Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? De part et d’autre de l’Atlantique, les agriculteurs sont dans le flou. La réforme de la Pac de 2014 s’achève en 2020 dans la plus grande incertitude pour l’avenir. Les farmers américains sont tributaires des décisions subites de leur Président. En Europe, le contenu commercial des accords sur le le Brexit agricole et agroalimentaire est inconnu. Tandis que les décisions et les prises de position de la Chine et la Russie sont redoutées à tout instant.
Si la conjoncture des marchés était favorable, les agriculteurs des grandes puissances exportatrices auraient les moyens de s’affranchir quelque peu des politiques agricoles de leurs gouvernements. Or il n’en est rien. La survie d’une très grande majorité d’exploitations dépend des soutiens publics perçus. Mais surtout, l’agriculture n’est plus une priorité de part et d’autre de l’Atlantique.
En Europe, « tous les débats portent désormais sur la prochaine PAC qui devrait entrer en vigueur pour la période 2021-2027 », souligne Philippe Chalmin, coordinateur du Cyclope 2018.
Or les discussions entre les Vingt-sept portent sur les crédits à allouer avant même de définir un projet.
Le prochain budget agricole pourrait être sacrifié pour financer d’autres politiques européennes (immigration, défense européenne par exemple) puisque augmenter les ressources reste quelque peu tabou (relever le plafond du budget à 1,1 % du PIB est peu ambitieux). Or les aides découplées ont montré leur inefficacité pour contrer les crises agricoles. Et le Brexit coûtera au moins 3 milliards d’euros au budget agricole européen (et plus de 5 milliards d’euros au budget total) puisque le Royaume-Uni est jusqu’à ce jour un contributeur net.
Aux Etats-Unis, les farmers sont visés par des sanctions commerciales prises à l’encontre du gouvernement fédéral alors qu’ils sont dans le flou total sur le programme du prochain Farm bill en 2019.
« Les perspectives sont loin d’être exaltantes pour le monde agricole, qui s’estimera probablement heureux s’il peut sauver les assurances, maintenir les mécanismes de soutien au niveau actuel et rajouter une assurance spécifique au secteur laitier », écrit Philippe Chalmin.
Les farmers demandent une hausse des prix de référence et une réévaluation des mécanismes de soutien. « Au total, ce sont entre 15 et 20 milliards de dollars supplémentaires qu’il faudrait trouver pour satisfaire les demandes des différentes productions », ajoute encore Philippe Chalmin. Or tout porte à croire que l’on s’oriente vers un nouveau Farm Bill à somme nulle, les dépenses complémentaires étant compensées par des économies comme par exemple une baisse des crédits alloués au programme d’aide alimentaire puisque la vigueur de l’économie américaine réduit le nombre de bénéficiaires.
Pendant ce temps, la Russie a prolongé son embargo sur tous les produits frais en provenance des pays qui s’étaient opposés à l’annexion de l’Ukraine.
« La Russie représentait un marché majeur pour l’industrie agroalimentaire européenne : 11 milliards d’euros (10 % des exportations) et dont près d’un milliard pour la France », rappellent les contributeurs du Cyclope 2018.
Et en 2019, le gouvernement russe n’a aucune raison de revenir à la situation commerciale antérieure à l’embargo.
En Chine, le gouvernement ajuste en permanence sa politique d’approvisionnement en fonction des mesures protectionnistes prises à son encontre par les Etats-Unis. L’ex-empire du milieu souffle le chaud et le froid sur de nombreux marchés de matières premières agricoles.
Quant aux prochains accords commerciaux de l’Union européenne avec ses autres partenaires commerciaux, « les raisons d’inquiétude sont sérieuses », affirment les contributeurs du Cyclope 2018. L’agriculture et l’élevage en particulier sont des variables d’ajustement avec des quotas d’importations supplémentaires de viande. « Par exemple, aux 400 000 tonnes de volailles déjà importées du Brésil, s’ajouteraient 78 000 tonnes de filets sur un marché déjà saturé par la montée en puissance de la Pologne et des ouvertures à l’Ukraine. »
Seul un accident climatique et la perte de millions de tonnes de céréales relancerait les marchés de matières premières agricoles et redonnerait du sens à leur activité de production puisqu’ils seraient les premiers bénéficiaires du redressement des prix agricoles.
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