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En Ukraine,« après 20 mois de guerre, on gère l’exploitation au jour le jour » (Yvan Melnyk, entreprise agricole)

Au mois d’octobre 2022, la rédaction de Wikiagri a rencontré Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubniy, respectivement fondateur et directeur d’une exploitation céréalière de 4 500 ha en Ukraine. Avec leurs 120 salariés, ils produisent des céréales, des oléoprotéagineux et du lait. Leur pays était alors en guerre depuis six mois. Il était en alerte permanente, sous les feux de missiles. Un an plus tard, Yvan et Oleksandr nous expliquent comment ils tentent de maintenir leur exploitation à flot.

A Buky dans la région d’Uman (sud-ouest de l’Ukraine), Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubniy ont retrouvé une certaine sérénité. Ils ont appris à vivre avec la guerre. Oleksandr dirige une exploitation agricole de 4500 hectares fondée par Yvan.
Un an plus tôt, au mois d’octobre 2022, ils nous faisaient part de leur sidération lorsque nous les avions rencontrés la première fois (1). Ils étaient alors à peine remis de la tentative d’invasion de leur pays par la Russie. Le front s’était stabilisé mais les bombardements détruisaient les opérateurs électriques générant des coupures d’électricité plusieurs fois par jour. Le réseau internet à l’arrêt empêchait toute communication (1).
En ce début d’hiver, Yvan et Oleksandr se sont dotés de générateurs pour être autonomes en électricité au moins le temps des traites quotidiennes. Leur exploitation est éloignée du front et des territoires occupés.
Sur leur exploitation de 4 500 ha, ils ne manquent de rien pour cultiver leurs terres mais la rentabilité n’est plus au rendez-vous. Tous les projets sont à l’arrêt : édification de parcs photovoltaïques sur les toits des étables, changements de matériels, modernisation des bâtiments d’élevage etc.
Mais la guerre prive l’entreprise de certains de ses salariés mobilisés pour combattre.

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Salarié de l’exploitation mobilisé
en permission (@Yvan Melnyk).

En Ukraine, environ 20 % des salariés en âge de combattre sont mobilisés. L’Ukraine manque de bras !
Sur la ferme d’Yvan, les hommes partis défendre leur pays sont difficiles à remplacer. Au début du mois, cinq postes sont vacants. Les rares candidats disponibles à l’embauche ne sont souvent pas formés aux métiers de l’agriculture et en particulier, à la conduite d’engins équipés de GPS et d’outils d’aide à la décision. Par ailleurs, les métiers de l’agriculture n’attirent pas les jeunes.

Des marchés effondrés

Le conflit de leur pays avec la Russie désorganise profondément les marchés agricoles ukrainiens même si on constate une évolution ces dernières semaines.
Le marché des céréales est toujours effondré. La tonne de blé sortie ferme était payée 119 € le 7 novembre dernier. En 2021, la tonne de blé valait 253 €.
Cette année, Yvan et Oleksandr couvrent à peine leurs coûts de production, rémunérations des salariés comprises. Bien qu’il se soit replié ces derniers mois, le prix du diesel demeure supérieur de 65 % à son niveau de 2021. Mais la campagne 2022-2023 passée, ils ont payé très chers leurs intrants. Au début de l’année, la tonne d’engrais NPK Yara valait plus de 1000 €. Mais la dévaluation de la Hryvnia de près de 50% au cours de l’année 2022 a renchéri de plus de 37 % le prix de l’engrais. Les salaires ont quant à eux augmenté de 25 % en depuis 2021.
Evidemment, les agriculteurs n’ont pas pu répercuter sur le prix de leurs céréales ces coûts supplémentaires. De plus, les transactions commerciales se font en dollars!
Les cultures d’oléo-protéagineux sont particulièrement rentables et sauvent l’exploitation d’Yvan de la faillite. La tonne de soja vendue 15 000 hryvnias a coûté à produire 8 500 hryvnias cette année. Aussi, le bénéfice net équivaut à 170 €. Par hectare, le revenu avoisine 540 €, selon Oleksandr.
Sur l’exploitation laitière, les meilleures performances du troupeau permettent de dégager de meilleures marges (cf papier à paraître) alors que le prix du lait se redresse aussi.
En fait, le fonctionnement des marchés ukrainiens des céréales échappe aux agriculteurs. A l’export, les négociants font peser sur les prix sortie-ferme les risques financiers encourus pour expédier les grains (primes d’assurance, transport, logistique etc.). A l’intérieur du pays, les prix agricoles se callent quelque peu sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Mais le coût de la vie est cependant très cher en Ukraine (papier à paraître). Le prix des œufs et du lait frais sont identiques à ceux en vigueur en France dans les supermarchés.
Selon une entreprise de négoce, un céréalier perd en moyenne 160 € par hectare pour un rendement de 7,5t  (355 € pour une production de 6t/ha). La culture de maïs ne devient bénéficiaire qu’au-delà d’une production de 12 t/ha. L’effet ciseau prix-charges a été accentué l’an passé par la dévaluation de près de 50 % de la Hryvnia, la monnaie ukrainienne.

Bilan de la campagne 2022 2023

Durant la campagne 2022-2023, Yvan et Oleksandr ont cultivé 1200 ha de blé, 900 ha de colza, 150 ha d’orge de printemps, 250 ha de soja et 150 ha de pois. La sole réservée au maïs n’est que de 85 ha car la céréale est attaquée par la chrysomèle.
Dans toutes les exploitations ukrainiennes, les céréaliers diversifient leurs cultures pour redresser les comptes de leurs entreprises. Mais les marges financières et agronomiques sont limitées. Depuis 2021, les bénéfices se sont effondrés quand ils ne se transforment pas en déficits.
Sur le site de l’exploitation Perlina Tikichade 1600 ha de l’exploitation d’Yvan (4 500 ha au total), les bénéfices de l’exploitation (56 000 € environ toutes charges et rémunérations déduites) étaient en 2022 cinq fois inférieurs à ceux de l’année précédente (environ 400 000 €). En Hryvnias, ils ont été divisés par huit. Cette année, Oleksandr estime son bénéfice sur dix mois à 38 000 € (janvier à octobre).

Sur la voie du redressement

Mais cette campagne, une opportunité s’offre à eux dirigeants de l’entreprise. Yvan et  Oleksandr projettent de se lancer dans la production de betteraves sucrières bien plus rentable que celle du blé promet la sucrerie avec laquelle ils projettent de collaborer. Ils pourraient en cultiver 100 ha. Le contrat est en cours de négociation. Cette dernière mettrait à disposition les arracheuses et prendrait probablement en charges une partie des frais de transport.
Chaque hectare rapporterait 730 € de revenu s’ils parviennent de dégager un rendement de 60 tonnes, selon la sucrerie. Pour un rendement de 50 t, le revenu ne serait ramené à 300 € mais la culture de betteraves resterait nettement plus rentable.
Yvan accroîtra aussi la superficie d’oléo-protéagineux. Mais il ne cultivera à peine plus de maïs que l’an passé (80 ha contre 458 ha en 2021) car la Chrysomèle fait des ravages, aussi bien  chez lui que chez ses voisins. Une rotation très stricte sur 8-10 ans permet d’éradiquer la chrysomèle.
Les variétés de maïs cultivées ne sont pas de variétés OGM pour pouvoir exporter la céréale sans contrainte sur le marché européen, affirme Oleksandr. Le maïs est beaucoup moins exporté vers la Chine.
Mais les néonicotinoïdes sur les semences de betteraves sont autorisées. Ces traitements n’impactent pas le potentiel de production de miel du pays semble-t-il. L’Ukraine est même le rucher de l’Union européenne puisqu’elle exporte une grande partie de sa production vers les Vingt-sept (cf article).
Le glyphosate est disponible à l’emploi mais Oleksabndr affirme ne pas y avoir recou
L’an prochain, que la guerre soit achevée ou pas, Oleksandr et Yvan nous ont donné rendez-vous pour faire le bilan de leur campagne 2023-2024.

Légendes photos: Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubniy, propriétaire et directeur d’une exploitation céréalière de 4 500 ha (@UAC)
Etable où sont logée les vaches (@UAC)

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