’hommage. Bien sûr, jacques Jeffredo y sera, mais aussi Arash Derambarsh, lui aussi ému après sa participation de l’année dernière et ayant décidé de revenir cette année, et sans doute d’autres élus, pour lesquels Jacques Jeffredo attend des confirmations.

Au passage, signalons qu’un seul syndicat agricole a, pour l’instant, envoyé plusieurs de ses membres, la Coordination rurale. Il semble qu’à nouveau plusieurs paysans syndiqués feront le déplacement, depuis le nord pour les uns, ou le centre de la France pour les autres.

Entre-temps, pour les 20 autres étapes de la marche citoyenne, Patrick Maurin s’attend à des audiences plus confidentielles. Mais il espère rencontrer suffisamment d’agriculteurs concernés par le suicide agricole pour l’informer de leurs situations, et pour que lui-même, ensuite, puisse rendre compte à des décideurs de ce mal-être insupportable qui existe dans les campagnes françaises.

En résumé, la journée du 14 octobre dans le Morbihan

> De 8 à 11 heures, marche citoyenne de Plougoumelen à la basilique de Sainte-Anne d’Auray
> De 11 heures à 12h30, messe en hommage aux familles agricoles des disparus en la basilique Sainte-Anne
> Déjeuner libre
> De 14 à 17 heures (ou plus selon les débats) : débats sur la problématique de l’accompagnement des familles ayant subi un décès (salle attenante à la basilique), en présence attendue d’agricultrices et agriculteurs, mais aussi d’élus.
 

En savoir plus : https://www.facebook.com/MarchePatrickMaurin (la page Facebook créée par Patrick Maurin pour informer sur sa marche citoyenne) ; http://www.patrickmaurin47.fr (site pour suivre la marche citoyenne) ; [email protected] (e-mail où joindre Patrick Maurin pour connaitre plus de détails et participer à sa marche citoyenne) ; @Maurin59208621 (pour suivre Patrick Maurin sur Twitter) ; @JJeffredo (pour suivre Jacques Jeffredo sur Twitter).

Les précédents articles de WikiAgri sur le suicide en agriculture : https://wikiagri.fr/tags/suicide_des_agriculteurs


Notre photo ci-dessous montre Jacques Jeffredo (au centre) avec les larmes aux yeux en évoquant un témoignage reçu, lors de la journée d’octobre 2017. Celle du 14 octobre 2018 représente, déjà, la quatrième édition de l’hommage rendu aux suicidés en agriculture et à leurs familles.

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