Une étude voulant démontrer la dangerosité d’un maïs OGM a été largement reprise par les médias et a donné lieu à de nombreuses réactions sociétales et politiques. Le biologiste Philippe Joudrier, ancien directeur des recherches à l’Inra et ayant présidé le comité d’experts spécialisé « biotechnologie » à l’Afssa de 2006 à 2009, a exprimé à WikiAgri ses lourdes réserves quant à cette étude.

La première chose qui m’a choqué en constatant les réactions immédiates à l’étude, plus immédiates encore que la diffusion de l’étude complète en elle-même, menée par Gilles-Eric Séralini, ce fut le raccourci entre les OGM en général, et un OGM en particulier, mis en cause dans l’étude. Car un OGM peut avoir effectivement des effets néfastes, comme n’importe quelle plante d’ailleurs, ce qui ne signifie nullement que l’ensemble des OGM soient à mettre en cause. J’ai ressenti comme une forme de coup monté par le lobby anti-OGM, mais étant loin d’être scientifique, j’ai préféré m’adresser à un spécialiste de ces questions, Philippe Joudrier, auteur du livre « OGM, pas de quoi avoir peur« , aux éditions Le Publieur en 2010, et aujourd’hui vice-président du conseil scientifique de l’AFBV (association française des biotechnologies végétales).
Plus de 50 études de longue durée ont déjà eu lieu
« Il existe plusieurs mensonges dans la présentation de l’étude, confie d’abord Philippe Joudrier. En premier lieu, il est annoncé qu’elle est la toute première de longue durée pour mesurer les effets des OGM. Alors qu’il y en a eu plus d’une cinquantaine. Toutes ont déterminé que les OGM testés n’étaient pas dangereux pour la santé. Toutes ont été validées par d’éminents chercheurs internationaux. A l’inverse des précédentes études menées par M. Séralini. Car il essaye, depuis 2004 je crois, de remettre en cause les OGM. Mais aucune de ses précédentes études n’a été validée par des collèges d’experts.«
Parmi les études déjà réalisées et qui sont de longue durée, on trouve par exemple une étude menée sur les cochons pendant trois ans, ou encore des études transgénérationnelles, comprenez si longues qu’elles ont observé les résultats non seulement sur des individus mais aussi sur leur descendance. Je vous mets les liens en fin d’article. Mais cet aspect n’est pas le seul qui interpelle Philippe Joudrier dans l’étude présentée. Il reprend :
« L’OGM mis en cause, le NK603, est cultivé depuis plus de 10 ans aux Etats-Unis. Jamais un chercheur américain n’a relevé quoi que ce soit à son encontre. Ni en Nouvelle-Zélande. Quand j’étais à l’Afssa (Ndlr : agence française de sécurité sanitaire des aliments, devenue aujourd’hui l’Anses, agence nationale de sécurité sanitaire), nous avions étudié le NK603 sans rien relever d’alarmant. Même chose au niveau européen avec l’EFSA. Et tous les laboratoires qui l’ont étudié sont certifiés « qualité », alors que, pour l’étude de M. Séralini, seule la mention « bonne pratique de laboratoire » a été rédigée, ce qui est le minimum pour ce type d’études. Par ailleurs, les statistiques aussi viennent remettre en cause les résultats de son étude. 200 rats séparés en plusieurs cohortes, cela ne donne pas un nombre suffisant d’individus impactés pour en retirer des conclusions fiables. Il en faut beaucoup plus que cela !«
Des rats prédisposés à la tumeur
Reste l’argument le plus frappant, tendant à démontrer que l’étude a été menée uniquement dans le but d’une démonstration idéologique plutôt que par intérêt scientifique : « La race de rats qui a été choisie, à savoir des « sprague-dawley » est connue scientifiquement pour développer des tumeurs. Cela rend donc l’expérience pour le moins difficile à déchiffrer : pour quelle raison certains rats ont-ils développé des tumeurs ? Parce qu’ils y étaient prédisposés, ou pour les raisons avancées en conclusion de l’étude ? Difficile de répondre !«
De tout cela, il ressort que la sortie de l’étude de M. Séralini ressemble fort à un coup politico-médiatique, visant à fédérer les anti OGM. Mais qui manque étrangement, au-delà même des intentions, de caution scientifique. D’autant qu’entre-temps d’éminents spécialistes internationaux ont eux aussi critiqué sévèrement ses fondements.
Présentée par les lobbyistes anti-OGM comme « l’étude qui change tout », elle démontre avant tout que pour critiquer scientifiquement les avancées des biotechnologies, il vaut mieux être rigoureux. De fait, ce sont les biotechnologies qui sortent renforcées, puisqu’il faut inventer des études (qui sont loin des gratuites) faites dans des conditions très discutables pour pouvoir les remettre en cause.
Le ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt Stéphane Le Foll a demandé à l’Anses de rendre un avis sur l’étude.
La crainte que l’on peut avoir est que cet avis soit davantage dicté politiquement que scientifiquement. Ainsi, lorsqu’il avait été auditionné par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale le 18 juillet dernier (lien en fin d’article), Marc Mortureux, directeur général de l’Anses, avait déclaré à propos de la mortalité des abeilles et de l’avis rendu sur le Cruiser : « On est dans un sujet dont on ne peut pas attendre de tout comprendre pour agir. » On espère que pour juger de l’avenir de la recherche et des biotechnologies en France il prendra le temps de comprendre, scientifiquement, plutôt que stratégiquement par rapport à la demande.
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En savoir plus : http://www.sciencemediacentre.org/pages/press_releases/12-09-19_gm_maize_rats_tumours.htm (ce que disent des chercheurs reconnus internationalement de l’étude présentée par M. Séralini) ; http://www.sciencedaily.com/releases/2012/01/120124140103.htm (un exemple parmi d’autres d’étude longue, prouvant que celle M. Séralini n’est pas la première, celle menée sur des porcs pendant trois ans) ; http://www.assemblee-nationale.tv/chaines.html?media=3341&synchro=0&dossier=12 (la commission du développement durable du 18 juillet 2012).
Notre photo ci-dessous : Philippe Joudrier.