La mort est dans le pré. Nous sommes toutes agricultrices. Nos passés se distinguent et nos horizons divergent. Mais il y a une chose qui nous unit aujourd’hui : notre détresse.
Tout a commencé le jour où nous avons embrassé la profession d’agricultrice, seules, aux côtés de nos conjoints ou de nos maris.
Etre agricultrice, nous en avons longtemps rêvé. Comme un enfant à qui l’on demande ce qu’il souhaite entreprendre plus tard, pour nous c’était d’une évidence implacable. Puis nous sommes devenues ce à quoi nous aspirions le plus : être agricultrice. Le métier ne nous a plus quitté.
Outre la destinée, quoi de plus noble et valorisant que de pouvoir donner à l’humanité les moyens de se nourrir, de s’accomplir. A une certaine époque tout cela avait un sens. Le métier appelait chacun à se surpasser, parfois même à fermer les yeux sur des aberrations. Mais quoi de plus normal lorsqu’on accomplit ce si beau métier.
Mais très vite, l’horizon s’est obscurci, pour nos exploitations, pour nos familles. Les conditions de travail sont devenues d’années en années toujours plus difficiles, dès lors que nos outils de production ont été obligés de croître par la pression des industriels. Ils ont peu à peu étendu leur emprise sur nos vies.
En 2016 « rendement, compétitivité, et horaires inhumains » ponctuent notre quotidien. La vie de famille n’occupe plus que la portion congrue, quand elle n’est pas déjà inexistante. Le moral a dévissé. Etre agriculteur aujourd’hui, quel beau métier !
La révolte se poursuit. Les chantiers agricoles ont largement repris leurs droits dans nos campagnes ce qui a plongé la protestation dans un sommeil, léger. Car si la profession est attelée momentanément aux travaux agricoles, le désespoir, lui aussi, poursuit sa basse besogne. Du côté des industriels, des coopérateurs, des intermédiaires et de tous ces acteurs qui eux, continuent de se nourrir grassement sur « la bête agricole » que nous sommes. Messieurs, votre silence devient assourdissant. Otez vos œillères et prenez enfin vos responsabilités !
En France toutes les deux heures, trois exploitations agricoles mettent la clef sous la porte. On dénombre par ailleurs un suicide d’agriculteur tous les deux jours. Ces filles et fils de la terre, de tous âges, se donnent la mort en laissant derrière eux famille et amis. Etre agriculteur aujourd’hui c’est à terme accepter de mourir trois fois : moralement, économiquement et physiquement.
Et, nous agricultrices, dans toute cette colère et ce désespoir, nous ne pouvons qu’assister à ce qui s’apparente à une extinction de classe, à un véritable génocide.
Nous, veuves agricultrices, célibataires agricultrices, conjointes d’exploitation et femmes d’agriculteur sommes les témoins de ce spectacle. Bien que battantes, nous demeurons en première ligne. Ce combat pour la vie, pour la survie même de notre métier, nous ne l’avons, lui, pas choisi. Femme active et épouse, nous sommes aussi en première ligne dans la gestion des comptes de l’exploitation et du foyer. Supporter seule le poids du stress et du travail , gérer les créanciers, assister à l’impuissance et à la colère de nos conjoints : quel beau métier !
Alors, souvent mises à rudes épreuves, nous demeurons debout. Mais lorsque vient le moment d’expliquer à nos enfants que nous devons vivre avec le RSA, qu’il n’est plus possible de se passer des Restos du cœur pour pouvoir se nourrir, nous qui par notre métier nourrissons les autres, comment trouver les mots ?
Quel contrepied cruel, quel coup du sort !
Tristesse, misère, et découragement sont notre quotidien, pendant encore combien de temps allons-nous pouvoir tenir ?
Bien sûr, nous souffrons de notre manque de communication, d’échanges avec l’autre extrémité de la chaîne alimentaire. Comment vous faire comprendre que notre déclin est la mort à petit feu de tous les corps de métier qui gravitent et travaillent autour de nous. « L’agriculture ne sert plus à nourrir la population, mais à produire des devises » (citation de Robert Linhart). « Il faut rendre sa place à l’agriculture » (Alphonse Kaar).
Nous ne souhaitons pas devenir les plus riches du cimetière, pour reprendre une expression largement utilisée dans nos campagnes, mais uniquement être en capacité de vivre dignement de notre si beau métier.
Aidez nous à résister et à continuer d’exister. Etant le premier maillon de la chaîne, notre proche disparition sera le début d’une longue agonie.
Collectif « paroles d’agricultrices face à la crise »
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/pourquoi-jai-cree-un-groupe-de-parole-reserve-aux-agricultrices-sur-facebook/9819 (article rédigée par l’agricultrice sur WikiAgri, où elle expliquait pourquoi elle créait le groupe de paroles réservée aux agricultrices sur Facebook) ; https://www.facebook.com/groups/217080302011765 (lien direct vers le groupe Facebook en question).
Ci-dessous, l’affiche du groupe.
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« Les conditions de travail sont devenues d’années en années toujours plus difficiles, dès lors que nos outils de production ont été obligés de croître par la pression des industriels. »
Tout est dit, simplement et brutalement.
Le toujours plus grand, plus productif oblige à l’investissement systémique lié à l’économie du libre marché .
Cette logique fonctionne sur le principe de la tornade qui grossit et amplifie son action destructrice à partir des maillons faibles qui apportent la matière première nécessaire à leur montée en puissance.
Le pire dans ce système particulièrement visible dans les terres de l’Ouest et principalement en Bretagne c’est que les emplois perdus dans l’agriculture liés au toujours plus grand et plus productif du « modèle » agricole sont devenus les emplois dans la partie avale des filières agricoles celles de l’abattage, de la découpe, de la transformation et au final de la mise en (hyper) marché avec toujours la même logique du toujours plus grand et plus productif avec toujours les mêmes conséquences, les maillons faibles de la « chaine » alimentaire subissant des « conditions de travail devenues d’années en années toujours plus difficiles »: dans une même famille, producteur (trice), ouvrier(e), employé(e) soumis(es) aux pressions du libre marché et du management d’entreprise en arrivent à perdre le sens du vivre-ensemble et de la solidarité pour défendre simplement leur emploi .
Tout ça pour quoi et pour qui ? c’est quoi cette » main invisible du marché sensée « réguler »notre monde » ? uniquement un aspirateur « ascensionnel » où 1% d’élus disposent de 99% du patrimoine commun et où 99% de maillons faibles continuent à subir ? et si nous brisions ces chaines ?