La luzerne n’en finit pas surprendre. Les années passées, La coopération agricole – Luzerne de France révélait que les aliments pour chevaux et pour porcs, formulés de luzerne déshydratée, donnaient d’excellents résultats zootechniques. Cette année, l’organisation professionnelle, présidée par Olivier Morant, annonce que ce fourrage déshydraté « est aussi un aliment clé pour augmenter la productivité des chèvres laitières ».
Lors de sa conférence annuelle le 11 mars dernier, Luzerne de France a dévoilé les résultats de deux études réalisées dans le lycée agricole de Davaye en Haute Saône et dans un des sites d’expérimentation de l’INRAE. Et il en ressort qu’ajouter de la luzerne dans la ration alimentaire des chèvres laitières accroit la production de lait en quantité et en qualité mais aussi le rendement fromager de 100 grammes par jour.
Mais depuis près de deux ans, la filière luzerne déshydratée traverse un trou d’air. Le prix du fourrage s’est effondré. La tonne de pellets négociée 305 €/t en 2023 ne vaut plus que 185 €/t
Dès que les Etats-Unis ont perdu le marché chinois (leurs exportations ont chuté de 47 % entre 2022 et 2023), ils ont tenté d’écouler leur fourrage sur les marchés où la France est présente à l’export depuis des années.
Or les Etats-Unis exportent à eux seuls 2,2 millions de tonnes de matière sèche en 2023, l’équivalent de la production européenne de luzerne.
Cette même année 2023, la production américaine de luzerne avait été supérieure de plus de 5 Mt à la moyenne. Mais ces 5 Mt engrangées en plus n’équivalent pas seulement à une augmentation de 10 % de la production américaine de luzerne mais aussi à deux fois la production européenne.
Enfin, l’Espagne n’a pas récolté moitié moins de luzerne séchée en 2023, comme l’Aefa, l’organisation espagnole des fabricants de luzerne déshydratée, l’avait annoncé au début de la campagne 2023, mais 25 % de moins. Aussi, le marché européen a été confronté à un afflux de 300 000 t de fourrages qui n’était pas prévisible. Et il ne s’en est toujours pas remis.
Dans ces conditions, les usines françaises de déshydratation n’ont pas pu valoriser commercialement l’excellente qualité des fourrages produits. L’effondrement des cotations de la luzerne a déstabilisé toute la filière.
Baisser le prix de la tonne de luzerne payé aux producteurs est devenue inévitable.
Très vite, les agriculteurs ont été confrontés sur leur exploitation au dilemme suivant: prioriser l’intérêt agronomique de la culture de luzerne ou la rentabilité économique ?
En fait les deux sont liés. La rentabilité économique de la luzerne ne se limite pas à la vente du fourrage fauché. Elle se calcule aussi en prenant en compte l’enrichissement du sol en azote organique (et par conséquent les unités d’azote épandues évitées) et les économies réalisées en réduisant les quantités de produits phytosanitaires utilisés. Par ailleurs, l’amélioration de la structure du sol d’une parcelle de luzerne en fin de cycle réduit le nombre d’interventions culturales pour emblaver des céréales.
L’ensemble de ces gains induits sont estimés à 700 €/ha, selon La coopération agricole – Luzerne de France. Ils sont répartis sur 6-7 ans, depuis l’implantation de la luzerne.
En fait, la réponse à ce dilemme entre économie et agronomie ne s’est pas fait attendre. La surface récoltée (68 000 hectares en 2024) baissera dès cette année de 5 % et tout porte à croire qu’elle diminuera encore l’an prochain d’au moins autant. Les parcelles de luzerne de trois ans en fin de cycle ne seront pas toutes remplacées par de nouvelles plantations.
Pour les industriels, le désengagement des agriculteurs compromet la rentabilité de leur outil de production car transformer moins de fourrages accroît mécaniquement les coûts de production fixes par tonne de fourrage déshydratée sortie d’usine alors que les prix de vente sont au plus bas.
En attendant, la conjoncture ne permet pas de valoriser les efforts réalisés par les vingt-quatre usines, parvenues à décarboner à plus de 95 % la déshydratation des fourrages livrés préfannés.
A contrario, cette décarbonation profite à l’industrie de l’alimentation du bétail contrainte de réduire leur propre empreinte carbone. Comme la production de luzerne n’émet que 0,26 kg CO2 éq/par kilogramme (versus 1,15 kgCO2/kilogramme en 2005), les fabricants d’aliments décarbonent seront en mesure de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 15 % à 20 % d’ici 2030 en introduisant dans leurs formulations de la luzerne déshydratée.
Le kilogramme de protéines de ce fourrage est 4,6 fois moins émetteur de gaz à effet de serre qu’en 2005. En vingt-ans, il est passé de 6,4 CO2eq/kg de protéine à 1,4 CO2éq/kg.
En fait, seule la phase industrielle de déshydratation de la luzerne s’est réellement engagée dans la décarbonation par l’utilisation de bois et la pratique de plus en plus perfectionnée du préfannage. Très avancée en 2022-2023, elle a évité aux industriels de payer au prix fort le gaz qu’il aurait fallu sinon acheter. Aux Pays-Bas, l’industrie de déshydratation ne s’est pas remise de cette crise énergétique.
Pour que la décarbonation de la filière Luzerne de France soit complète, les producteurs de luzerne poursuivront leurs efforts dans les champs afin de réduire davantage l’empreinte carbone du fourrage cultivé, selon La coopération agricole – Luzerne de France sans avoir pour autant avancé de propositions.
En 2023 et 2024, la filière s’est structurée en autour de 4 organisations de producteurs qui ont déployé chacune un programme opérationnel contribuant activement à l’amélioration de la souveraineté alimentaire
A ce jour on dénombre en France près 6 000 planteurs dont près de 4 000 en Champagne Ardenne regroupés au sein de l’organisation de producteurs UCAD. Ils livrent leurs fourrages à vingt usines dont les productions sont commercialisées par la société Désialis dirigée par Pierre Bégoc.
L’an passé, la luzerne cultivée de 68 000 hectares était supérieure de 1,5 % par rapport à 2023. Toutefois, la production de luzerne a diminué de 6,3 % à 775 000 tonnes de matières sèche (tMS) contre 830 000 tMS en 2023.
En 2025 se déroulera le congrès mondial de la luzerne à Reims et à Chalons en Champagne les 3,4 et 5 novembre prochains. Des délégations chinoises, étasuniennes et argentines sont attendues. « La France compte sur ce salon pour mettre en lumière sa technique de déshydratation décarbonée qui produit de meilleurs pellets que ceux obtenus par séchage sur pieds » se réjouit déjà le directeur de Désialis.