rapport task force pratiques commerciales abusives

Les pratiques commerciales des grandes surfaces regardées à la loupe à Bruxelles

Un événement est passé presque inaperçu dans l’actualité récente, et pourtant il pourrait avoir des répercussions sonnantes et trébuchantes sur la commercialisation des produits agricoles : les fameuses marges des grandes surfaces qui font débat et polémique depuis tant d’années en France sont désormais regardées à la loupe au niveau européen.

Il n’y a visiblement pas qu’en France que les marges des grandes surfaces vis-à-vis de leurs fournisseurs, dont les agriculteurs, font débat. L’Europe entière vit avec ce phénomène, sujet polémique s’il en est chez nous depuis de nombreuses années : souvenons-nous de la loi Galland, des marges arrière… Et aujourd’hui, la pratique consistant, pour l’agriculteur, à vendre à perte et à ne s’en sortir que par les subventions (c’est donc lui qui apparait comme étant le responsable de cette utilisation de l’argent public…) est devenue, si j’ose écrire, monnaie courante.

Ce lundi, un rapport européen est sorti. Intitulé « Improving market outcomes – Enhancing the position of farmers in the supply chain » (en français : « L’amélioration des résultats sur le marché du commerce – Améliorer la position des agriculteurs dans la chaine d’approvisionnement »), rédigé par un groupe indépendant d’experts de tous horizons (pays et professions), appelé « Task Force » (force de proposition).

Plusieurs éléments importants ressortent de ce rapport. En particulier deux :

1. Le rapport souhaite un encadrement européen des pratiques commerciales, de manière à arrêter celles qui sont déloyales.

2. Concrètement, cela signifierait l’établissement d’une liste noire de ces pratiques déloyales, et la mise en place d’autorités indépendantes pour veiller à l mise en oeuvre. Egalement, des directives seraient données aux Etats-membres, leur permettant de sanctionner le cas échéant.

Le rôle obscur de Jérôme Bédier

Par ailleurs, un élément reste troublant, le rôle de Jérôme Bédier. Le directeur général délégué de Carrefour (également ancien président de la FCD, fédération des grandes enseignes de distribution) faisait partie des 12 experts de cette Task Force. Or, il n’a rien fait pour amender le texte, étant absent quasiment à chaque fois des réunions du groupe. Arrivé « trop tard », il s’est « contenté » d’un texte additif où il a dit de désolidariser des conclusions du rapport.

S’agit-il d’une négligence de sa part (pour certains, percevoir une rémunération pour un travail ne signifie pas forcément s’en acquitter…) ? Ou d’une manoeuvre délibérée (la préparation d’une sorte de recours ultérieur ?) ? Toujours est-il qu’il a joué un rôle trouble dans l’établissement de ce rapport, le laissant sortir tel quel, alors que le rééquilibrage prôné ne pourrait s’opérer qu’au détriment des avantages actuels de la grande distribution…

Carrefour déjà poursuivi en France pour pratiques commerciales abusives

Le rapport de la Task Force au niveau européen est sorti quasi simultanément avec l’annonce de la poursuite par l’Etat français du groupe Carrefour pour « pratiques commerciales abusives ». D’après nos informations, d’autres poursuites du même ordre devraient être annoncées dans les semaines à venir, visant également d’autres enseignes de la distribution. Ces poursuites au niveau franco-français sont indépendantes de la sortie du rapport européen mais, quelque part, il s’agit du même sujet…

Réactions de députés européens

Nos députés européens qui suivent l’agriculture sont très probablement ceux qui bossent le plus actuellement sur le sujet parmi nos politiques. Voici leurs réactions.

« Les pratiques commerciales déloyales
ne sont plus un sujet tabou à Bruxelles
« 
Michel Dantin

Michel Dantin (LR en France, groupe PPE au Parlement européen) a déjà été, par le passé, particulièrement actif sur ce sujet des pratiques commerciales déloyales, il a donc suivi de près la sortie du rapport. Selon lui, le rapport a le mérite de faire cesser « la confusion dans les esprits entre le droit à la concurrence d’une part et les pratiques déloyales d’autre part« . Il précise à WikiAgri : « Le fonctionnement général de la chaine alimlentaire y est examiné pour la première sous cet angle, alors qu’il s’agissait, jusqu’à présent, d’un sujet tabou à Bruxelles.« 

Angélique Delahaye (LR, PPE), qui est l’auteure d’un autre rapport sur les perspectives à donner avec la future Pac après 2020 (nous reviendrons prochainement sur ce sujet prospectif dans un article à part entière) précise dans un communiqué : « Je me réjouis de constater que ses (Ndlr : celles de la Task Force) propositions vont dans le même sens que celles de mon rapport sur les outils de la Pac pour lutter contre la volatilité des prix, adopté en commission Agriculture la semaine dernière. La mise en place d’outils de gestion des risques via des systèmes assurantiels et des fonds mutuels, l’amélioration de la transparence à travers des observatoires de marchés et enfin la restructuration des filières par une amélioration de la contractualisation, sont en effet des idées que nous partageons. Pour une fois, il semble que la Commission et le Parlement regardent dans la même direction, cela pourrait être une grande opportunité pour le futur de l’agriculture européenne.« 

Eric Andrieu (PS en France, groupe S&D au Parlement européen) a lui conscience du problème, affirmant dans un communiqué : « Nous demandons depuis des mois à la Commission un cadre réglementaire pour mettre fin à ces pratiques déloyales. » Lui aussi a récemment vu un rapport qu’il a rédigé adopté, intitulé « Comment la Pac peut-elle améliorer la création d’emplois dans les zones rurales ? ».

Et maintenant ?

Le rapport de la Task Force, en soi, ne change rien. Mais il incite très fortement la Commission européenne à s’emparer du sujet et à émettre des propositions allant dans son sens. Les parlementaires européens, quel que soit leur intérêt sur le sujet, ne peuvent malheureusement pas se saisir officiellement du sujet pour le porter eux-mêmes : l’initiative en appartient désormais à la Commission avant que le débat ne leur revienne.

Pour autant, la réaction de la Commission européenne est très attendue, dans un futur proche. Evidemment, nous aurons l’opportunité de revenir sur ce sujet, si important puisqu’il concerne directement la répartition des marges dans la commercialisation !

En savoir plus : http://ec.europa.eu/agriculture/agri-markets-task-force/improving-markets-outcomes_en.pdf (le rapport de la Task Force, disponible uniquement en anglais pour l’instant, sur les pratiques commerciales déloyales) ; www.micheldantin.net/reaction-rapport-de-task-force-marches-agricoles (communiqué de Michel Dantin) ; http://angelique-delahaye.eu/crise-agricoletask-force-le-droit-agricole-doit-primer-sur-le-droit-de-la-concurrence (communiqué d’Angélique Delahaye) ; http://www.eric-andrieu.eu/avec-carrefour-faites-ce-que-je-dis-pas-ce-que-je-fais (communiqué d’Eric Andrieu).

Notre illustration ci-dessous est une copie d’écran de la première page du rapport européen de la Task Force sur les pratiques commerciales abusives (lien juste au-dessus).

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