arracheuse betteraves

Le sucre bio en France, un marché de niche à organiser

Les coopératives betteravières n’achètent pas de sucre bio, qui ne représente pas de marché à leur niveau. Mais pour certains producteurs, il y aurait là une niche à creuser, avec une valorisation réelle.

Sur la planète, 110 pays produisent du sucre. La production est de 181 millions de tonnes, dont 38 millions pour le sucre de betterave. En comparaison, la production de sucre bio est de 320 000 tonnes, dont 90 % proviennent de la canne à sucre. En  Europe, le marché du sucre bio est estimé à 120 000 tonnes en 2012, soit moins de 1 % du marché du sucre, et de 10 % des volumes qui sont assurés par la betterave sucrière. L’Allemagne et l’Autriche sont les deux premiers pays producteurs de sucre bio à partir de la betterave sucrière. En France, avec 389 000 hectares, la production réglementaire de sucre de betterave est de 4,79 millions de tonnes. Pour 270 849 tonnes pour la canne à sucre, produite en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion.

Un marché pour le sucre bio ?

Ainsi, la majeure partie du sucre bio produit dans le monde provient de la canne à sucre. Certaines filières, comme la pâtisserie ou la biscuiterie, privilégient le sucre de betterave pour leurs recettes, car le sucre de canne donne une couleur non souhaitée au produit fini. Il existerait donc une demande spécifique pour du sucre raffiné bio dans l’industrie pâtissière… et pour la transformation à la ferme.

A la ferme du Ch’debout, située à LeForest (Pas-de-Calais), en plein cœur du bassin minier, l’éleveur laitier Hervé Lingrand envisage de transformer lui-même ses yaourts. « Pour la fabrication de yaourts, comme nos clients privilégient à la fois le bio et le local, si nous avions du sucre bio produit dans la région, ce serait l’idéal... » Et puis les consommateurs seraient, selon lui, prêts à payer un peu plus cher un sucre de betterave produit en respectant l’environnement.

Il y aurait donc un marché du sucre de betterave bio à pourvoir… Mais quid de la fabrication ?

Des freins plus logistiques que techniques

Avec un IFT (indice de fréquence de traitement) moyen situé autour de 4 pour la betterave sucrière (chiffres 2011), le Nord-Pas-de-Calais est la région la plus performante pour la protection sanitaire de la culture. Les produits les plus utilisés sont les herbicides ; la betterave, qui met du temps à mettre en place son appareil foliaire, est en concurrence avec les adventices pendant une longue période au printemps. Si le désherbage mécanique est un bon compagnon du désherbage chimique, la performance de la technique devra être améliorée en agriculture biologique.

La betterave en bio est techniquement possible, puisqu’on en trouve en Suisse, en Autriche (1208 ha en 2012, d’après l’agence bio), en Allemagne (1200 ha en 2012) et en Roumanie (523 ha en 2011). En région, des essais menés par le Gabnor (groupement des agriculteurs biologiques du Nord-Pas-de-Calais) en 2001 ont montré des rendements de 60 tonnes par hectare. Aucun essai n’a été effectué depuis. La stratégie de désherbage reste la grande priorité.

Pour Hervé Lingrand, « il faudrait imaginer des variétés qui développent une végétation importante rapidement pour limiter le développement des mauvaises herbes« .

Avec une bonne bineuse de précision équipée de moulinés et une herse étrille ou houe rotative on peut faire un bon désherbage mécanique. Dans les situations à risque, le désherbage thermique est possible en prélevée et vers le stade 2/3 feuilles. La sélection de variétés tolérantes aux maladies (rouille, cercosporiose, ramulariose, oïdium) est également importante. Contre pucerons et pégomyies, les traitements de semence étant très répandus, il faudra trouver une alternative. Les travaux ne prendront de l’ampleur que s’ils sont tirés vers l’aval par la production de sucre certifié bio. « Nous avions des surfaces de betterave sucrière conduites en bio il y a quelques années. Mais en l’absence de débouché, les producteurs ont vite abandonné« , explique Robin Euvrard, conseiller au Gabnor.

Le véritable frein est celui de la logistique. Pour comprendre cela, un point sur le processus industriel est nécessaire.

Des pistes à plusieurs échelles

Le process industriel est le même pour obtenir du sucre qu’il soit bio ou non. Cependant on ne peut on ne peut pas mélanger du bio et du conventionnel : il faut une séparation dans l’espace et le temps. Une solution serait d’alimenter l’usine en betteraves bio en début de campagne et d’y passer ensuite les betteraves en conventionnel. C’est ce qui est fait dans les usines allemandes et autrichiennes.

Mais cela pose le problème du rendement : une betterave récoltée en début de campagne (septembre) sera moins grosse et moins riche en sucre, entraînant une rentabilité plus faible. En outre, si une betterave conventionnelle parcourt en moyenne 30 km entre la parcelle et la sucrerie, la distance est bien plus grande dans le cas des betteraves bio, la filière étant peu développée. Le réseau ferroviaire, bien développé en Allemagne, compense ce point. En France, le transport des betteraves ne peut se faire que par la route.

Une sucrerie à la ferme ?

Puisque la production de sucre bio ne semble pas faire partie du programme des coopératives tant que les surfaces ne sont pas suffisantes, pourquoi ne pas monter une unité de transformation de betterave sucrière à la ferme, en collaboration avec plusieurs agriculteurs ? L’idée trotte depuis plusieurs années dans l’esprit d’Hervé Lingrand, qui a pu, au cours de réunions et de formations, avoir une idée de l’opinion des ses collègues. « Un certain nombre d’agriculteurs ne peuvent passer l’ensemble de leurs surfaces en bio du fait des contrats de betterave sucrière conclus avec un groupe sucrier. C’est difficile de laisser tomber cette production qui est à la fois une bonne tête de rotation et l’assurance d’un revenu stable« , explique le producteur.

Comme la coopérative en question n’envisage pas de se lancer dans le bio, lancer une unité de sucrerie collective pourrait être une solution. « Cela doit être possible, puisque pendant la deuxième guerre mondiale, des Polonais transformaient leurs betteraves chez eux. Aujourd’hui personne ne s’embête à le faire car le sucre ne coûte pas cher à l’achat. Mais pour le bio, il y a un marché« , précise Hervé Lingrand. Toutefois, le processus de fabrication de sucre demande à être maîtrisé à une échelle bien plus petite que celle de la sucrerie industrielle. « Comme les équipements n’existent pas, il faudrait faire appel à un superman du bricolage et un Mac Gyver de la mécanique… Il faudra aussi maîtriser la consommation d’énergie. Mais si on y arrive, ce sera une petite révolution !« 

Une production atypique

On reviendrait donc à un système pré-révolution industrielle rien que pour le bio ? Aujourd’hui, une betterave parcours environ 30 km entre la parcelle et la sucrerie : dans le Nord, il y a de la betterave partout et des sucreries bien réparties sur le territoire, et une sucrerie engloutit 10 000 tonnes de betteraves par jour en moyenne, soit l’équivalent de 110 hectares. Disposer de petites sucreries à la ferme réduirait les distances de transport des betteraves bio, dont les surfaces ne sont pas suffisantes pour alimenter une potentielle grosse sucrerie implantée quelque part dans la région.

« Restons logiques : ce n’est pas au nom du bio qu’il faut que les betteraves parcourent des centaines de kilomètres ! C’est un problème commun à toutes les productions atypiques ou émergentes. Nous ne sommes pas assez nombreux« , déplore Hervé Lingrand.

Et les coproduits ?

Robin Euvrard avertit : « Une betterave ne produit pas que du sucre. En moyenne, 1 tonne de betteraves donne 160 kg de sucre, 500 kg de pulpes humides et 38 kg de mélasse. On ne peut donc aborder la question du sucre bio sans aborder celle des produits de transformation. » D’autant que, « en conventionnel, tous les résidus de produits phytosanitaires ne se retrouvent pas dans le sucre, mais dans la mélasse, les pulpes, les vinasses et les écumes« , rappelle Hervé Lingrand.

Lors de la diffusion, transfert du sucre de la betterave vers l’eau, on produit les pulpes, qui sont généralement valorisées en alimentation animale. La production de betteraves bio permettrait de valoriser, dans les élevages en agriculture biologique, les pulpes (après déshydratation) qui en sont issues.

L’étape suivante est l’épuration, qui consiste à précipiter les impuretés. Les écumes calcaires qui en résultent sont valorisées en amendements organiques, et les agriculteurs bio peuvent les utiliser, même si elles proviennent de la transformation de betteraves conventionnelles.

Après l’évaporation, pour concentrer le jus épuré, vient la cristallisation, phase ultime de purification du sucre, au cours de laquelle on cristallise le saccharose. Le coproduit est la mélasse, qui peut être valorisée en alimentation animale ou dans l’industrie de fermentation. Comme les pulpes, les mélasses doivent être issues de betteraves bio pour pouvoir être utilisée dans les élevages en agriculture bio.

Il reste aux producteurs intéressés à réellement organiser une filière avec des données désormais connues.

 

Photos ci-dessous : arracheuses, betteraves, et trois insectes auxiliaires (dans l’ordre : cantharide, chrysope et syrphe).

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