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Les états généraux de l’alimentation ont-ils été organisés juste pour gagner du temps ?

Le dernier épisode sur l’absence d’accord sur la loi issue des états généraux de l’alimentation renvoie à la question de l’utilité de ceux-ci : et s’ils avaient été organisés pour temporiser la contestation du monde agricole (face à des situations de crise à répétition) davantage que pour lui venir en aide ?

Mon propos va bien sûr paraitre iconoclaste, et me vaudra quelques commentaires outrés. Mais tout de même… S’il y avait eu la volonté de contenir les mouvements contestataires nés des situations bancales dans l’agriculture, aurait-on pu obtenir un meilleur résultat qu’avec les états généraux de l’alimentation ? Depuis l’arrivée du gouvernement actuel, il n’y a (presque) pas eu de manifestations agricoles, on ne parle plus du partage de la valeur ajoutée que sous la forme de solutions en train d’être trouvées… Et pendant ce temps, la France soutient les accords de libre-échange que pourrait signer Bruxelles avec le Mercosur (pays de l’Amérique latine) ou l’Australie, elle n’informe pas la Commission européenne de difficultés rencontrées sur la carte des zones défavorisées car elle les ignore avec les multiples visites sur le terrain reportées par Stéphane Travert, elle fait fi du pastoralisme avec ses décisions sur les prédateurs, elle ne respecte pas ses engagements de rattraper le retard dans le versement des aides européennes, et nous pourrions multiplier ici les exemples de prises de position qui vont à l’encontre d’un développement tant humain qu’économique de l’agriculture française. Et tout cela, sans contestation, en tout cas, pas d’envergure nationale. Uniquement parce qu’il existe cette (toute) petite lumière d’espoir d’un meilleur partage de la valeur ajoutée à travers la loi issue des états généraux…

Nous sommes en juillet 2018. En 14 mois depuis l’arrivée du gouvernement actuel, quel résultat concret pour l’agriculture française ? Ah si, on a failli l’avoir ! Un accord en commission mixte paritaire entre le Sénat et l’Assemblée nationale aurait (enfin) validé la loi issue des états généraux de l’alimentation, et donc entre autres une disposition présentant un nouveau mode de calcul des prix pour l’agriculteur, en principe plus favorable pour lui. Seulement cet accord n’est pas intervenu… en raison d’une intervention gouvernementale, gouvernement qui n’a pas accepté que des parlementaires osent faire leur boulot en apportant quelques amendements à son texte d’origine. De fait, ce « non accord » renvoie de plusieurs mois la décision finale sur la loi en question… Comme s’il s’agissait, encore et toujours, de gagner du temps ! Et de rien d’autre. La période actuelle, pré-électorale pour les chambres d’agriculture (élections en janvier) est particulièrement crainte par l’exécutif, car chaque syndicat agricole a intérêt à mobiliser ses troupes, et donc à manifester dès que quelque chose ne va pas. Aujourd’hui, l’impression donnée est qu’il existe bien plus de sujets où ça ne va pas que l’inverse, et pourtant les manifestations restent localisées, parfaitement contrôlables…

Focus sur le renvoi de la décision sur la loi issue des états généraux de l’alimentation

Techniquement, la loi agriculture et alimentation est passée devant l’Assemblée nationale, où elle a connu les amendements des députés, puis devant le Sénat avec ceux des sénateurs. La commission mixte paritaire (c’est-à-dire composée de députés et de sénateurs) réunie mardi dernier avait pour vocation de trouver les compromis entre le texte issu de l’Assemblée et celui après le passage des sénateurs. Dans notre démocratie, cela se passe de cette manière. Or, le souci est expliqué par le sénateur Daniel Gremillet (sénateur LR siégeant à la commission mixte paritaire, et surtout agriculteur et ancien président de la chambre d’agriculture des Vosges et vice-président de l’APCA, preuve de son engagement pour la profession agricole) : « Dès le départ, on a senti qu’il n’y avait aucune volonté du côté des députés de la majorité présidentielle pour parvenir à un accord. Et j’en veux pour preuve : le Sénat n’avait même pas encore achevé l’examen du texte, que le rapporteur de l’Assemblée nationale, déclarait dans la presse, qu’il serait très difficile de trouver un accord … et pourtant, en ce qui concerne le titre I, en comparant mot à mot, plus de 70 % de l’ensemble est conforme ou quasi-conforme au texte adopté par les députés, ce qui atteste d’une grande convergence de vues entre nous. »

En d’autres termes, l’art du compromis n’était pas de mise ! Le titre I en question, c’est celui qui concerne justement les relations commerciales. L’Assemblée avait décidé que les prix devaient être déterminés par les interprofessions, le Sénat est intervenu en estimant que pour certaines filières, d’autres décideurs pouvaient intervenir, tels l’observatoire des prix et des marges ou encore France Agrimer. Un article des Echos mentionne ainsi la filière viande où Bigard est impliqué, avec donc un meilleur choix, selon les sénateurs de donner l’établissement des prix à une autre entité qu’à cette filière, sous influence du payeur. Cet amendement du Sénat a donc été refusé par les députés LREM. Et la commission paritaire mixte a échoué.

Pour autant, l’amendement en question était-il contraire à « l’esprit » des états généraux tel qu’il avait été défini au départ par Emmanuel Macron lui-même ? C’est toute la question qui a fait polémique cette semaine. Au-delà (mais ce n’est pas anodin tout de même), un gouvernement qui refuse tout amendement parlementaire reste-t-il crédible dans son respect de la démocratie ?

Daniel Gremillet précise encore : « La discussion a tourné court et aucune de ces propositions (Ndlr : il cite aussi d’autres propositions sénatoriales exprimées sur le titre II de la loi, sur les contraintes environnementales, pour les assouplir) n’a pu être examinée. Dans l’esprit de la majorité LREM, c’était un retour au texte du gouvernement ou rien. Contre tous les usages, le rapporteur de l’Assemblée nationale, sous la conduite du président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée et sous l’injonction de l’Elysée, a décidé de revenir sur des rédactions votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Il a ainsi trahi le vote de sa propre assemblée alors que l’esprit d’une commission mixte paritaire est de chercher à régler des points de désaccord, non d’en ajouter de nouveaux. »

Les syndicats (Fnsea, Coordination rurale notamment) ont aussi réagi dans des communiqués pour déplorer l’absence de volonté d’accord dans cette commission mixte paritaire… Mais pour l’instant, aucun mot d’ordre d’action en lien avec cet espoir insatisfait sur l’établissement des prix.

Les crises, hélas diverses et variées et surtout durables, que traverse l’agriculture française ont-elles si peu d’urgence que l’on puisse se permettre ainsi d’accepter une telle perte de temps dans les prises de décisions ? J’ai déjà exprimé, lors d’articles précédents, mon scepticisme par rapport aux solutions proposées, j’ai du mal à imaginer la définition d’un prix par rapport au coût de revient quand celui-ci est différent d’une ferme à l’autre. Mais au moins ces solutions avaient-elles été imaginées et pas encore tentées. On devrait donc les tester… Mais plus tard. Après les élections aux chambres d’agriculture, par exemple…


Notre illustration ci-dessous, une des rares manifestations de contestation de ces derniers mois, mais très localisée, à Carcassonne, sur le sujet des zones défavorisées (photo Christophe Morineau-Cooks).

1 Commentaire(s)

  1. En fait, la réunion eu lieu au moment où toute la France agricole est en moisson. Elle est en avance d’une semaine dans le sud et de dix jours dans Nord par rapport à l’année dernière et pour l’instant on se dirige plutôt vers une récolte normale que vers une récolte exceptionnelle. Les prix ont un peu augmenté en céréales et sont stables en colza. Cependant la moisson sera vite terminée et à partir du 5 août, celle-ci sera terminée et on pourra tirer les enseignements de cette moisson. Les rendements pommes de terre et betteraves devraient être bons mais les cours commencent à se déprécier. Les récoltes débueront mi août pour les premières et vers le 10 septembre pour les secondes. Il va y avoir un mouvement de fond entre le 15 août et le 15 septembre. Et si celui-ci se déclanche mi août cela fera du mal au tourisme français car les actions devraient être dures contre le gouvernement qui sera lui aussi en vacances et les agriculteurs qui n’auront pas eu la moindre mesure favorable de ce gouvernement. Ceci est mon impression mais l’avancée de la moisson montre que les mobilisations se préparent.

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