A l’issue d’une manifestation agricole qui s’est déroulée le 27 janvier dernier à Angers avec près de 250 participants, un agriculteur a été appréhendé après quelques dégradations, qu’il conteste avoir commises lui-même. Pourtant, lui seul passe au tribunal ce lundi 14 mars. Une action en justice qui pose de lourdes questions sur le fonctionnement de notre démocratie.
Je vais être précis : non, Marc-Olivier Fourcher ne sera pas tout seul ce lundi à 14 heures au tribunal d’Angers. Plusieurs autres agriculteurs, non syndiqués comme lui, ont créé un comité de soutien. Ils s’appellent Florian et Jean-Luc Chevalier, Jacques Bertrand, Denis et Michel Chauveau, Bernard Duperray, Jean-Pierre Baudouin et Gérald Lemoine, et assument haut et fort : « Vous pouvez citer nos noms, m’a dit Denis Chauveau, on n’a pas créé ce comité de soutien pour se cacher. » Ils organisent une manifestation devant le tribunal d’Angers ce lundi. Voici leur message : « Un de nos colleÌ€gues et ami agriculteur fut interpelleÌ le 27 janvier a Angers lors du dernier grand rassemblement de soutien à notre profession. Il lui est reprocheÌ les deÌgradations collectives de cette journeÌe. N’importe lequel d’entre nous pourrait eÌ‚tre aÌ€ sa place aujourd’hui. Il sera jugeÌ le 14 mars au tribunal d’Angers aÌ€ 14 heures. Par solidariteÌ et soutien aÌ€ lui, aÌ€ sa famille, aÌ€ notre corporation, je sollicite votre preÌsence ce jour laÌ€. Je vous demande et vous remercie de venir sans mateÌriel, sans banderoles. N’heÌsitez pas aÌ€ diffuser treÌ€s largement ce message. Merci aÌ€ tous et rendez-vous le 14.«
Sans matériel, cela signifie que l’intention est pacifiste, que la manifestation va s’apparenter à une marche silencieuse, même si en l’occurrence il n’y aura pas de marche, puisqu’il s’agira d’attendre devant le tribunal. Sans banderole, qu’il est hors de question qu’un syndicat ne récupère cette manifestation. Pour autant, il devrait y avoir plusieurs centaines de personnes à cette manifestation pacifiste, tant la présence de Marc-Olivier Fourcher dans le box des accusés ressemble à un déni de démocratie.
Mais tout d’abord, les faits. J’ai appelé Maître Jean-Charles Loiseau, l’avocat de Marc-Olivier Fourcher. C’est lui qui les rapporte, ces faits (et vous avez également une vidéo en fin d’article prise ce jour-là sur l’ambiance générale de la manifestation) : « Le 27 janvier, il y a eu une manifestation à l’appel de la FDSEA. M. Fourcher a participé à cette manifestation, sa benne a été l’une de celles, parmi la trentaine présentes ce jour-là, à vider un chargement avec des pneumatiques et des bottes (Ndlr : thème de la manifestation « on en a plein les bottes », voir la vidéo en fin d’article). Cela, il ne le nie pas. M. Fourcher a 33 ans, il est installé depuis 2011 en EARL avec ses parents sur 135 hectares de SAU, 35 hectares en maïs semences, le reste an autoconsommation pour son cheptel, qui produit 550 000 litres de lait. Il a 50 % de l’exploitation, ses parents, âgés de 58 et 60 ans les 50 autres. M. Fourcher doit donc bientôt reprendre la totalité de la ferme, alors qu’il s’est endetté pour s’installer. Il est impératif pour lui de vendre son lait entre 340 et 350 € la tonne. Or, la coopérative Sodial le lui achète à 290 € la tonne. Chaque matin, il va travailler dans sa stabulation et sa salle de traite en ayant la certitude que, malgreÌ toute la bonne volonteÌ du monde et la qualité évidente de son travail, il ne pourra ni rentabiliser son exploitation, ni faire vivre sa famille. C’est dans ce contexte qu’il a accepté de participer à la manifestation sous l’impulsion de la FDSEA. Cette manifestation s’est déroulée sans heurts sur le site du centre commercial Géant. Puis la manifestation s’est déplacée en convoi, accompagné par les forces de l’ordre, vers la préfecture. Un barbecue a été allumé, sans que quiconque, forces de l’ordre ou pompiers, présents sur les lieux, ne demande à l’éteindre. Pendant les discours, les organisateurs ont demandé aux manifestants de tenir bon pendant 9 mois, le temps que l’orage se passe sur le plan de crise agricole. M. Fourcher a alors répondu que ce serait difficile de tenir ainsi 9 mois. Il a ainsi été identifié par les forces de l’ordre comme un meneur, qu’il n’était pas. Entre-temps, le barbecue a vu son feu s’accentuer, jusqu’à lécher deux arbres et un luminaire, sans que M. Fourcher en soit personnellement responsable, les pompiers ayant attendu qu’il prenne de l’importance avant d’intervenir…«
Et c’est pourtant là-dessus qu’il a été arrêté, comme étant à l’origine de l’incendie qui a causé des dégradations sur deux arbres, un luminaire et un mur…
En fait, l’histoire ne s’arrête pas exactement là. Car ce sont trois agriculteurs qui ont été arrêtés ce soir là à Angers, qui ont passé la nuit en garde à vue (en prison donc), pieds nus, sans ceinture, comme des criminels. Les deux autres, syndiqués JA, ont pu partir le matin, sans être poursuivis. Marc-Olivier Fourcher, lui, n’est pas syndiqué. Il est resté jusqu’au soir, et s’est vu notifier les chefs d’accusation et sa convocation devant le tribunal d’Angers.
Il ressort donc de cette affaire qu’il se retrouve devant le tribunal avant tout parce qu’il n’appartient pas à une entité syndicale. Au passage, une polémique existe sur le rôle de la FDSEA du Maine-et-Loire, et son éventuel (elle a démenti) manque d’empressement à proposer de l’aide à un manifestant qu’elle est pourtant aller chercher, avec d’autres, pour étoffer ses troupes… Je ne m’attarde pas sur ce sujet que je peux difficilement vérifier, je vous signale juste qu’il existe.
Considéré comme « faible » car non syndiqué, Marc-Olivier Fourcher est devenue la personne idéale à attaquer en justice pour faire cesser les manifestations agricoles. C’est là que de très nombreuses questions se posent sur le fonctionnement même de notre démocratie.
Le tribunal d’Angers s’apprête donc à lui faire payer (ou non en cas de relaxe) le coût des manifestations agricoles « pour tous les autres ». Pour en faire un exemple, pour tuer toute vocation de manifestation et de contestation. Attention, je précise, il ne s’agit pas ici de pousser aux dégradations, je suis le premier à les considérer comme inutiles, coûteuses, et contre-productives. Mais tant qu’à faire de les condamner, il semble tout de même plus logique et juste de s’en prendre à un auteur réellement identifié.
Comme ce n’est pas le cas présentement, de fait, toutes les hypothèses sur les causes de l’action en justice sont ouvertes. Veut-on mater les jacqueries ? S’intéresse-t-on davantage à réprimer ceux qui n’arrivent plus à vivre qu’à agir sur les causes pour changer cet état de fait ?
Denis Chauveau, l’un des créateurs du comité de soutien, précise avec conviction : « Nous respecterons la décision de justice, notre manifestation devant le tribunal sera pacifique. » Il a évidemment raison.
Mais tout de même, vous ne pensez pas qu’il serait temps d’agir sur les causes plutôt que de laisser des producteurs travailler pour rien et finir au tribunal (pour une bonne ou une mauvaise raison) ?
Le verdict du tribunal d’Angers sera examiné de près. Il a deux options : estimer que Marc-Olivier Fourcher est l’unique responsable d’une action collective de près de 250 personnes (sans parler d’éventuelles tierces personnes qui auraient très bien pu se mêler au mouvement pour attiser le feu) ; ou non. Plus une troisième, renvoyer le procès à une date ultérieure pour un complément d’information (ce qui peut aussi lui donner le temps et l’opportunité d’abandonner discrètement les poursuites).
Ceux qui sont solidaires avec Marc-Olivier Fourcher seront devant ce tribunal ce lundi à 14 heures. J’en connais qui vont venir de loin…
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/peut-on-avoir-une-jacquerie-au-21e-siecle-/8176 (précédent article de WikiAgri sur le risque de jacqueries sur notre territoire suite à la crise).
Ci-dessous, la vidéo enregistrée sur YouTube montrant la manifestation qui s’est déroulée à Angers le 27 janvier 2016. On y constate notamment la passivité des pompiers et forces de l’ordre face au brasier en formation.