limitation vitesse 80 km h

Les 80 km/h, une décision symptomatique d’une certaine vision de la ruralité

Au-delà des nombreux commentaires déjà fournis sur l’utilité de la mesure pour la sécurité routière et la rente qu’elle apporte à l’Etat, la limitation de la vitesse à 80 km/h représente aussi une certaine vision de la ruralité. Cette décision est symptomatique du décalage qui existe entre les élites décisionnelles depuis Paris et les besoins réels ressentis par les usagers dans les campagnes.

La ruralité supporte, depuis plusieurs gouvernements certes mais celui-ci ne fait pas exception, régulièrement des décisions « prises d’en haut », annoncées « pour le bien commun », qui en fait ne répondent à aucun « bien particulier ». Notre démocratie place ainsi souvent le une forme de valeur suprême globale pour la société, qui oublie de plus en plus ses composants, les individus, c’est-à-dire vous, moi, nous autres les êtres humains. Et l’actualité nous fournit un exemple symptomatique de cette tendance lourde à vouloir se persuader que l’on a fait son boulot une fois ne décision globale « pour le bien commun » prise.

De quoi est-il question avec le passage à la limitation de la vitesse sur les routes à 80 km/h ? De sécurité routière nous dit-on. En fait, il y a une évidence statistique : avec cette réduction de la vitesse, obligatoirement le nombre d’accidents va baisser. Et le gouvernement en place pourra se gargariser d’avoir obtenu un succès. Mais en l’occurrence la baisse ne sera que légère. Alors que s’il avait mieux réfléchi et mieux utilisé les moyens de l’Etat, il aurait pu obtenir des résultats autrement plus probants et à des coûts largement inférieurs.

En quoi cette décision unilatérale démontre-t-elle le peu d’engouement du pouvoir central pour la ruralité ? Tout simplement parce que personne n’a analysé les causes du problème posé (améliorer la sécurité routière). Et ces causes ne sont pas les mêmes partout. La vitesse n’est qu’une statistique globale, encore eut-il fallu affiner, en particulier au niveau des lieux. Ce n’est donc pas une seule décision qu’il faut prendre, mais de multiples petites décisions locales pour améliorer au cas par cas les statistiques sur chacune des routes. La logique est la même que pour l’application de la loi Notre : on applique une recette généraliste à tout le monde, comme pour étouffer tout pouvoir décisionnel local proche des réalités du terrain. La loi Notre, qui retire des pouvoirs aux élus locaux pour les donner à des fonctionnaires, est une forme d’atteinte à la démocratie. La décision sur les 80 km/h a été prise dans le même esprit : un seul pays, donc zéro particularismes locaux. Sans aller jusqu’à prôner l’autonomie des régions, le simple bon sens consisterait à aller en direction de ce qui est le mieux pour chaque citoyen.

Le financement de l’entretien des routes, un frein à la sécurité routière

Que faudrait-il entreprendre dès lors pour améliorer la sécurité routière sur les routes des campagnes ? Déjà, prendre en compte l’existant : qui gère quoi ? Aujourd’hui, les routes sont sous responsabilité nationale, départementale, ou communale. Dans certains cas les départements gardent la charge de l’entretien des routes jusqu’au panneau d’entrée dans la commune, dans d’autres ils laissent la commune s’en dépatouiller jusqu’à ses limites légales, qui vont souvent au-delà des dernières maisons. Et le fameux panneau de limitation à 50 km/h dans les communes sanctionne, mais pas toujours, le responsable de l’entretien de la route.

Prenons le cas (si souvent répété) de communes dont l’habitat a petit-à-petit débordé de ce panneau, il existe désormais des maisons en bord de routes limitées à 90 km/h aujourd’hui (à 80 le 1er juillet 2018 donc). Il suffirait donc de déplacer les panneaux d’entrée dans les communes pour inclure tout l’habitat dans les parties limitées à 50… Seulement, cela signifierait un transfert des frais d’entretien du département vers les communes rurales, lesquelles n’ont majoritairement pas la trésorerie pour des dépenses supplémentaires. Ça, c’est un vrai problème. Et ce n’est pas à 80 km/h qu’il faudrait réduire la vitesse dans les zones habitées, mais à 50… Combien de ruraux ne peuvent plus sortir de chez eux aujourd’hui sans prendre de risques ? En revanche, seules ces zones sont concernées.

Le cas du détournement de destination des radars pédagogiques

Autre exemple de dysfonctionnement observé dans les campagnes : les radars pédagogiques. En soi, il s’agit d’une excellente solution de responsabilisation des conducteurs… Mais qui est détournée par quelques-uns. Après avoir observé que des « voyous de la route » profitaient de « l’aubaine » pour établir des records sur l’affichage lumineux (ensuite relayés par des photos vantardes sur les réseaux sociaux), les gendarmeries ou autres responsables de ces radars ont décidé de ne plus afficher les vitesses de plus de 20 km/h supérieures à la limite.

Question, ne vaudrait-il pas mieux se donner les moyens de contrôles et de répression envers ces « voyous de la route » ? Un problème réel, concret, qui n’est certes pas résolu par une limitation, pour tout le monde, à 80 km/h…

En quoi les 80 km/h posent un problème pour les usagers de la route ruraux

Allonger de plus de 11 % les temps de déplacement sur les routes, c’est évidemment handicaper le développement économique des zones rurales. Sans compter qu’avec un temps passé sur les routes allongé, le risque de finir par se trouver embouteillé est de fait agrandi. Or, il ne faut pas oublier qu’en zones rurales, la voiture est un moyen de déplacement obligatoire pour le plus grand nombre, au minimum pour une partie du trajet pour aller travailler. Et s’il est désormais impossible de rentrer dans Paris depuis un département limitrophe sans savoir si l’on va prendre 1 ou 3 heures, au moins existe-t-il des réseaux de transports en commun. Dans les zones rurales, ils existent aussi, mais il faut souvent, tout de même, prendre sa voiture pour y accéder.

Quelles seraient les « vraies » bonnes solutions ?

Si le passage à 80 km/h devait effectivement être la meilleure solution pour sauver des vies, alors les handicaps soulignés plus haut pourraient être considérés comme une contrepartie acceptable. Mais les problèmes identifiés sur les routes ne trouvent pas de réponse avec cette mesure. Comment empêcher (ou diminuer) la présence de « voyous de la route » (qui eux, de toutes façons, rouleront toujours au-dessus des limites quelles qu’elles soient) ? Comment régler les problèmes des zones aujourd’hui mal protégées (j’évoquais plus haut le cas des zones habitées officiellement situées hors communes, il y en a d’autres bien sûr) ?

Le financement partagé de l’entretien des routes constitue, à n’en pas douter, un frein monumental à l’identification des zones à problèmes, et donc à leurs résolutions. Si l’Etat doit prendre une mesure unilatérale, c’est probablement là qu’il doit agir : rien ne l’empêche de coordonner les efforts, d’avoir du personnel qui sorte des bureaux préfectoraux pour voir sur le terrain là où les problèmes se posent. Et ensuite, toujours dans un rôle de coordination et donc sans se substituer à la démocratie locale mais au contraire en l’écoutant et l’aidant, il faudra trouver des moyens de financement satisfaisants pour toutes les parties, Etat, région, département, communes… Aujourd’hui, le jeu de la patate chaude du financement que plus personne ne veut assumer est tel que trop de zones ne sont plus couvertes par personne… Et l’Etat, en cherchant de plus en plus à se substituer à la démocratie locale plutôt qu’en l’aidant, en arrive à des mesures contre-productives. Qui mieux que les maires ruraux ou autres élus locaux peuvent identifier les zones où il faut agir ?

Et pour les parties routières « campagnardes », entre les communes, sans doute serait-il bien plus avisé d’en réévaluer régulièrement les dangers pour adapter la signalisation et les réductions de vitesse, mais avant un virage dangereux par exemple, ou pour une portion de route dégradée, pas pour l’ensemble des tracés. Cela réclame des moyens humains, mais ils existent déjà, et pour les réaménagements aussi les budgets sont déjà votés. C’est uniquement une question d’organisation, d’utilisation des ressources, de polyvalence des personnels. Et n’oublions pas, en parallèle, la facture du passage à 80 km/h.

Vu à l’étranger, les phares allumés

Autre possibilité, voir ce qui fonctionne en dehors de nos frontières. Pour avoir personnellement sillonné l’Europe au volant, j’ai constaté que certains pays, au Sud ou à l’Est de la France, réclament aux conducteurs d’allumer leurs phares sur toutes les routes, y compris en plein jour. J’ai donc testé, j’y vois un grand intérêt : lorsqu’il s’agit de doubler, la visibilité des voitures arrivant en face et l’estimation de leur vitesse est largement supérieure, ce qui permet de mieux jauger le moment où l’on peut doubler sans risque, et donc également lorsqu’il faut s’abstenir. Allumer ses phares, c’est très simple, ça ne coûte rien au contribuable (tout au plus les conducteurs devront changer un peu plus souvent leurs ampoules…), et ça donne des résultats.

Seulement, en France, lorsque cette possibilité avait été envisagée au début des années 2000 (gouvernement Chirac – Raffarin, ministre des Transports Gilles de Robien), le lobby des motards avait manifesté et obtenu l’enterrement de l’idée… Alors que, là aussi, il existe certainement des questions à se poser : pourquoi les motards auraient-ils intérêt à être plus vus que les autres sur les routes, sinon pour rouler plus vite ou se faufiler dans des espaces que ne prévoit pas le code de la route ? A cette opposition, un ministre des Transports plus responsable pour l’ensemble des usagers de la route et moins protecteur pour lui-même aurait pu répondre en ramenant chacun à ses obligations. Aujourd’hui, 15 ans plus tard, a-t-on toujours peur que les mêmes causes entrainent les mêmes effets, alors que notre société a tant changé par ailleurs ?

En conclusion…

En conclusion, si l’unique objectif consiste effectivement à augmenter le sentiment de sécurité sur les routes, le fait de réduire la limite autorisée en zones rurales n’est qu’une réponse pour le moins partielle. Et surtout, elle donne l’impression que rien d’autre ne sera fait, alors que tant de problèmes seront restés sans solution ! Le mythe de la solution-miracle, sans aucune remise en cause du fonctionnement actuel de l’ensemble des services concernés, semble prévaloir, encore et toujours…
 

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